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Personnalités médiatiques : vraies ou fausses accusations? Au tour d’Eric Zemmour

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Le 24 avril 2021, la conseillère municipale d’opposition à Aix-en-Provence publie un post sur Facebook commençant par le hashtag #BalanceTonPorc à l’encontre du polémiste très médiatisé Eric Zemmour. Elle l’accuse, après l’avoir entendu la complimenter sur sa robe, de l’avoir embrassée de force il y a une quinzaine d’années : « Je me suis trouvée tellement sidérée que je n’ai rien pu faire d’autre que le repousser et m’enfuir en courant. Trembler. Pleurer. » écrit-elle dans son post. Gaëlle Lenfant n’est pas la seule à dénoncer le chroniqueur: la journaliste Aurore Van Opstal, pour ne citer qu’elle, l’accuse de lui avoir « caressé le genou en remontant [sa main] jusqu’à l’entrejambe ». [1]

Post intégral de Gaëlle Lenfant sur Facebook: https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=1357520511293893&id=100011078709578

Eric Zemmour divise à nouveau: face à celles et ceux qui croient les victimes se dressent ses partisan.ne.s, prêt.e.s à le défendre corps et âme. Le poste de Gaëlle Lenfant a suscité bon nombre de réactions sceptiques l’accusant en retour de mentir et d’inventer cette histoire pour porter préjudice au chroniqueur de CNews, potentiel candidat aux élections présidentielles de 2022. En effet, il s’agit de faits remontant à 2005 ou 2006 qui ressortent au moment où on parle plus que jamais de la candidature d’Eric Zemmour à la présidence. Sans compter que Gaëlle Lenfant est une militante socialiste. Serait-ce calculé, ou même inventé? 

Pourtant, la conseillère municipale lie ouvertement le moment de sa prise de parole à celui de l’apparition d’une immense affiche promouvant l’intéressé à Aix-en-Provence. Elle explique avoir ressenti comme « une deuxième intrusion sur [elle] » à la vue de cette affiche dans sa ville. Elle exprime également son sentiment qui, jusqu’alors, a été de considérer ce baiser forcé comme honteux pour elle et vaine la démarche de porter plainte contre l’homme puissant qu’est Eric Zemmour [2]. 

« Je n’ai rien trouvé d’autre à faire que de le repousser et de partir. Ma réaction m’a autant traumatisée que ce qui s’était passé. Je me suis trouvée très conne »[2] ajoute Gaëlle Lenfant, évoquant par la suite l’effet de sidération qui survient lors de moments traumatisants [3], ainsi que le sentiment de honte qui empêche d’en parler ouvertement.   

https://destimed.fr/Aix-Marseille-Provence-Gaelle-Lenfant-PS-denonce-une-politique-de-l-obstruction

C’est ce qu’a vécu l’écrivaine Florence Porcel avant de porter plainte contre Patrick Poivre d’Arvor en février 2021 pour viol : jusqu’alors, elle craignait « de ne pas être crue au regard du statut de PPDA » [4] Beaucoup de personnalités célèbres ont vu ressurgir des affaires enfouies depuis le lancement du hashtag #MeToo – ou #BalanceTonPorc – en octobre 2017, souvent appuyées par les témoignages de plusieurs victimes, anonymes ou non.

Patrick Poivre d’Arvor a, de 1987 à 2008, présenté le 20h sur TF1 en France, à une époque où, seul à apparaître à l’écran, il a acquis beaucoup de pouvoir et de notoriété. C’est la raison pour laquelle Florence Porcel a retardé sa dénonciation : c’est grâce à l’impact de #MeToo qu’elle a osé affronter les effets d’une accusation médiatisée. Des personnalités connues, telles que Jean-Pierre Pernaut et Claire Chazal, ont pris la défense du présentateur [5] : bien que ce dernier soit qualifié de prédateur sexuel par de nombreux témoignages, ses défenseur.se.s affirment qu’il est certes dragueur, mais en aucun cas violent. [6]

