Un ancien commandant libérien jugé pour crimes de guerre au Tribunal Pénal Fédéral

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Il s’agit d’un procès particulièrement symbolique qui se tiendra au Tribunal pénal fédéral (TPF), à Bellinzone: Alieu Kosiah, un ancien commandant libérien du United Liberation Movement for Democracy in Liberia (ULIMO) y sera jugé pour crimes de guerre. Symbolique, d’abord car il s’agira du premier procès pour crimes de guerre en Suisse devant les autorités pénales ordinaires, mais également du fait que M. Kosiah sera le premier membre de l’ULIMO à être jugé pour de tels crimes. Le procès devait se tenir au mois d’avril, mais le coronavirus a astreint les magistrats à le repousser. Nous avons rencontré Romain Wavre, conseiller juridique et membre du réseau Civitas Maxima [1] qui nous a aidé à comprendre les rouages de ce procès.

Le rôle de Civitas Maxima

C’est au mois de novembre 2014 qu’ Alieu Kosiah est arrêté en Suisse. Civitas Maxima, réseau international d’avocats et d’enquêteurs pour des affaires de crimes contre l’humanité est alors immédiatement contacté. Il est vrai que son directeur, Alain Werner, avocat genevois, a une connaissance particulièrement poussée de l’Afrique de l’Ouest pour y avoir travaillé comme avocat pour le Bureau du Procureur du Tribunal Spécial pour la Sierra Leone (TSSL) à Freetown et à La Haye. À cette occasion, il a en outre participé au procès de l’ancien président du Libéria Charles Taylor [2]. C’est d’ailleurs lors de cette dernière affaire qu’Alain Werner rencontrera Hassan Bility, journaliste libérien et témoin lors du procès de Charles Taylor à la fin des années 2000. Peu de temps après, ils fonderont respectivement Civitas Maxima et le Global Justice and Research Project (GJRP), une organisation non-gouvernementale qui a pour but de documenter les atrocités commises au Libéria en temps de guerre.

Créé en 2012 par Alain Werner, « Civitas Maxima a pour but de permettre aux victimes de crimes de guerre d’avoir accès à des mécanismes judiciaires quels qu’ils soient » affirme Romain Wavre. Le fait que le procès d’Alieu Kosiah se déroule en Suisse tient d’ailleurs plutôt du hasard: « L’organisation n’a pas forcément pour but d’agir en Suisse. Il s’est avéré qu’on avait un dossier en Suisse parce qu’on a découvert qu’Alieu Kosiah y résidait. En soit, Civitas Maxima se veut plus comme une organisation de réseau: l’idée de Civitas Maxima, c’est de faire le lien entre les victimes qui existent partout dans le monde, et n’importe quel instrument de justice. »

Si ce procès se déroule en Suisse, c’est aussi parce que la Cour Pénale Internationale (CPI) n’est pas compétente pour juger des crimes s’étant déroulés avant le 1er juillet 2002 (date de l’entrée en vigueur du Statut de Rome) et les faits reprochés au prévenu datent du milieu des années 1990. La Suisse, en revanche, est compétente pour juger des crimes contre l’humanité, crimes de génocide et crimes de guerre (article 264m du Code pénal) du moment que le prévenu se trouve en Suisse et ne soit pas extradé ou remis à un tribunal pénal international.

Un travail de longue haleine

Alieu Kosiah est actuellement en détention préventive et sera jugé pour crimes de guerre. Les 7 victimes libériennes lui reprochent d’avoir « participé directement à des crimes de masse et notamment des tueries pratiquées de façon systématiques et commises contre des civils par les forces ULIMO entre 1993 et 1995 dans le district de Lofa au nord-ouest du Libéria » , mais également « des actes de violence sexuelle, de recrutement [3] d’enfants soldats, de pillage » et autres atrocités passibles de sanctions, comme du cannibalisme [4].

Dans un procès pour lequel les évènements se sont produits plus de 20 ans auparavant, Civitas Maxima n’a eu d’autre choix que de compter sur le témoignage des victimes. « Dès qu’on a su qu’il était en Suisse, on a collaboré avec nos partenaires locaux, qui sont des enquêteurs et qui ont une connaissance approfondie du conflit au Libéria. Ils nous ont rapidement informés des soupçons à l’égard d’Alieu Kosiah. On ne dépose évidemment pas de plainte sur des rumeurs. Ils ont enquêté, on a identifié un certain nombre de victimes, puis en juillet 2014 on a déposé un certain nombre de plaintes pénales contre Alieu Kosiah, une fois qu’on avait compris son parcours pendant la guerre, où il s’était trouvé et quel avait été sa position. » confie Romain Wavre. Ce sont en effet les enquêteurs du GJRP présents sur place qui s’occupent de rassembler les premières preuves et identifient les victimes. Pas simple de gagner la confiance des locaux lorsque l’on est européen et blanc. « Il y a une foule de complexité dont on ne comprend de loin pas toutes les subtilités », ajoute le conseiller juridique.

Ce sera après ce premier travail de terrain que les collaborateurs de Civitas Maxima s’occuperont des interviews plus approfondies et recueilleront les témoignages. Grâce à ces derniers, ils se sont rendu compte que « c’était quelqu’un de haut gradé, qui a accédé à des positions dirigeantes importantes dans l’organisation militaire. Il avait des responsabilités de poids non seulement militaires, mais également d’un point de vu criminel ». C’est ainsi qu’après 5 années d’enquête, en 2019, le Ministère Public de la Confédération (MPC) annonce le renvoi en jugement du prévenu en avril 2020.

Un procès menacé par le coronavirus

Le coronavirus pourrait bien venir jouer les trouble-fête dans ce procès. En effet, ce dernier a été repoussé et devrait se dérouler en juin ou en juillet lorsque, espérons-le, la vague virale sera derrière nous. Mais ce qui inquiète surtout Romain Wavre, c’est la progression du virus en Afrique de l’Ouest. Car si le virus atteint un pic particulièrement violent dans cette région, ce sont les témoins qui ne pourront pas être du voyage, ce qui risquerait de mettre à la mal le bon déroulement du procès.

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