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Sociétés d’étudiant.e.s : des préjugés à la réalité

Avatar de Elise Vonaesch

Lien vers l’enquête du Blickhttps://www.blick.ch/fr/news/societe/plongee-vertigineuse-pistons-discriminations-bizutages-notre-enquete-sur-les-societes-detudiants-id16586488.html

« Je suis rentrée par hasard, mais ce n’est pas par hasard si j’y suis restée » déclare Louise*, se rappelant son entrée à Belles-Lettres VD. « On vit dans une société très individualiste, et tout d’un coup on entre dans quelque chose de très communautaire où tu t’identifies ; tu as un groupe d’ami.e.s auquel tu es reliée par des traditions, des chants et le port de couleurs [1]. C’est ce qui m’a plu. »

Les sociétés d’étudiant.e.s sont des fraternités et sororités dont les plus anciennes existent depuis le XIXe siècle. Leurs membres, appelés communément sociétaires, tiennent séance un soir par semaine et portent une casquette ou un bérêt, ainsi qu’un ruban de couleur déterminant à quelle société ils ou elles appartiennent. Les couleurs de Belles-Lettres, par exemple, sont vert-rouge-vert. 

Elles sont rares, mais elles existent : Belles-Lettres est la plus ancienne société d’étudiant.e.s romande – fondée en 1806 [2]  – et, tout comme l’Adelphia et l’Athena, il s’agit d’une société latine sans hiérarchie ni jeux de bières ni encore  bizutage [3] : « Pour ma part, je suis fermement contre les pratiques de bizutage ainsi que les hiérarchies très strictes, » déclare Lara*, membre de l’Adelphia. Ces pratiques se retrouvent  effectivement dans les sociétés dites germaniques, mais les membres affirment qu’elles ne sont en aucun cas dégradantes : « À Genève, du moins dans ma société [Stella GE], elles se font dans le respect de la personne. Je n’ai jamais vu quelqu’un se faire humilier ni être forcé pour quoi que ce soit. » confie Camille*. Elle ne peut néanmoins pas certifier que ce soit le cas dans toutes les sociétés. 

Ces pratiques constituent effectivement un héritage du XIXe siècle, plus ou moins conservé selon les sociétés. La plupart évoluent selon l’époque, mais le nom reste le même. Le “bizutage” ou charriage permet surtout de tester la motivation du ou de la candidat.e : « Ces rites de passage peuvent sembler sectaires, disons-le, mais ils permettent au candidat de sentir qu’il fait entièrement partie de la société en ayant dû lutter pour s’intégrer. » soutient Camille. « L’entrée dans toute communauté se fait par un rituel, rappelle Shiva, Helvétien VD. On remplit un formulaire, on acquiert un nouveau nom… les charriages n’en sont que l’expression dans le cadre des sociétés d’étudiant.e.s. »

Parmi les sociétaires de Genève et de Lausanne, seul.e.s 1.8 % des participant.e.s disent avoir de mauvais souvenirs de leur admission ou autre rite de passage [4]. Quentin*, sociétaire de Lausanne, admet que le charriage était un moment difficile à passer : « Aujourd’hui j’en rigole, mais sur le moment, je n’ai pas trop aimé. » Toutefois, il ne trouve pas ce passage dénué de sens : « Je considère le charriage important, mais il faut connaître certaines limites de la personne. » En effet, si l’admission reste une étape marquante, ce n’est pas sans but : « Je pense que c’est un héritage, un ciment qui perpétue notre cohésion jusque dans nos souvenirs. » déclare Elie, ancien président de Zofingue GE. Ces rites demeurent secrets, les membres n’ont pas le droit d’en parler autour d’eux : il est donc difficile de savoir réellement ce qu’il en est. Toutefois, parmi les admissions qui ont mal tourné, elles seraient très rares et n’existeraient même plus selon Alexia*, membre de l’Athena : « Bien souvent, les personnes souhaitant critiquer le monde sociétaire se servent de ces quelques histoires pas très glorieuses pour montrer le côté sombre. […] Ce genre de traditions avaient peut-être lieu dans certaines sociétés il y a quelques années, mais elles n’ont plus cours de nos jours. »