Extraits de livres de PPDA évoquant la sexualité de ses filles sur Instagram: https://www.instagram.com/p/CL-J16oArQ_/

La Suisse connaît son équivalent en la personne de Darius Rochebin, un autre homme de pouvoir particulièrement célèbre en Romandie. L’affaire éclate en octobre 2020 suite à la parution d’un article du Temps [7] révélant ses agissements: l’ancien présentateur du 19h30 aurait dragué plusieurs jeunes hommes à l’aide de faux profils et serait passé à l’acte avec des collègues de la RTS comprenant, entre autres, un baiser forcé. Abrité par sa notoriété comme le sont Eric Zemmour et Patrick Poivre d’Arvor, Darius Rochebin abuse de son pouvoir pour s’autoriser un tel comportement en toute impunité: « Pendant plusieurs années, la gravité de la situation [à la RTS] est régulièrement signalée à la direction, sans effet » rapporte le Temps, expliquant ensuite que les jeunes politicien.ne.s et journalistes qu’il abordait sous un faux profil « redoutai[ent] les conséquences de [leurs] refus sur [leur] situation professionnelle. » [7]

C’est là que les victimes se sentent prises au piège, voyant leur carrière mise en danger si elles parlent. Eric Zemmour aurait d’ailleurs dit à une maquilleuse après l’avoir plaquée contre le mur: « Appelle-moi, il faut qu’on se voie, je peux te faire bosser. » [1]

Mais contrairement à Darius Rochebin qui était en retrait de l’antenne LCI pendant plusieurs mois avant d’être blanchi, Eric Zemmour reste et prend tous les jours la parole sur CNews malgré les accusations qu’on lui porte.

https://www.lenouvelliste.ch/articles/suisse/accusations-de-harcelement-darius-rochebin-blanchi-a-l-issue-d-enquetes-a-la-rts-1066855

La télévision innocente-t-elle ?

La notoriété d’un homme excuse-t-elle tous ses agissements? Bien qu’elle les révèle à toutes et tous, elle engendre également une certaine impunité vis-à-vis des hommes de pouvoir. Le cas de Roman Polanski, qui a suscité de vives réactions, le démontre: le célèbre réalisateur a reçu un César pour son dernier film alors qu’il a été accusé d’avoir violé, entre autres, une jeune fille de treize ans et a reconnu les faits [8]. Ce crime ne semble pas avoir porté préjudice à sa carrière, si ce n’est qu’il est désormais partiellement boycotté.

Les médias continuent ainsi de donner quotidiennement la parole à Eric Zemmour, bien qu’il n’en soit pas à sa première condamnation: il a été jugé à plusieurs reprises pour incitation à la haine. Malgré cela, il reste le chroniqueur principal de Face à l’info sur CNews depuis 2019. S’agit-il du respect diligent de la présomption d’innocence de la part de l’émission pour ne pas porter préjudice au célèbre polémiste en cas de fausses accusations? Ou serait-ce une prise de défense pour protéger son chroniqueur qui assure l’audience et, qui plus est, pense se présenter aux élections présidentielles en 2022? 

Eric Zemmour pourrait bien être blanchi d’avance par les médias avant que l’on apporte des éléments supplémentaires qui attesteraient de son innocence ou non. Ce dernier semble encore moins impacté par les accusations qu’on lui porte, ne daignant même pas s’exprimer sur ce sujet. Ses auditeur.rice.s sauront pourtant ce qu’il pense après l’avoir entendu blâmer les accusations par les réseaux sociaux qui serviraient, selon lui, à détruire publiquement une personne –  ce qui, par ailleurs, ne semble pas correspondre à son cas – allant même jusqu’à clamer que « nous vivons dans une société féminisée et matriarcale où le crime le plus absolu c’est de toucher la femme. » [9]

Néanmoins, d’un autre côté, il normalise les actes sexistes de violence sexuelle dans ses livres: « [Avant le féminisme], un jeune chauffeur de bus pouvait glisser une main concupiscente sur un charmant fessier féminin sans que la jeune femme porte plainte pour harcèlement sexuel. » Il légitime même indirectement le viol: « Le poil nous rappelle que la virilité va de pair avec la violence, que l’homme est un prédateur sexuel, un conquérant. » [1]

https://www.huffingtonpost.fr/entry/zemmour-sur-cnews-depuis-un-an-ce-quil-y-a-derriere-ces-audiences-en-fleche_fr_5f72ea51c5b6f622a0c3ea9b

Existe-t-il de fausses accusations de violences sexuelles?

