Angela Davis : « Notre activisme fait la différence »

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Cette année, dû au contexte sanitaire, la 19ème édition du Festival du film et forum international sur les droits humains s’est déroulée en ligne. Le mercredi 10 mars, la militante Angela Davis a donc pris la parole à distance pour revenir sur les moments clés de son combat. Le débat est modéré par Eléonore Sulser et Marie-Amaëlle Touré, deux journalistes du journal Le Temps. Retour sur ce grand rendez-vous toujours disponible sur le site du FIFDH ou sur YouTube (voir la vidéo ci-dessous).

Débat du FIFDH avec Angela Davis (10 mars 2021)

La journaliste Eléonore Sulser initie le débat : « Comment et quand avez-vous compris que vous marqueriez l’Histoire ? »Angela Davis revient sur son sentiment d’appartenir à un mouvement collectif. Pour elle, c’est là que réside le caractère central des luttes pour les droits humains. Née à Alabama aux États-Unis dans un contexte où la ségrégation raciale était très présente notamment avec la présence du Ku Klux Klan, Angela Davis a eu très vite conscience que le racisme était structurel et qu’il fallait le combattre. La militante déclare avoir eu le sentiment d’appartenir à un mouvement collectif historique contre le racisme lorsqu’elle était enfant. C’est d’ailleurs, selon elle « là que se trouve l’enjeu de la lutte, dans les mouvements collectifs et non individuels, c’est par là qu’on fait bouger les choses et qu’on exerce une pression sur le système en place. » 

Angela Davis a pu ressentir l’importance du collectif suite à son incarcération en prison en 1970. En effet, lors du procès de trois prisonniers américains accusés d’avoir tué un gardien dans la prison de Soledad en Californie, l’un des frères prend en otage la salle d’audience. Une prise d’otages qui finit par la mort d’un des juges et de deux des prévenus. L’enquête démontra qu’Angela Davis avait participé à cette prise d’assaut et fut alors mise sur la liste des dix personnes les plus recherchées par le FBI. Elle essaye de fuir mais est arrêtée deux semaines plus tard à New York pour être incarcérée. Risquant la peine de mort, de nombreuses voix s’élèvent à travers le monde pour défendre l’activiste. Jean-Paul Sartre, John Lennon ou encore les Rolling Stones, des soutiens de grande ampleur prennent place faisant pression sur l’opinion publique (1). En tant qu’individu elle n’avait pas la puissance suffisante pour survivre et se retrouvait donc comme une cible facile pour le gouvernement. C’est donc grâce à la pression exercée par les différents mouvements et à une mobilisation d’ampleur internationale qu’elle a pu être libérée seize mois plus tard. 

La militante se remémore également du jour où elle a aperçu sa tête sur un t-shirt portée par quelqu’un. Lorsqu’elle avait demandé pourquoi elle portait ce t-shirt, la personne lui répondit que lorsqu’elle le mettait elle se sentait puissante et prête à tout accomplir. Voilà ce que nomme Angela Davis le “Collective Empowerment” et c’est le message qu’elle souhaite faire passer : croire en la puissance du mouvement collectif.

Angela Davis née en 1944 en Alabama aux États-Unis, est une grande figure des mouvements féministes et antiracistes. Elle a consacré sa vie à dénoncer le racisme structurel, le système carcéral américain, la peine de mort et n’a cessé de lutter pour le droit des minorités. S’engageant dans le Parti communiste puis aux côtés des Black Panthers, elle est aujourd’hui écrivaine, professeure de philosophie et militante renommée. 

Angela Davis revient alors sur la mort de George Floyd en mai 2020, un afro-américain noir assassiné par un policier blanc à Minneapolis, dans le Minnesota aux États-Unis. Les dernières minutes filmées de la vie de Floyd ont été pour elle terribles mais elles sont aussi un rappel de la présence continue du lynchage aux États-Unis. Le 20 avril dernier le verdict est tombé. Le policier blanc Derek Chauvin est déclaré coupable du meurtre de George Floyd, une sentence qui tend vers une conscience juridique de ces actes de violence (2). En 2020, une personne noire a cinq fois plus de chance de se faire arrêter par la police déclare la journaliste Marie-Amaëlle Touré. La militante ne compte plus en effet, le nombre d’assassinats de personnes noires dans les mains de la police. 

