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Les pièges du cerveau dans le traitement de l’information

Avatar de Cristina Villaro-Dixon

Dans un monde de plus en plus connecté, nous sommes constamment confronté.e.s aux nouvelles, d’autant plus à l’heure de gloire des réseaux sociaux où la tendance est aux « fast news », modèle de simplification extrême de l’actualité. La rapidité et la quantité priment alors sur la qualité de l’information et peuvent créer en nous des idées erronées à travers des mécanismes que nous détaillerons ci-après. Il est ainsi de notre responsabilité de faire preuve de prudence lorsque nous lisons ou regardons les actualités, afin d’éviter d’être trompé.e.s. Or, notre cerveau connaît des limites qui peuvent facilement l’amener à nous induire en erreur. Celles-ci renvoient à des biais cognitifs, définis comme des mécanismes de la pensée qui vont modifier notre perception de la réalité et influencer notre raisonnement de manière inconsciente.

Ces biais cognitifs sont des mécanismes créés par le cerveau afin de répondre à deux impératifs : notre survie et notre besoin de cohérence. D’une part, la prise de décision rapide a longtemps servi à agir de manière à se protéger d’un danger imminent. D’autre part, les biais cognitifs vont servir à nous convaincre de la véracité d’une information afin de préserver la structure cohésive de notre représentation du monde. Ainsi, ce que nous pensons être vrai est influencé à la fois par des facteurs externes, provenant de notre entourage, et internes, propres à nous-mêmes.

Déroulement de l’exposition

L’exposition « la nouvelle menace » [1], qui s’est tenue entre le 29 août et le 16 octobre 2022 à l’Uni Carl Vogt et qui a été organisée par le Bioscope et le Geneva University Neurocenter de l’UNIGE, prend la forme d’un parcours fictif simulant l’apparition d’une nouvelle pandémie en Suisse. Nous sommes alors amené.e.s à visionner une courte vidéo de dix minutes qui explique les origines du mal, celui-ci s’attaquant aux fonctions respiratoires des individus et pouvant s’avérer mortel. Les expert.e.s vont s’atteler à la tâche de savoir quelle est la provenance de la pandémie et émettre deux hypothèses : celle d’un pollen subtropical et celle due à la pollution du secteur agro-alimentaire. Plusieurs données statistiques, géographiques et autres nous démontrent que le nouveau modèle de combustion d’une industrie agro-alimentaire émet une particule qui est la cause-même de la pandémie. Les faits sont présentés de façon que l’on finit par y croire et par être convaincu.e que c’est cette deuxième hypothèse qui est à l’origine de la pandémie, alors-même qu’aucune démonstration falsifiant l’hypothèse du pollen n’est discutée. On apprend ensuite que l’autre moitié des personnes qui est venue voir l’exposition a vu la vidéo inverse, à savoir celle qui prouve que le pollen subtropical est à l’origine de la pandémie, alors même que les graphiques et schémas présentés dans les deux vidéos sont les mêmes. Simplement, les explications de ceux-ci divergent pour prouver deux hypothèses différentes. Nous avons été amené.e.s à croire ce que les expert.e.s disaient, trompé.e.s par nos biais cognitifs. Mona Spiridon (commissaire d’exposition) résume ce phénomène : « Même avec [un même set de] données, des gens peuvent avoir des conclusions totalement différentes parce que, simplement, ils vont choisir [celles] qui les arrangent, ils vont les interpréter d’une certaine manière, ils vont faire les comparaisons qui les arrangent. Au final, ils vont se convaincre d’une conclusion plutôt que d’une autre. » [2]

Ce scénario, qui n’est pas sans rappeler la crise du COVID, amène à se questionner sur les croyances que vous avons eues durant cette pandémie : d’où venaient-elles ? Ont-elles fait l’objet d’une analyse de notre part ou avons-nous eu tendance à tout prendre comme vrai ? Il convient de mentionner que des centaines d’études scientifiques ont été publiées durant cette période [3] et pourtant, nous semblions nous penser expert.e.s de cette maladie en nous appuyant sur notre expérience et les anecdotes de notre entourage et en les érigeant comme généralités. En fait, nous sommes certainement tombé.e.s dans de nombreux pièges de la pensée, les fameux biais cognitifs. Ceux-ci sont expliqués un peu plus en détails ci-dessous. Il convient de préciser que certains biais sont inévitables, mais qu’en avoir conscience peut nous aider à nous doter d’un esprit d’analyse et de critique plus aiguisé dans le traitement de l’information et lors de la vie quotidienne.

