Réflexion sur la misandrie : féminisme extrême ou anti-féminisme ?

Avatar de Elise Vonaesch

« Qui éprouve du mépris, voire de la haine, pour le sexe masculin ; qui témoigne de ce mépris. (S’oppose à misogyne.) » [1]

Voici la définition du mot misandre par le Larousse. Le Robert, lui, axe davantage sur l’aversion des hommes. Néanmoins, le dictionnaire ne semble pas donner la définition sémantique de la misandrie. Si l’étymologie désigne effectivement l’aversion, les représentations de la misandrie dans la société semblent plutôt montrer de la peur à l’égard des hommes, dissimulée sous un comportement de haine.

Le SCUM Manifesto, ouvrage écrit en 1967 par l’américaine Valerie Solanas, est le manifeste misandre par excellence. En outrepassant le féminisme, il place ostensiblement les femmes au-dessus des hommes, attaque violemment ces derniers et réclame l’élimination des hommes sur terre, présentant cette perspective comme une utopie. Il a été écrit en 1967 par une femme américaine, Valerie Solanas. Le manifeste commence ainsi : « Vivre dans cette société, c’est au mieux y mourir d’ennui. Rien dans cette société ne concerne les femmes. Alors, à toutes celles qui ont un brin de civisme, le sens des responsabilités et celui de la rigolade, il ne reste qu’à renverser le gouvernement, en finir avec l’argent, instaurer l’automation à tous les niveaux et supprimer le sexe masculin. […] Le mâle est un accident biologique ; le gène Y (mâle) n’est qu’un gène X (femelle) incomplet, une série incomplète de chromosomes. En d’autres termes, l’homme est une femme manquée, une fausse couche ambulante, un avorton congénital. Être homme c’est avoir quelque chose en moins, c’est avoir une sensibilité limitée. La virilité est une déficience organique, et les hommes sont des êtres affectivement infirmes. » [2]

Théoriquement, la misandrie ne peut pas appartenir au féminisme, puisqu’elle réclame non pas l’égalité entre les sexes mais la supériorité du genre féminin sur le masculin. Factuellement, les misandres sont vues comme des féministes extrémistes et certaines se revendiquent de ce mouvement. De ce fait, elles incarnent souvent le féminisme moderne, car elles sont davantage représentées dans les médias et se font davantage entendre par leurs discours extrémistes qui font scandale.

Valérie Solanas, autrice du SCUM Manifesto

Tout comme les personnes misogynes, les personnes misandres ne se reconnaissent pas comme telles, malgré l’attitude et les propos qu’elles peuvent tenir. C’est la raison pour laquelle la plupart des femmes misandres se revendiquent féministes et mettent en avant un féminisme extrémiste qui est pourtant minoritaire – et ne devrait même pas être considéré comme du féminisme. Néanmoins, pour certain.e.s, il est toujours possible d’argumenter dans le sens suivant : l’idée est de renverser les inégalités pour rééquilibrer ensuite la balance et enfin aboutir à une société réellement égalitaire en tous points ; ou encore voir la misandrie comme une vengeance, sur le modèle biblique “oeil pour oeil, dent pour dent” en laissant aux siècles passés la méthode “si on te frappe, tend l’autre joue”. La misandrie, pourtant, ne va pas aussi loin que la misogynie. Comme le dit le slogan souvent répété ces temps-ci : « le féminisme n’a jamais tué personne, le machisme tue tous les jours ». Oppression, harcèlement, viols, violences conjugales, féminicides : ces crimes ne sont pas perpétrés par vengeance sur la population masculine. La misandrie s’arrête aux mots sans passer par les actes. Le seul qui est à relever a été commis de la main de Valerie Solanas, l’autrice du SCUM Manifesto, en 1968 lorsqu’ elle a tenté d’assassiner Andy Warhol [3].

Cette femme est donc le modèle de misandrie par excellence, la misandre dangereuse et qui effraie.

Mais qui se demande pourquoi elle a eu tant de haine à l’égard des hommes ? Et pourquoi semblait-elle voir en chaque homme un prédateur ?