Pour elle, néanmoins, il y a eu une prise de conscience collective du caractère institutionnel, systémique et structurel du racisme. En effet, en réponse directe à la mort de George Floyd, des manifestations et des émeutes de grande ampleur ont eu lieu aux États-Unis et partout dans le monde pour dénoncer les violences policières et le racisme. Pour Angela Davis, « notre activisme fait la différence et on doit apprendre à reconnaître nos victoires même si elles sont petites et même si elles ne transforment pas radicalement les conditions que nous voulons changer. »Le racisme n’est donc plus vu comme quelque chose à changer à l’échelle individuelle, mais bien comme un processus structurel, institutionnel et ancré à un niveau plus global. L’intérêt est donc de s’attaquer non plus aux actions individuelles des policiers, mais bien à l’infrastructure même de la police où le racisme y est ancré. Pour la militante les solutions concrètes sont donc à chercher par exemple du côté des enjeux de la communauté et du non-financement de la police.

Peinture murale de George Floyd à l’extérieur de Cup Foods à Minneapolis, États-Unis .

Elle reconnaît néanmoins la nécessité de l’incarcération et de la poursuite judiciaire individuelle des officiers de police, responsables d’actes racistes, et ce, même au vu de ses revendications abolitionnistes concernant la politique carcérale. Elle explique en effet qu’elle souhaite une vision plus globale du racisme, et une compréhension systémique de celui-ci, car l’individualisation ne changera pas le racisme systémique, mais qu’il reste important de poursuivre ces individus pour renverser le rapport de force actuel. 

Le groupe de travail sur les violences sexistes évoque l’insertion de la notion du consentement dans la loi suisse (3) et interroge l’activiste sur que faire notamment avec les auteurs de ces violences sexistes, de viol et comment protéger les victimes de ces récidivistes. Les violences de genre sont pour la militante “une pandémie” en termes de violences à travers le monde. Malgré des mouvements, des formations, des agences, des centres et hotlines anti-viol, l’incidence de violence sexuelle reste inchangée depuis un demi-siècle. Elle rappelle en plus qu’aux États-Unis, il y a eu plusieurs cas où des femmes* subissant des violences domestiques ont dû faire face en plus à une répression policière. Des femmes* ayant subi un viol, en subissent alors dans certains cas un deuxième par la police. Face à ces actes on peut alors se questionner sur comment punir ces auteurs de violence.

Cependant la militante est persuadée que « mettre les auteurs de ces violences en prison et donc les placer dans un environnement basé sur la violence ne résoudra pas les violences genrées à travers le monde. » Pour Angela Davis, les violences de genre et le racisme sont des phénomènes structurels. L’éclairage est à mettre non pas sur les auteurs de ces violences mais plutôt sur les raisons qui font que la société les tolère et les encourage. Les violences sont pour elle interconnectées et on ne peut les séparer. Par exemple, l’activiste cite le cas des femmes trans de couleur qui sont les plus persécutées et qui subissent le plus de violences ce qui confirme à quel point elles sont liées et indissociables. Il faut les penser donc conjointement. Un féminisme abolitionniste contre les prisons et la police voilà ce qui semble pour elle pertinent à l’opposé d’une Europe où l’on voudrait abolir la prostitution. Elle déclare en effet avec conviction : « nous soutenons les travailleur.euses du sexe à être libres des violences de genre. »

Angela Davis évoque également les mouvements du “Black Lives Matter” qui sont pour elle une continuité des mouvements précédents, notamment du Black feminism ou du mouvement des Black Panthers. Il est important de reconnaître que l’histoire des afro-descendants américains a toujours été une histoire de luttes que ce soit aux États-Unis, aux Caraïbes ou en Amérique du Sud. Ces luttes façonnent donc aujourd’hui les expériences vécues par les afro-descendants.

