Les paillettes tombent : place à la réalité invisible de la mode

Avatar de Elise Vonaesch

Les mauvaises langues clament que les mannequins* sont payés à simplement marcher quelques mètres sur des podiums. En réalité, les premiers pas d’un mannequin ne sont pas aussi simples. Beaucoup d’entre elles sont repérées lorsqu’elles sont très jeunes, dès treize ans, et on leur promet une carrière « à la Claudia Schiffer » [1]. On fait rêver les jeunes filles  arrivant pour la plupart des pays de l’Est dans l’espoir d’envoyer de l’argent à leur famille désargentée. Mais elles réalisent progressivement qu’avant de recevoir des mille et des cents, elles devront tout payer de leur poche : certes, les agences leur avancent de l’argent pour leur book, les shootings, les voyages, l’appartement, le visa, les chaussures, mais c’est tout ce dont elles leur deviennent redevables [2]. À peine ont-elles posé le pied dans le monde de la mode qu’elles connaissent l’endettement et se retrouvent dans l’impossibilité de quitter le milieu si elles veulent espérer rembourser leurs dettes. Pour d’autres, l’endettement est tel qu’elles se tournent vers la prostitution pour ne pas faire sombrer leurs familles [3].

Kristina Romanova, mannequin d’origine russe

Celles qui restent en tentant de percer vont découvrir ce que les paillettes recouvrent. Dans le langage de la mode, ce serait aller en backstage. Le devoir des mannequins est celui de défiler sans se plaindre, mais aussi celui d’accepter tout ce qui est demandé de la part de créateur.rices et photographes : « Vous êtes totalement déshumanisé, avec des pratiques qui relèvent de la maltraitance. Par exemple, personne ne vous appelle jamais par votre prénom, mais simplement par votre nationalité et votre âge. Moi, j’étais française, 18 ans. […] On se fait traiter comme la SPA n’accepterait pas qu’on traite des animaux, et tout le monde ferme sa gueule… » [1] Lorsqu’elle était mannequin, Victoire Maçon-Dauxerre est tombée dans l’anorexie pour rentrer dans la taille 32 requise pour les défilés. [4] Mais elle dénonce également une véritable maltraitance, racontant que les mannequins sont à la fois déifiées et humiliées, victimes de chantage et sous-payées : « Nous étions leurs choses. Des jouets dociles, soumis, consentants, dont ils disposaient gratuitement sans qu’il ne vienne à aucune d’entre nous l’idée même de protester. […] dans ce monde de fous, les gens sont tellement inhumains qu’on en oublie même ce qui est normal… » [1] Des propos appuyés par Nikki Dubose, elle aussi sortie de ce milieu : « Les mannequins, hommes et femmes, restent traités comme des marchandises. Le simple fait qu’ils n’aient pas d’assurance maladie correcte en est la preuve. [On] les considère comme des objets dont on peut disposer comme on le souhaite, même sexuellement… » [5][6]

Pourtant, lorsque l’on pose la question aux top models qui ont réussi, le récit est autre. Natalia Vodianova, mannequin russe et symbole de la réussite en Russie, a été sauvée par ce métier : elle affirme qu’il n’existe pas d’abus et que les créateur.rices n’engageraient pas de filles malades. [7] Elle reconnaît néanmoins que « tout ce qui m’arrivait était beaucoup trop excitant pour que je me pose la question de savoir si oui ou non, je malmenais ou pas mon corps » et ajoute que c’est difficile « de résister aux pressions psychologiques ». [8]

Naomi Campbell, supermodel [9], est plutôt transparente sur son parcours : la top model des années 1990 admet avoir été toxicomane et s’être battue contre cette addiction. [10] La cocaïne notamment, a un effet anorexigène et serait très utilisée dans le milieu de la mode. La grande mannequin Kate Moss était même surnommée Cocaïn Kate [11]. Mais c’est surtout la première top model – reconnue comme tel – qui a le plus gravement sombré dans la drogue : il s’agit de Gia Carangi, américaine, la première à passer de model à top model : elle se démarque par sa spontanéité et sa vie intéresse le public dans les années 1970. Consommatrice de drogue depuis l’âge de dix-sept ans, elle s’y console toujours plus après la perte de sa mère et de son agent. Les maquilleurs doivent masquer les marques de piqûres dans le bras, elle est en proie à des crises quand elle manquait de drogue, empêchant même certains shootings. [12] Elle rechute malgré les cures de désintoxication et a besoin d’argent pour s’acheter de la drogue, ce qui lui vaut d’être violée et tabassée par des dealers avant d’attraper le sida. Elle meurt à l’âge de 26 ans. 

Mais Gia Carangi n’est pas un cas isolé : d’autres mannequins célèbres avouent avoir cédé à la drogue dans leur métier. Milla Jovovich par exemple déclare : « À 15 ans, pendant une année, lorsque j’évoluais dans le mannequinat, j’ai vécu comme une décérébrée. Je faisais n’importe quoi: drogues, alcool… sans mes passions artistiques, je ne m’en serais pas sortie. » [13] Il reste encore Carla Bruni parmi les tops pour nous assurer qu’elle ne s’est jamais droguée.[11]

Après les scandales sur l’extrême maigreur et le harcèlement sexuel dans le monde de la mode, d’autre facettes tout aussi peu glorieuses restent donc encore à découvrir. Dans un univers où la concurrence est aussi rude, les mannequins se sentent probablement obligées d’accepter certaines dérives pour se faire une place, et peut-être accéder à la notoriété. 

*Dans cet article, nous parlerons des mannequins femmes.

Voir aussi sur topolitique.ch

Vonaesch, Elise, « Mode : le chapitre de l’extrême maigreur est-il dépassé ? » in Topo, 17 novembre 2020

Vonaesch, Elise, « Stop au harcèlement sexuel dans le milieu de la mode », in Topo, 12 janvier 2021

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