Ma Vie Avec John F. Donovan, une étape du cinéma de Xavier Dolan

Avatar de Webmaster de Topolitique

Que devrait-on savoir d’un artiste ? Cette question trotte en tête après le visionnement de Ma Vie avec John F. Donovan de Xavier Dolan. Le film entrelace les destins de Rupert Turner et de John F. Donovan. Rupert Turner est un acteur reconnu, qui raconte sous forme d’interview comment, enfant, il décide d’envoyer une lettre à son idole John F. Donovan, alors acteur principal d’une célèbre série télévisée. S’ensuit une amitié par lettres interposées qui pousse le jeune Rupert à poursuivre son rêve de devenir acteur. De l’autre côté du globe, aux Etats-Unis, le monde du showbiz pousse John F. Donovan dans ses retranchements. De ses relations familiales tumultueuses à son homosexualité, la star ne laisse rien transparaitre. Il joue le jeu d’être en couple avec une actrice tout aussi célèbre que lui. Percé à jour alors qu’il se rapproche d’un acteur en soirée, il se retrouve au cœur d’une tourmente médiatique et marginalisé de l’industrie du cinéma.

Ma Vie avec John F. Donovan peut se lire de deux manières. D’une part, véritable lettre d’amour au cinéma, il transmet une note d’espoir. Confronté à des obstacles dans son parcours d’enfant-acteur, Rupert Turner finit par concrétiser son rêve. D’autre part, le film dénonce le double-jeu du monde du showbiz. Forcé à s’inventer un masque de réputation, John F. Donovan est sous pression et fait face à une compétition sans pareille. Une dualité entre mensonge et vérité qui transcende à la fois le fond et la forme du film.

Au summum de sa carrière, John F. Donovan fait la couverture d’un magazine. On y lit la maxime suivante : Avoir du style, c’est savoir qui on est. Ce choix de scénario par Xavier Dolan semblerait indiquer que le réalisateur sait qui il est, pour questionner l’industrie dans laquelle il évolue. Enfant-acteur, d’abord dans la publicité, il se tourne par la suite vers le cinéma. Doublages, scénario, réalisation, production, montage, carrière d’acteur : à 30 ans, rien ne semble lui faire peur [i]. Il a réussi à présenter un film par année depuis ses 20 ans. Cette cadence prolifique lui a valu d’être récompensé aux quatre coins du globe, du Festival de Cannes à la Mostra de Venise [ii]. Et d’être l’invité d’honneur de l’édition 2019 du Geneva International Film Festival. Il y a d’ailleurs reçu le tout nouveau Geneva Award et son film Ma Vie avec John F. Donovan a fait salle comble lors de la cérémonie de clôture du festival [iii]. Cerise sur le gâteau pour le public suisse ? Le réalisateur était présent et très disposé à répondre à toutes les questions.

Mais quand l’audience lui demande s’il sait qui il est, Xavier Dolan hésite. S’il dit n’avoir jamais été aussi proche de se découvrir, il nuance toutefois : « Film après film, chaque rencontre, chaque expérience est comme un coup de pioche dans un bloc de pierre qui me permet de m’approcher de qui je suis vraiment. »

Une étape dans les réalisations de Xavier Dolan

Si Xavier Dolan devait choisir le personnage de Ma Vie avec John F. Donovan dont il se sent le plus proche, ce serait le jeune Rupert Turner. Le canadien s’identifie à la scène comique dans laquelle Rupert Turner crie d’excitation devant le dernier épisode de sa série préférée. En effet, le réalisateur canadien se dit plus distant du drame de John F. Donovan. A l’inverse de ce second personnage, il se sent reconnaissant d’avoir pu évoluer dans une communauté artistique ouverte et de n’être pas forcé à vivre une double-vie.

Xavier Dolan durant le tournage du film en 2016.

Depuis son premier film, J’ai tué ma mère, sorti en 2009, Xavier Dolan a gagné en maturité. Ma Vie avec John F. Donovan a trainé : tourné en 2016, sa production a été finalisée en 2018 pour une sortie en France début 2019. Une attente bienvenue car l’effort artistique fourni est prodigieux. Non seulement le fond est double, entremêlant les destins de Rupert et de John, mais la forme aussi. Xavier Dolan explique qu’il a souhaité « montrer la solitude d’un homme [John] qui a créé le vide autour de lui » à travers le contraste de deux univers. Le premier se crée dans des scènes d’intérieur chaleureuses, dans les couleurs orangées sur arrière-fond sombre. Les scènes d’extérieur sont quant à elles, pluvieuses, bleues, dynamiques. D’un point de vue artistique, il réussit à allier flou artistique et netteté tranchante. Tout cela avec de nombreux décalages entre image et bande sonore, rires obsédants en échos pour insister sur les rumeurs, les fausses apparences du showbiz.

Le casting, composé de têtes d’affiches tel-le-s que Natalie Portman, Kit Harington et Jacob Tremblay incarne les rôles à merveilles. Ils-elles n’ont pas le choix : quand la caméra les filme, leurs visages sont mis à nu par de très gros plans. Pas d’autre choix donc que d’interpréter les nuances émotionnelles à la perfection. Leurs répliques sont humoristiques, crues et réalistes à souhait, ce qui rend les personnages attachants.

How could you have stolen a place that was made just for you?

La touche d’espoir la plus symbolique du film se trouve être une scène tournée dans une arrière-cuisine miteuse. John F. Donovan échange avec un vieil homme et lui explique qu’il a l’impression d’être un imposteur dans sa propre vie. Sagesse à la Dumbledore [iv] à l’appui, l’homme lui demande « Comment auriez-vous pu voler une place qui est faite pour vous ? ». Une leçon toute droit venue du parcours de Xavier Dolan ? Peut-être car le canadien occupe une place montante dans le monde du cinéma. Et quand on lui demande si le film est très lié à sa vie et s’il aurait pu y jouer le rôle de Rupert Turner adulte ou John F. Donovan, il répond du tac au tac : « Là-dedans, j’aurais pu jouer quel rôle ? ». Rires du public. L’effet Dolan est arrivé en Suisse…

Tagged in :

Avatar de Webmaster de Topolitique

Laisser un commentaire