Lumière sur les biais

Dans une deuxième partie, l’exposition nous invite à entrer dans une salle munie de pancartes sur lesquelles sont expliqués les principaux biais cognitifs. Le plus répandu est le biais de confirmation consistant à choisir les faits qui confirment nos croyances. Notre esprit critique est utilisé pour contester les résultats contraires à nos hypothèses alors que nous ne remettons pas en question les études qui les confirment. D’autre part, nous avons en général l’impression d’être ouvert.e.s d’esprit lorsque nous débattons d’une idée alors qu’en réalité nous ne sommes pas toujours prêt.e.s à nous laisser convaincre et n’écoutons pas vraiment les avis contraires, cherchant plutôt à imposer nos opinions.

Le biais de cadrage, quant à lui, s’effectue dans la manière de présenter l’information, que ce soit le choix du titre, des images, des invité.e.s, de l’échelle choisie pour présenter les statistiques, etc. Souvent, les avis sont discutés dans un cadre bien défini qui exclut la présence d’hypothèses éloignées à la nôtre. Cette notion se rattache à la pensée de groupe : « les réseaux sociaux ou les discussions entre ami[.e.]s me permettent d’argumenter avec d’autres personnes qui pensent comme moi. Cela renforce l’idée que j’ai raison, car je suis très peu exposé[.e] à des points de vue contraires » [4].

Ensuite, l’effet de répétition s’exprime à travers l’« avalanche de titres et d’images qui donnent la même information à longueur de journée [et qui] la rend plus crédible » [4]. Ici, « la quantité justifie la validité » [4]. Par exemple, une hypothèse aujourd’hui encore envisageable, selon laquelle le virus du COVID-19 aurait été fabriquée en laboratoire par des scientifiques chinois, a été répétée à maintes reprises par de nombreux médias et personnalités publiques, ce qui a amené de nombreuses personnes à y croire [5].

Le biais d’autorité consiste à « s’appuyer sur une source légitime » [4]. Le danger va être celui de « rejeter les arguments qui s’éloignent de l’avis de mes expert[.e.]s préféré[.e.]s » [4] et de croire à la lettre des mots savants. Cette idée rejoint celle de l’argument d’autorité qui permet de donner plus de poids et de crédibilité à un argument selon son origine plutôt que selon son contenu.

D’autre part, l’illusion de corrélation, ou manipulation des données, est le fait de « faire dire aux données ce qu’on a envie d’entendre » [4] en les interprétant subjectivement comme cela nous convient le mieux, même s’il s’agit en fait d’un simple hasard. Nous allons traiter l’information en choisissant les données qui nous arrangent pour qu’elles correspondent à nos croyances. En effet, nous avons tendance à partir de notre conclusion et de sélectionner les données s’y relatant, plutôt que de partir des faits et voir ce que l’on peut en conclure (comme le feraient les éminents Columbo et Sherlock Holmes).

De son côté, l’attaque ad hominem ou ad personam, consiste à décrédibiliser son adversaire en l’attaquant de manière personnelle plutôt que sur ses arguments, en dénonçant par exemple des aspects de sa vie privée tels que ses liens potentiels avec des groupes, ses échecs, ses lacunes de compétences ou alors en citant ses propos hors contexte.

En dernier lieu, les témoignages de victimes permettent de s’identifier à celles-ci en se laissant persuader par les émotions (plutôt que de convaincre par des arguments). Les émotions sont aussi sollicitées dans la manière de présenter l’information : « une angoisse, une grosse colère ou une indignation vont beaucoup plus marquer qu’une longue explication » [4]. Ainsi, par exemple, on ne se rend pas compte de la manière dont nous sommes influencé.e.s lors d’un débat au cours duquel un.e expert.e s’énerve plus rapidement que l’autre – ce.tte dernier.ère s’exprimant peut-être mieux ou invoquant des expressions influentes, telles que « tout le monde le sait » ou « les études disent que… ».

Comme vous pouvez le constater, notre cerveau a l’embarras du choix quant au biais à employer, pouvant nous induire en erreur. Pourquoi, alors, tous ces biais existent-ils et pourquoi les applique-t-on parfois même de manière consciente ? Comme expliqué ci-dessus, le besoin de cohérence chez les êtres humains est fort. Nous avons besoin de trouver une vérité et de nous y tenir afin de donner du sens au monde qui nous entoure et à notre propre existence. C’est pourquoi nous allons avoir tendance à nous attacher à nos opinions au point de nous identifier à celles-ci. Si elles sont détruites, tout s’effondre. Notre système de survie fait donc en sorte d’éviter cela. Or, ces biais peuvent être dangereux lorsqu’ils enferment l’individu dans des croyances extrémistes comme le racisme, la xénophobie, l’homophobie, etc., l’effet prenant encore plus d’ampleur quand il concerne des masses. Finalement, vaut-il mieux douter sans cesse ou s’attacher à une vérité douteuse ?

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