Quant aux duels à l’épée évoqués dans le Blick, ils semblent ne pas avoir migré en Romandie, ou du moins ont disparu depuis. Les fameux duels de bière les ont remplacés et servent ainsi à régler les différends entre les membres. De cette manière, le conflit devient presque un jeu puisque tourné à la dérision, plutôt bon enfant, et assure ainsi une bonne entente entre les membres, explique Camille. « Et si on n’aime pas la bière, on évite de provoquer des gens en duel… » 

En outre, les sociétaires ne jugent pas leur consommation d’alcool excessive ; des associations universitaires organisent elles aussi des soirées où les boissons alcoolisées coulent à flot. La différence réside donc essentiellement dans le fait qu’une association estudiantine a un but défini et/ou représente une faculté précise ; elle est également bien plus récente que la plupart des sociétés d’étudiant.e.s. 

Certain.e.s latin.e.s sont assez sceptiques quant au système de hiérarchie présent chez les germaniques. Pour Shiva, elle est naturelle et simplement plus visible dans les sociétés d’étudiant.e.s : « La hiérarchie est présente dans toute communauté : la distinction adulte / enfant en est un exemple flagrant et transposable à la dualité Fuchs / Bursch [5] par exemple. Ici, le critère de distinction est l’expérience. » 

Cette différence entre latin.e.s et germaniques ne semble pourtant pas affecter les relations intersociétaires : « Je me suis assez rapidement habituée à l’ambiance des sociétés germaniques, qui s’adaptent d’ailleurs souvent à nos us et coutumes lorsque nous passons des soirées ensemble. » précise Lara peu de temps après son admission. Et Alexia de confirmer la proximité des sociétés :  « Ce qui m’a frappée quand je suis entrée dans le monde sociétaire est le fait que tout le monde se connaît ! »

Néanmoins, cela ne semble pas conduire à un quelconque piston : beaucoup soutiennent que, contrairement à ce qu’on entend, être membre d’une société n’aide pas à trouver un travail : « La seule fois où j’ai eu un entretien avec un sociétaire, je n’ai pas été prise pour le poste » précise Alexia. Pour Elie, zofingien, se faire un réseau « est une conséquence possible, mais certainement pas automatique. » Certain.e.s renoncent même à indiquer sur leur CV qu’ils sont sociétaires, craignant que cela leur porte préjudice à cause de leurs réputations. Reste à se contenter des conseils et de l’expérience de leurs aîné.e.s. 

« Tous n’étaient pas de Zofingue, mais tous auraient voulu en être » écrit l’autrice genevoise Julia Chamorel dans son récit autobiographique intitulé La cellule des écoliers.  À l’époque, dans les années 1930, il fallait être « assez riche », « Genevois depuis au moins quatre générations » et avoir du sang noble pour y être admis [6]. Depuis, la société aux casquettes blanches semble avoir évolué et laissé tomber ces préceptes ; mais sa réputation, entretenue par les non sociétaires, reste encore la même.

36.8% des sondé.e.s estiment qu’entrer dans une société est exigeant, souvent car cela prend du temps ou que des candidat.e.s abandonnent [4] ; il arrive que certain.ne.s ne correspondent pas à l’esprit de la société, qui préfère ne pas les admettre plutôt que de les voir démissionner, ou devoir les exclure, après quelques mois. L’Adelphia, par exemple, est une société artistique et littéraire : chacun.e de ses membres doit avoir un minimum d’attrait pour l’art – cinéma, littérature, musique, etc – pour pouvoir y entrer.  