Je me suis donc renseignée, et il m’a suffi d’une courte biographie pour comprendre instantanément : Valerie Solanas a été victime d’inceste de la part de son père, battue par son grand-père et contrainte à se prostituer dans les premières années de sa vie [4][5]. Voilà ce qu’était un homme pour elle : « L’homme est complètement égocentrique, prisonnier de lui-même, incapable de partager, ou de s’identifier à d’autres ; inapte à l’amour, à l’amitié, à l’affection, la tendresse. […] son idée fixe est toujours : baiser, baiser. Il n’hésitera ni à nager dans un océan de merde ni à s’enfoncer dans des kilomètres de vomi, s’il a le moindre espoir de trouver sur l’autre rive un con [vagin] bien chaud. » [2]

A mon sens toutefois, le problème ne se résume en réalité pas à un désir de vengeance pour les femmes des siècles passés ou à la volonté d’une société égalitaire qui passerait d’abord par la domination des femmes. Il ne s’agit pas d’être idéaliste comme dans le féminisme : la misandrie relève d’une dimension toute autre. Il est important de se questionner ainsi : quel intérêt de devenir misandre ? Contrairement à la misogynie qui entretient le privilège des hommes, dans les faits, la misandrie n’en entretient aucun pour les femmes. Alors pourquoi existe-t-il des femmes misandres ?

Parce que la misandrie surgit après un véritable traumatisme, et c’est là qu’intervient la différence avec la misogynie. Le traumatisme est la base de la misandrie. On ne devient pas misandre dans une société patriarcale par éducation, ni par envie, mais bien par une réaction de survie et de protection. Les femmes ont une raison de rejeter les hommes : celle d’avoir été traumatisées par ces derniers à travers le harcèlement, le viol, les violences conjugales, etc. Et cela commence dès l’enfance, puisque 80% des mineur.e.s victimes d’abus sexuels sont des filles [6].

Bien entendu, il y a plusieurs types de réactions à ces actes, sinon au moins 20% [7] de la population féminine serait misandre. Mais si toutes les femmes traumatisées ne deviennent pas misandres, toutes les femmes misandres ont été traumatisées. Oppression, harcèlement, viols, violences conjugales, féminicides : ces crimes ne laissent pas indemnes et nourrissent chez certaines de la haine, née de la peur. La misandrie, c’est la défense par l’attaque. On opte pour la radicalité afin d’écarter le danger : s’il n’y a plus d’hommes, il n’y a plus de potentiel agresseur.

Page du Larousse

Le féminisme actuel, qui combat le patriarcat, défend l’idée selon laquelle il ne promeut pas une haine des hommes, mais bien une haine de la domination masculine. En effet, tous les hommes ne sont pas des agresseurs et il existe beaucoup de femmes misogynes (que les misandres ne tolèrent pas non plus), puisque « l’ennemi [pour les misandres] n’est pas l’homme mais la masculinité, qui existe aussi chez les femmes ». [3]

De nombreuses femmes adoptent un comportement et un raisonnement misogynes, ce qu’on n’observe pas du côté des hommes : il n’y a pas, ou très peu, d’hommes misandres. Certes, plusieurs hommes admettent échapper à certaines menaces dirigées davantage contre les femmes, comme le harcèlement et les agressions sexuelles ; néanmoins, les hommes qui ont subi un viol ou autres agressions sexuelles auraient plus de raisons de devenir misandres que ceux devenus misogynes, puisque les agressions sexuelles sont commises par 95% des hommes [8]. Il faut donc bien admettre que la société est davantage misogyne que misandre, bien que cela ne corrobore pas les faits qui montrent explicitement que les hommes sont plus à craindre que les femmes. En effet, si la société n’était pas patriarcale, on craindrait les hommes misogynes et pas les femmes misandres. Mais le résultat est le suivant : par rapport à la misandrie, la misogynie est davantage présente. Pourquoi ? Parce que la société nous fait croire que les femmes misandres sont plus à craindre.

Pourtant, si l’on compare, les femmes misogynes ne gagnent rien à l’être, si ce n’est être acceptées par la gente masculine patriarcale qui les élève dans la société. Elles vont presque toujours respecter les codes de la féminité et répondre aux exigences attendues par les hommes. Ces femmes-là, les hommes misogynes vont les apprécier parce qu’elles sont, par conséquent, patriarcales comme eux.

J’arrête là ma réflexion autour de la misandrie. Elle se base principalement sur des observations que j’ai faites, comme le fait de dire que les femmes misandres ont été traumatisées par les hommes. J’y crois parce que je le vois autour de moi et je trouve important de mettre le doigt dessus ; c’est également pour moi l’explication la plus plausible. Retenez-le : dans une société patriarcale, il faut une bonne raison pour qu’une femme ose dire qu’elle déteste les hommes.

Avatar de Elise Vonaesch

Laisser un commentaire