Le jugement public à l’aide des réseaux sociaux ne semble pas si destructeur en ce qui concerne le cas d’Eric Zemmour. En effet, si nous supposons que Gaëlle Lenfant ait souhaité faire tomber un tel homme de pouvoir en l’accusant à tort d’agression sexuelle, elle se serait mal renseignée: sans ça, elle aurait prévu que c’est sur elle que cela retomberait. 

Eric Zemmour est la personne médiatique qui produira le plus l’effet “boomerang” sur tous les abus qu’on lui reprochera, qu’ils soient vrais ou non : il critique ouvertement et volontiers autant le féminisme que le mouvement #BalanceTonPorc, affichant une misogynie qu’il tente encore de démentir. L’accuser de harcèlement sexuel, c’est avoir la certitude de recevoir des insultes et des menaces en retour de la part des nombreuses personnes qui le soutiennent et l’approuvent pour chacun de ses propos. C’est pour cette raison qu’il s’est vu offrir une place de choix dans Face à l’info. [10]

« D’abord les soutiens, puis ensuite les menaces, les injures, les insultes sont arrivées », ainsi que des menaces de mort, précise Gaëlle Lenfant : c’est ce à quoi s’expose une femme qui accuse un homme de pouvoir, que ce soit vrai ou faux. Par conséquent, bon nombre d’entre elles préfèrent se taire. 

Si Gaëlle Lenfant inventait ce baiser forcé, pourquoi n’accuserait-elle pas Eric Zemmour de viol pour mieux le détruire si tel était son but? Pourquoi avancerait-elle en avoir parlé à l’époque des faits si elle n’avait pas de témoins? Car « les proches de Gaëlle Lenfant ont confirmé […] avoir été informés de l’agression sexuelle. »[11] Et pourquoi d’autres femmes auraient-elles affirmé avoir subi des violences sexuelles de la part du polémiste s’il était innocent ? De plus, si la conseillère municipale cherchait à empêcher des votes pour le potentiel candidat aux élections présidentielles, elle n’aurait pas prévu que tou.te.s les partisan.e.s d’Eric Zemmour prendraient sa défense et que cela les conforterait encore davantage dans l’idée que de nombreuses femmes abuseraient de leur statut en portant des accusations mensongères. 

Gaëlle Lenfant aurait-elle donc menti? Cela signifierait qu’à son âge – la cinquantaine -, elle est inconsciente des conséquences de telles accusations, qu’elle ne sait pas qu’elles sont souvent classées sans suite et que cela ne vaut vraiment pas la peine d’investir autant de temps, d’énergie et parfois d’argent pour de fausses accusations. D’autant plus lorsque la victime se fait insulter et même menacer en retour. Mais alors, serait-elle vraiment inconsciente – par conséquent menteuse – lorsqu’elle déclare que « pour viol il y a déjà un nombre de plaintes classées sans suites absolument hallucinant »? [2]

Quoi qu’il en soit, la victime perd souvent bien plus qu’elle ne gagne. Les victimes d’agressions sexuelles sont les seules dont la parole est remise en question pour les accuser de vouloir se venger ou faire parler d’elles. Pourtant, ce sont des dénonciations qui coûtent le plus émotionnellement. Rappelons-nous qu’Eric Zemmour, visiblement indemne suite à ces accusations, avait quant à lui reçu du soutien lorsqu’il s’est fait insulter dans la rue en avril 2021, même de la part du président Emmanuel Macron.[12] 

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