Si les sociétés d’étudiant.e.s regroupaient auparavant l’élite de la Suisse, elles sont aujourd’hui beaucoup plus ouvertes : toute personne intéressée peut se porter candidate quelle que soit sa confession, son origine, son engagement politique, ses études ou encore son orientation sexuelle. Ce qui compte, c’est la motivation. Et concernant la politique, on n’y retrouve pas seulement des hommes de droite. 28.6% de membres disent être de gauche contre 23.2% à droite ; les 48.2% restants disent ne pas avoir d’appartenance politique [5] : « Moi, la politique, ça ne m’intéresse pas du tout ! » avoue Quentin, quand les autres sociétaires précisent que les sociétés d’étudiant.e.s sont pour la majorité apolitiques. Il arrive cependant que certain.e.s membres soient parallèlement actif.ve.s en politique, sans que cela influence pour autant leur société.

Seule la question de la non-mixité subsiste et fait débat au sein même du monde sociétaire. « C’est dommage qu’une grande partie des sociétés ne soient que des hommes : la mixité permet d’avoir plus de contact et de ne pas penser à cette question d’égalité. » Quentin aurait été favorable à ce que cette tradition, datant d’une époque où les universités étaient remplies uniquement d’hommes, commence à partir. « Je ne comprends pas comment l’on peut encore défendre la non-mixité dans les sociétés d’étudiant.e.s au XXIe siècle. » soutient Lara, Adelphienne.  À l’image de la plupart des vieilles sociétés devenues mixtes, comme la Stella par exemple, l’Adelphia accepte les femmes depuis sa refondation en 1984. 

Les avis sont partagés : 42.1% des participant.e.s sont pour, tandis que 31.6% sont contre et 26.3% ne se prononcent pas [4]. Le débat survient parfois lors des séances : « Je pense que chaque société d’étudiant.e.s a le droit d’être non-mixte si elle le souhaite, d’autant plus que cette non-mixité existe des deux côtés et ne cache aucun sexisme. Il s’agit simplement d’un héritage pluricentenaire conservé. » explique Elie. À défaut de s’ouvrir aux femmes, Zofingue GE a décidé de parrainer la Venusia, exclusivement féminine. Pour Alexia, Athénienne, « il est nécessaire à mon avis que toutes les formes de sociétés soient suffisamment représentées – mixtes, féminines ou masculines – pour qu’une personne puisse trouver celle qui lui convient. » 

De plus, les sociétés non-mixtes risqueraient moins d’histoires entre les membres, bien que cela reste une vision très hétéronormée. « Pour moi, il y a encore beaucoup trop de sociétés non-mixtes » estime Camille, expliquant que les sociétés mixtes permettent également d’avoir des amitiés hommes-femmes et de casser le mythe selon lequel elles n’existeraient pas. 

Bien que le nombre de membres décline, en particulier avec la période de pandémie -, les sociétés subsistent et certaines ont vu le jour récemment : l’Academia, par exemple, a fêté ses dix ans en 2020. Mais pourquoi les faire perpétuer si des associations universitaires,  souvent facultaires, semblent remplir les mêmes fonctions ? 

Selon Elie, contrairement à une association estudiantine, « une société d’étudiant.e.s a un impact bien plus large et varié pour ses membres. […] Cette ouverture prend la forme d’événements festifs culturels et patriotiques à travers la rencontre d’étudiants de toute la Suisse. De plus, les sociétés d’étudiant.e.s sont un lien à vie. » 

Si le monde des sociétés d’étudiant.e.s ne permet pas de se créer un réseau professionnel, il est néanmoins propice à se faire un vaste cercle d’ami.e.s s’étendant souvent sur plusieurs cantons. C’est aussi un bon moyen de rencontrer du monde en arrivant à l’Université et d’égayer sa vie estudiantine, les séances se tenant un soir par semaine sans compter les événements sociétaires qui s’y ajoutent. L’admission est difficile, mais elle assure pour le ou la nouvelle membre acceptation et adelphité ; le ruban de couleurs qu’il.elle reçoit alors scelle ce lien. Lara déclare ne tirer que des points positifs depuis qu’on lui a passé les couleurs de l’Adelphia : « Je dirais que j’ai gagné en maturité et en confiance en moi. J’ai aussi appris à captiver un public, gérer une équipe ou encore organiser des évènements ouverts. Mais plus encore, je m’y suis fait des ami.e.s en or ! »

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