Lors du débat du FIFDH du 10 mars 2021

Pour Angela Davis, le capitalisme est la source de toutes les oppressions. C’est en effet via le système capitaliste que le racisme a pu trouver racine dans les sociétés occidentales. La militante contextualise ce phénomène : tandis que les États-Unis se sont construits sur l’esclavage, et que la prospérité économique a pu être atteinte par l’oppression raciale, l’Europe quant à elle trouvait son essor dans le colonialisme, autre forme de rapport de pouvoir tout autant destructeur. Ces institutions ont selon elle façonné le monde et de facto permis à un racisme systémique de naître, en tant que moteur de la croissance économique.

Elle explique que les sociétés européennes ont eu du mal à reconnaître leur propre racisme, en comparant leur vision de la liberté idéalisée avec celle des États-Unis. L’Europe a en effet facilement théorisé les concepts de liberté et d’égalité sans pour autant l’appliquer. De ce fait, elle ferme les yeux sur ses propres problématiques, dont notamment l’islamophobie et le colonialisme. Il faudrait donc déconstruire le postulat selon lequel les sociétés occidentales ont des systèmes plus libres et égaux sur le seul fait de leurs idéaux politiques fondateurs, car ceux-ci sont nés dans des contextes racistes qui n’englobent donc pas les droits de chacun.e.x.

Selon elle, le système capitaliste n’a pas seulement permis de faire naître un racisme systémique, mais il est aussi la source des oppressions de genre et de la dégradation climatique. Elle nomme ce phénomène le « triple-jeopardy ».

À ce sujet, elle considère que l’intersectionnalité se répand au travers du monde : par exemple les luttes féministes n’établissaient, à leur naissance, pas de lien entre oppression raciste et oppression de genre. Or, les mouvements féministes africains, latino-américains, asiatiques permettent de replacer cette violence dans son contexte institutionnel et prouvent que les deux sont liés. Dans sa réponse au collectif féministe genevois Les Foulards Violets concernant la convergence des luttes féministes musulmanes et des autres, elle aborde d’ailleurs la croissance généralisée de la puissance des femmes* (4), et que pour répondre à une oppression de genre, il est nécessaire d’analyser le contexte global de la naissance de cette violence.

Enfin, pour Angela Davis, la justice climatique est la base de toute justice sociale, car pour elle, il n’est pas possible de construire un monde équitable et juste sur la base de l’oppression de notre environnement. Cette oppression met d’ailleurs en exergue les inégalités de classes, de genre et de race. La crise climatique creuse les écarts, car ce sont les personnes les plus précarisées qui en seront les premières victimes. Pour elle, il est donc nécessaire d’aborder la crise climatique sous l’angle social, car les deux luttes sont intrinsèquement liées.

La solution serait donc de créer un nouveau système économique qui ne concentrerait pas toutes les richesses entre les mains de très peu de personnes, mais plutôt de créer des communautés stables et sécurisantes autant économiquement que structurellement et d’y réinjecter de la valeur. L’abolition du système carcéral est également nécessaire, car il ne fait que perpétuer violence et racisme en continuant de cibler et stigmatiser les mêmes communautés sans autre possibilité de réinsertion ou de compréhension. Selon elle, « la violence ne peut être résolue par la violence ». Enfin, en ce qui concerne la politique, elle considère qu’il faut nécessairement continuer à élire des personnes sensibles à ces luttes, mais qu’il ne faut pas leur accorder de pouvoir décisionnel concernant les mouvements sociaux. Le choix doit rester aux personnes qui les font vivre. D’ailleurs, la lutte ne se finit pas lorsque la foule ne se trouve plus dans la rue, car c’est en chacun.e.x qu’elle continue à subsister.

Elle dit au sujet des dernières élections remportées par Joe Biden que c’est une victoire sur laquelle il ne faut pas se reposer, car ce dernier est responsable de l’incarcération massive de personnes noires et que Kamala Harris n’a pas toujours été la plus progressiste en matière de justice pénale. 

Angela Davis reste cependant très optimiste et est pleine d’espoir quant à l’avenir. Selon elle, « on fait maintenant ce qu’on aurait dû faire 150 ans plus tôt » ce qui est un grand signe d’espoir pour l’avancement de ces luttes. L’activiste passe la relève aux nouvelles générations pour continuer à mener à bien ces combats collectifs pour tendre vers un avenir antiraciste, antisexiste et anticapitaliste où tout le monde vivrait libre et égal.

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