« Dans les esprits, la guerre froide n’était pas terminée » Interview d’un Conseiller à l’OSCE

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Fondée en 1975 à la suite d’un long processus de négociation, la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) est rapidement élevée au statut de modèle de réussite de négociation internationale. Regroupant tant les puissances de l’Est que de l’Ouest, elle profite de la période de la détente pour se présenter comme un forum de discussion capable de tempérer la confrontation de la guerre froide et d’éviter une nouvelle crise des missiles. Avec l’effondrement de l’Union Soviétique, cette conférence se transforme, s’institutionnalise et devient une véritable organisation, prenant le nom d’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). Dans un monde privé de la bipolarité qui l’avait fait naître, l’organisation peine toutefois dans les années 1990 à se reconfigurer pour faire face à l’instabilité du monde post-soviétique. A l’heure de la guerre en Ukraine, elle symbolise l’échec d’un multilatéralisme préventif, pourtant longtemps considéré comme prometteur. Retour historique sur les succès et les errances d’une organisation méconnue.  

Interview de Hans-Georg Lüber, par Axel Cottet pour TOPO :

TOPO : Au sein de l’OSCE, les décisions se prennent au consensus absolu. Vous avez présenté le droit de véto qui en résulte pour chaque pays comme un mécanisme d’inclusion qui avait initialement rassuré les Etats, mais également comme un frein à l’opérationnalité de l’organisation. Quelles réformes pourraient être envisagées pour empêcher les blocages répétés ?

Hans-Georg Lüber (HGL) : Excellente question. Il y a eu des tentatives d’instauration du consensus minus one [1]. Lorsqu’un même participant bloque une décision, on s’accorderait à la prendre sans lui au nom du consensus minus one. Le projet a été étudié, sans toutefois être adopté, puisque précisément le one serait la Confédération de Russie. Dans d’autres cas, comme le Haut-Karabagh, l’Azerbaïdjan et l’Arménie ont eu recourt à une stratégie de highjacking, de détournement du débat pour se faire entendre. On observe dans ce cas un phénomène de spoiling : on enterre une décision en mobilisant un propos complètement différent. C’est un problème. Le consensus reste le Saint Graal: un système compliqué, mais acceptable pour tout le monde. Ce genre de processus décisionnels ne s’abandonne pas facilement par les Etats participants. Le consensus minus one était la seule initiative constructive et créative, mais elle a été refusée. 

TOPO : Par la Russie ?

HGL : Par la Russie et par d’autres. Ils estimaient que la réforme du principe d’unanimité serait dangereuse. L’OSCE en tant qu’organisation est vulnérable : il vaut mieux être lent et ne disposer que d’un dénominateur commun faible, que de ne rien obtenir. Le consensus est important et difficile à abandonner. 

TOPO : On observe ici les limites de l’action de l’OSCE, que votre conférence a présenté comme un héritage de l’immédiat après-guerre froide, caractérisé par l’incapacité des organisations internationales à prendre en charge la nouvelle conjoncture mondiale. Quelles ont été les erreurs de l’OSCE au cours de cette période de reconfiguration ?

HGL : Après une guerre, on observe toujours un acteur renforcé et un acteur affaibli. Souvent, lorsque la victoire est claire, la paix est dictée par les gagnants. Après la guerre froide, on a un sentiment de victoire de l’OTAN [2] et de l’Ouest, ce qui est dangereux. Dans les esprits, on a en effet cherché à imposer un modèle de fonctionnement à ce qui restait de l’Union soviétique. On a par exemple déclaré que la forme de gouvernement acceptable était la démocratie ; les Russes ont adhéré à cela, et ont depuis joué à la démocratie, en organisant des élections – tout de même un peu dirigées. C’est à ce moment que l’erreur a été commise de ne pas bien écouter la Russie, qui avait des problèmes. La Russie a même tenté de se rapprocher de ses anciens ennemis, voire d’intégrer l’OTAN, mais l’Allemagne et la France n’était pas prêtes à écouter les préoccupations russes. Dans les esprits, la guerre froide n’était pas terminée. On l’observe encore à ce jour lorsque certains pays développent des idées et les réunissent au sein d’un paquet de réformes et de mesures. On crée en effet souvent un paquet de l’OTAN, qu’on cherche ensuite à imposer à la Russie. Cette approche n’est pas la bonne. Il faudrait trouver une solution ensemble, et non l’un contre l’autre. Cet esprit manque. 

Pour penser la réforme des institutions, il faut réfléchir à ces questions. D’une certaine manière, chacun[.e] a des devoirs et doit y travailler : changer son attitude et développer un esprit de construction. Pour l’instant, je ne le vois pas. La Suisse joue ici un rôle essentiel, pour établir des ponts. Les Russes viennent souvent nous voir, pour nous parler, nous poser des questions. Et parfois, cela est mal vu par l’OTAN. 

Aujourd’hui, avec la guerre, tout refait surface. La discussion de la neutralité suisse est lancée.  La question de la pertinence pour un petit pays d’adhérer à l’OTAN est soulevée. Nous sommes sous le parapluie défensif de l’OTAN de facto, mais non de jure. Mais une adhésion à l’OTAN impliquerait de suivre ses règles : envoyer des soldats suisses à l’Est, augmenter son budget militaire à 2% du PIB – soit 15 milliards pour la Suisse [3]. Il faut réfléchir à ses conséquences car on ne peut pas prendre sans donner. 

TOPO : Vous aviez mentionné au cours de votre conférence que l’OSCE n’avait pas pu agir suffisamment dans le cadre particulier du conflit du Haut-Karabagh [4], dont la situation avait très peu évolué depuis 1994. Dans ce cas précis, quelles ont été selon vous les erreurs de l’organisation et comment aurait-elle pu les éviter ? 

HGL : Je pense que la groupe de Minsk [5] n’était pas suffisamment uni. Des intérêts particuliers, surtout parmi les coachers, ont interféré. Russes et Américain[.e.]s ont eu des agendas cachés:  les Russes estimaient que le territoire faisait partie de leur sphère en tant que territoire de l’ancien Union Soviétique et les Etats-Unis ont voulu empêcher cela. La question de la religion a également pesé : la Turquie a beaucoup aidé l’Azerbaïdjan, pays musulman. Les Etats-Unis ont, eux, plutôt soutenu l’Arménie. De plus, le temps joue contre l’Arménie ; l’Azerbaïdjan a des ressources, l’Arménie n’en a pas. Il y a eu plusieurs Bruchlinie, plusieurs fissures, sur plusieurs sujets. Nous [l’OSCE] n’étions pas prêt à y répondre.  Pour résumer, ceux qui étaient en charge du dossier [la Russie et les Etats-Unis, ndlr] avaient des intérêts propres trop marqués. 

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