Malcolm & Marie : navet ou chef d’œuvre cinématographique ?

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Malcolm & Marie a provoqué l’effet d’un raz de marée chez les critiques cinéphiles. Alors que certains parlent de « chef d’œuvre »[1] à la « beauté stupéfiante »[2], d’autres évoquent une réalisation « ennuyante »[3]. Mais pourquoi ? Que se cache-t-il derrière cette surprenante réalisation de Sam Levinson ?

Le film relate la tumultueuse histoire d’amour des deux personnages éponymes, joués par John David Washington, nommé aux Oscars pour son rôle dans BlacKkKlansman et Zendaya, devenue en 2020 la plus jeune comédienne à recevoir l’Emmy Award de la meilleure actrice. En proposant une éminente mise en abyme cinématographique, Levinson nous présente un couple d’artistes – elle actrice et lui réalisateur – à la fois talentueux et torturés.

Alors que Malcolm et Marie rentrent de l’avant-première du dernier film de Malcolm, une dispute éclate soudainement entre eux. Dans un premier temps intrigué par la réelle raison de ce conflit, le spectateur est rapidement plongé malgré lui dans les entrailles psychologiques et relationnelles de ces deux amants, qui se muent dans le cadre unique et figé qu’est leur maison.

Sous un format qui combine atmosphère théâtrale (unité d’action, de lieu et de temps) et film d’auteur (on retrouve notamment la forte personnalité artistique de Levinson et son style novateur), Malcolm & Marie mise sur le quitte ou double. Alors qu’il en intrigue certains et les garde en haleine, d’autres semblent se perdre dans la prévisibilité et la presque exagération du conflit qui lie les deux personnages. À travers une intense direction artistique en noir et blanc, la projection – tournée à la pellicule – mettrait presque par moments le spectateur mal à l’aise : le plaçant en position de voyeurisme, assistant à des scènes jugées peut-être trop intimistes, trop personnelles, trop privées. Les sujets des disputes qui éclatent n’aident pas à réduire la gêne : racisme, plagiat, ou encore toxicité relationnelle ; la production nous questionne également sur la beauté et les sensibilités artistiques. Qui détermine ce qu’est un bon film ? Qui possède l’autorité d’absoudre ou au contraire de condamner une œuvre ? Chaque interrogation se fond dans la nature des deux amants qui alternent entre périodes de silence et de confrontation acharnée.

Alors pourquoi ce film divise-t-il tant ? Car il propose pourtant d’une main de maître une double introspection du cinéma et du couple.

Certains remettent en question l’utilité du noir et blanc, ce à quoi d’autres pourraient en retour répondre que la couleur ne dispose pas d’une utilité particulièrement plus grande. Il se trouve d’ailleurs que ce choix nous permet de nous plonger dans une ère inconnue : le film se passe-t-il aujourd’hui, il y a dix ans, ou encore dans les années 1980 ? Nul ne le sait. Aucune indication temporelle ne nous est donnée. Nous sommes absorbés dans un univers qui se veut à la fois unique et multiple.

En réalité, il semblerait que ce soit surtout la difficulté des spectateurs à déterminer ce qu’est ce film, qui fragmente la critique. En somme, quelle est son identité ? De quel bord se revendique-t-il ? Est-ce un film Noir ? Non. Le réalisateur est un homme blanc et ne revendique pas la question raciale comme sujet premier de son œuvre. Pourtant, la condition des deux personnages est à la fois perpétuellement affirmée et remise en question à travers la narration du film. Que cherche-t-il donc ? C’est peut-être ce qui gêne la majorité : cette incapacité à le catégoriser, à en comprendre le but.

Finalement, le film s’interroge sur nos propres questions et Sam Levinson semble presque nous défier de questionner sa légitimité. Réalisateur blanc masculin, il met pourtant en scène deux personnes noires, les fait parler, douter, s’interroger. De toute pièce et de son propre imaginaire, il crée – presque en miroir inversé – l’histoire d’un autre réalisateur, d’un autre lui. À travers le dialogue de ses personnages, qui se déchirent notamment au sujet des propos d’une journaliste du New York Times, il nous demande : un Blanc a-t-il le droit d’aborder la condition des Noirs ? Un homme peut-il dépeindre la féminité ? Un hétérosexuel peut-il comprendre l’homosexualité ? Est-il vraiment possible de s’inspirer sans plagier ? L’œuvre peut-elle réellement se détacher de l’artiste ? Oui. Non. Les enjeux du film restent sans réponse.

Peut-être faut-il justement en comprendre une invitation à la dé-catégorisation. En effet, alors même que les deux protagonistes se disputent, se rejoignent et s’éloignent, un élément central demeure au sein du conflit : Qui sont-ils et surtout pourquoi sont-ils ainsi ? Sont-ils des individus autonomes et libres, ou au contraire le résultat de leur influence mutuelle ? Se disputent-ils pour des questions d’inspiration artistique, pour des attentes inavouées ou encore des désirs non assouvis ? Eux-mêmes semblent finalement se poser la question : « dans quelle case entrons-nous ? ».

C’est pourtant bien cette inaptitude à apporter une solution finale et objective qui devrait nous pousser à remettre en question les critiques négatives à l’encontre de Malcolm & Marie. Et si ce film se voulait justement hors case ? Et s’il cherchait simplement à nous questionner, sans nous répondre ? Serait-ce donc cela qui fruste tant : cette fusion parfaite entre le tout et le rien ? Un film brillant, sans identité raciale ou de genre spécifique, sans revendication politique claire, sans combat autre que celui de promouvoir l’expression de soi à travers l’art. Un art qui possède son identité dans ce qu’il représente, et non dans qui il représente.

Le plus intéressant, c’est donc surtout la capacité du travail de Levinson à faire ressortir nos propres perceptions du monde. En effet, sur un même film, les avis divergent profondément, et pas juste sur le fond, mais aussi sur la forme. Certains arguent même que le film se base sur le personnage de Malcolm, ses déboires, et ses crises existentielles, alors que d’autres pourtant, voient à travers cette poignante réalisation une grande centration sur Marie, ses désirs et ses peines.

Et si en fin de compte, Malcolm & Marie n’était rien d’autre qu’un hommage au cinéma et aux relations ? Compliquées, tant adulées et redoutées, mais fondamentalement saisissantes. Comme un miroir qui nous renvoie notre reflet.

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