Présentes, quelle place pour les femmes ?

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Présentes se nourrit des entretiens menés par Lauren Bastide avec neuf penseuses et militantes féministes entre octobre 2018 et mai 2019 dans l’auditorium du Carreau du Temple. Elisa Rojas, Rokhaya Diallo, Alice Coffin, Caroline de Haas, Chris Blache, Pascale Lapalud, Hanane Karimi, Anaïs Bourdet et Marie Dasylva ont participé à la naissance de ce livre à travers ce que nomme Lauren Bastide « un travail collaboratif ».

« J’ai voulu écrire un livre engagé et radical. J’ai voulu aussi écrire un livre accessible et convaincant. Le résultat est entre vos mains, forcément imparfait ». L’autrice Lauren Bastide donne dans l’avant-propos le d’aller à l’essentiel tout en fournissant un maximum de documentation. Promesse tenue, le livre est rempli de références et d’informations, en note de ton de son livre qui promet bas de page comme à la fin du livre qui permettent d’appuyer les propos de l’autrice et aux lecteurs et lectrices de pouvoir poursuivre leur réflexion sur les différentes thématiques abordées.

Ville, médias, politique

Les deux premiers chapitres du livre questionnent la place des femmes dans l’espace public et l’invisibilisation qui s’opère dans de nombreuses sphères. « Pour que les femmes soient respectées, crues, valorisées, il faut, avant tout, œuvrer à ce qu’elles soient vues et entendues. Ce constat peut sembler simpliste, mais pour y aboutir, il faut commencer par faire quelque chose que personne ne fait jamais spontanément : compter ». C’est ainsi que Lauren Bastide débute sa réflexion par un constat fort et frappant : les femmes sont invisibilisées des lieux de pouvoir, de savoir et de parole. Pour le remarquer, il suffit alors de compter ! Les femmes ne représentent que 24% du temps occupé sur une journée de prise de parole médiatique. Les femmes expertes représentent 19% des expert-es interrogé-es dans les médias. Il y a seulement 17% de femmes présidentes d’université. Deux femmes récompensées du prix Nobel d’économie. 4% des rues françaises portent des noms de femmes. Compter permet alors de poser le cadre et d’en faire le point de départ de réflexions féministes et de changements.

L’autrice questionne alors la ville et son urbanisme en démontrant que l’espace public est à la fois source d’harcèlement de rue et de racisme, mais également un lieu qui exclut certains corps. Les femmes voilées, lesbiennes, trans, grosses ou encore handicapées se voient discriminées quotidiennement dans la ville. Pour l’autrice il faudrait repenser le paysage urbain de manière inclusive et féministe en démontrant les enjeux que revêt l’aménagement du territoire dans le déploiement des pratiques spatiales des minorités.

Adapter la ville aux femmes c’est le projet de Chris Blache, anthropologue urbaine et Pascale Lapalud, urbaniste, qui ont fondé en 2012 l’association Genre et Ville et qui ont eu comme projet de réaménager la place du Panthéon à Paris au sein du collectif Les Monumentales. Un parking a été modifié en un espace accueillant, confortable, propice aux rencontres et à la détente. Pour les chercheuses : « Si on installe des mobiliers inclusifs dans un environnement agréable, cela change la donne : les femmes se sentent plus légitimes pour rester dans l’espace public. »

Lauren Bastide est journaliste, cofondatrice du studio de production Nouvelles Ecoutes, créatrice du podcast La Poudre et autrice des ouvrages La Poudre tome 1 Ecrivain-es & Musiciennes et le tome 2 Féminismes & Cinéma.

Lauren Bastide questionne ensuite les médias, Internet et les réseaux sociaux dans le rôle qu’ils ont à jouer dans la visibilisation des luttes féministes. Pour l’autrice, les réseaux sociaux ont joué un rôle primordial lors de la déferlante #MeToo en 2017 où plus de 17,2 millions de tweets ont été comptabilisés en un an. Les nombreux comptes féministes sur Instagram font également avancer les mouvements et permettent la création d’espaces de partage et de parole inédits. Cependant, l’autrice rappelle l’importance de donner la parole aux femmes ainsi qu’à celles concernées sur les plateaux TV, dans les émissions radio et dans la presse. Lauren Bastide donne l’exemple des débats sur le voile en France entre le 11 et le 16 octobre 2019, où une enquête démontre que sur les 85 débats ayant pris place sur les quatre principales chaînes d’info françaises, aucune femme portant le voile n’a participé au débat sur 286 intervenant-es.

Lauren Bastide souhaite également visibiliser le travail de femmes inspirantes qui ont créé des outils efficaces et imaginatifs contre des discriminations vécues par les femmes. Comme c’est le cas avec Anaïs Bourdet, créatrice de la plateforme en ligne Paye ta shnek [1] qui recense en France des milliers de témoignages de femmes ayant subi du harcèlement dans l’espace public. Pour elle, il y a une croyance erronée que les harceleurs seraient les « Autres », ceux issus de quartiers populaires : « Mon travail est de rappeler que les hommes de tous les milieux peuvent harceler. Le harcèlement, c’est absolument partout. J’ai voulu le localiser pour montrer que ce n’est pas seulement dans les quartiers à forte population immigrée ».

L’imaginaire collectif pousse à croire que le harcèlement de rue ne se trouve que dans certains quartiers, mais la réalité prouve que le harcèlement est partout sans aucune barrière spatiale ni sociale. Sur la même lignée, Lauren Bastide déjoue la croyance selon laquelle la langue française est neutre et inchangée depuis toujours en expliquant qu’au Moyen-âge les mots « abbesses », « doctoresses » ou « mairesses » faisaient partie du langage courant et ont alors été supprimés du vocabulaire par l’Académie française vers la fin de la période de la chasse aux sorcières en Europe. Le mot « autrice » était encore vu en 2002 par l’Académie française comme une aberration lexicale. Pourtant la forme « autrice » existe depuis au moins le 1er siècle après Jésus-Christ en latin puis en français, explique Lauren Bastide.

Présentes en résistance

Dans le dernier chapitre du livre, l’autrice ne souhaite pas lister des solutions à appliquer car selon elle « Tout est là. Ce travail-là est fait. » Pour elle, les ouvrages, les rapports, les documentaires, les articles sont déjà accessibles. Il ne manque que de la volonté. Lauren Bastide s’adresse alors aux femmes souhaitant rejoindre le mouvement en donnant quelques pistes d’inspiration. Les collages féministes placardés sur les murs de la ville, les manifestations des femmes argentines pour le droit à l’IVG [2], la Gay Pride ou encore des actions plus quotidiennes comme répondre aux harceleurs, marcher fièrement dans la rue, ne pas s’excuser ou encore comme l’énonce Marie Dasylva : « Il faut arriver dans une pièce avec la confiance d’un homme blanc du CAC 40 ».

Finalement, Lauren Bastide insiste sur le mot « Sororité » qui permet de saisir l’importance dans le mouvement féministe de la solidarité entre toutes les femmes. Pour l’autrice, faire preuve de sororité c’est écouter et soutenir les femmes, quel que soit leur classe, leur race ou leur orientation sexuelle, « Il faut que nous soyons toutes, vraiment toutes, présentes dans le cortège, avec toutes nos voix, toutes nos vies, tous nos « je ». » Un grand projet qui promet de chambouler les esprits.

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