L’évolution de la maternité depuis l’entre-deux-guerres

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Dès l’adolescence on demande aux jeunes filles si elles souhaitent un jour avoir des enfants, si oui combien, et parfois même quels noms ils porteront. Ces dernières années pourtant, de plus en plus de femmes se questionnent sur leur volonté d’avoir des enfants et la tendance n’est plus autant à la maternité. En effet, selon un sondage réalisé en septembre 2022 par le journal ELLE en collaboration avec l’Institut Français d’Opinion Publique (IFOP), 30% des femmes en âge et en capacité de procréer (de 18 à 49 ans) ne souhaitent pas avoir d’enfants [2]. Ces chiffres interrogent : quelles sont les raisons derrière un tel changement de tendance, et depuis quand se ressent-il ?

Si nous remontions le temps d’un siècle, au moment de l’entre-deux guerres ? Cette époque connaît un taux de mortalité plus élevé et les pays européens sortent d’une lourde crise démographique. Les Etats ont alors tendance à largement encourager la maternité. Il faut repeupler les nations et ainsi inciter les foyers à donner la vie [3]. En 1920, les mères de familles nombreuses obtiennent la médaille de la famille française : une reconnaissance pensée pour soutenir les naissances [4].

Le Monument aux Mères Françaises, situé proche du Boulevard Kellerman (Paris 13e), érigé en l’honneur des mères de l’entre-deux-guerres

La femme n’est réduite qu’à un unique rôle dans la société : celui de mère. Si cette vision est parfois perçue de manière positive et valorisante pour le rôle « central » de la femme dans la famille, elle est souvent détournée négativement et perçue comme dénigrante pour la position finalement « minime » (car unique) qu’elle occupe au sein de la société, face aux multiples positions et rôles qu’occupent les hommes dans les sphères sociales et familiales. Adolphe Pinard, obstétricien et homme politique français, l’exprime clairement : « il vaut mieux pour elle, dans un intérêt national bien compris, fabriquer des enfants que des fibromes » [4]. Pour la société, la femme de l’entre-deux-guerres n’a aucun intérêt à travailler ou à s’émanciper. Sa seule mission consiste en effet à donner naissance et à élever le fruit de son union avec son partenaire, dont l’occupation est d’offrir à sa famille le nécessaire pour pourvoir à ses besoins. Si la femme s’éloigne de cette destinée tracée pour elle, elle est rejetée par la société. Jacques Amédée Doléris, gynécologue français reconnu, décrit la situation ainsi :« Quel est le grand devoir de la femme ? Enfanter, encore enfanter, toujours enfanter ! Que la femme se refuse à la maternité, qu’elle la limite, qu’elle la supprime, et la femme ne mérite plus ses droits ; la femme n’est plus rien » [4]. Mais la femme de l’entre-deux-guerres s’obstine.

Divers.es féministes prennent position et revendiquent le droit à la contraception et la libre maternité : on peut citer la résistante française Berthy Albrecht qui a milité pour la libération sexuelle des femmes, ou encore Nelly Roussel, l’une des initiatrices de la « grève des ventres » de 1920 [5]. Des hommes rejoignent également le combat, comme Victor Margueritte dont l’œuvre « Ton corps est à toi », publiée en 1927, a été sujette à maintes polémiques [4]. Même si ces actions restent infimes sans être véritablement remarquées à l’époque, elles sont aujourd’hui largement saluées. 

Aux antipodes du contexte de l’entre-deux guerres, le cadre démographique actuel dévoile une pluralité d’opinions. Selon le sondage réalisé par ELLE et l’IFOP en 2022, 34% des femmes interrogées considèrent que « la maternité n’est pas nécessaire ou souhaitable au bonheur d’une femme, alors qu’elles étaient 12% en 2000 » [1][2]. Cela ne signifie pas qu’elles renoncent à leur maternité, mais le désir est bien amoindri par rapport au siècle précédent. Cette tendance est d’ailleurs assez récente puisqu’il y a seulement une quinzaine d’années, les femmes françaises étaient encore très nombreuses à envisager la maternité : en 2006, 98% des Françaises de plus de 15 ans en âge de procréer souhaitaient enfanter, alors qu’en 2022, 13% des Françaises du même échantillon préfèrent une vie sans enfant [2]. Aujourd’hui, les femmes ne perçoivent plus le rôle de mère comme un devoir ou une fonction sociétale à remplir, mais comme une envie, un besoin à la fois physique et émotionnel ; elles suivent leur intuition. Lorsqu’elles la désirent, les femmes perçoivent la maternité comme une évidence. Leur souhait est de pouvoir offrir de l’amour à leur enfant, lui transmettre leurs valeurs, partager des souvenirs et fonder une famille aimante [5]. Ce n’est plus la société qui leur impose leur enfant ; elles choisissent de l’avoir.

Cependant, le contexte politique, démographique et environnemental affecte considérablement la vision des femmes françaises sur la maternité. Certaines s’inquiètent pour la survie de leur enfant dans un monde en crise : elles craignent les guerres, les conditions précaires dues au changement climatique, la surpopulation [1][2]. Une femme interviewée dans le cadre du présent article a déclaré : « Si je veux avoir des enfants, je souhaite qu’ils puissent grandir dans un avenir sûr et prospère. Dans les conditions actuelles où notre génération ne sait même pas si elle pourra mourir naturellement, je ne pense pas que les générations futures pourront bien vivre » [6]. D’autres femmes présentent différentes justifications : l’envie de vivre pour soi, l’inquiétude omniprésente de ne pas être un « bon parent », ou encore la pression sociétale qui les effraie [7].

En Suisse, les inquiétudes sont assez similaires, mais les résultats ne sont pas les mêmes pour autant. Selon l’Office Fédéral de la Statistique (OFS), en 2018, 9,7% des femmes suisses entre 20 et 29 ans ne souhaitaient pas d’enfant [8], alors qu’elles étaient 6% en 2013 [9]. Les rapports prodigués par l’OFS n’indiquant pas le souhait d’enfants dans la tranche d’âge des 30-50 ans, d’autres comparaisons ne sont malheureusement pas envisageables. En 5 ans, les opinions ont peu varié concernant les jeunes femmes de 20 à 29 ans (la différence est uniquement de 3,7 points de pourcentage). Il y a cependant fort à parier que les statistiques changeront lors du prochain rapport de l’OFS, après une crise sanitaire, écologique, économique et politique qui a fortement marqué les esprits en 2020. Aujourd’hui,  la femme souhaite être libre de ses choix et de son corps. Quant à son refus, il peut être à la fois motivé par une inquiétude concernant la situation internationale et/ou par une simple absence d’envie [6][7].

Ainsi, alors que les femmes rêvaient d’être libres de leurs choix dans l’entre-deux guerres, cet objectif fut atteint plus tardivement au prix de nombreux efforts et combats… C’est notamment la raison pour laquelle la maternité fait l’objet de plus en plus de rejets aujourd’hui.

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