« Le droit suisse au lieu des juges étrangers », un retrait helvétique de la scène internationale ?

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Le 25 novembre, les Suisses seront amenés à voter sur l’initiative pour l’autodétermination lancée par l’UDC. Le projet de loi veut faire primer le droit suisse sur le droit international. Le 18 octobre dernier, le Global Studies Institute avec l’Université de Genève, Economie suisse et Bilan ont organisé une matinée de débats et de réflexions pour comprendre cette initiative.

Les invités, politiciens, experts, journalistes étaient là pour mettre à nu ce texte de loi complexe pour tenter d’en démêler les raisons, les conséquences et les visées.

Après une brève synthèse du sujet de cette initiative, nous tenterons d’explorer les différents arguments des parties présentés durant cette conférence.

En quelques mots

Le système Suisse de la démocratie semi-directe permet aux citoyens d’avoir une influence directe sur les règles contraignantes par l’amendement de la Constitution. D’autre part, la Suisse s’engage à respecter les termes des traités internationaux conclus avec les autres pays et organisations internationales.

Le législateur helvétique doit insérer les règles de droit internationales dans l’ordre juridique national dans une idéologie dite moniste. En conséquence, toutes les normes qui émanent d’un traité que signe la Suisse sont directement incorporés dans l’ordre juridique ne précisant pourtant pas quel droit prime sur l’autre.

Une question est en suspens : qu’en est-il de la hiérarchie des normes ?

L’article 190 de la Constitution stipule : « Le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international. »[1]. Ambiguë, cette règle de droit n’apporte pas de réponse précise. Mais telle était la volonté du législateur selon Denis Masmejan[2], journaliste et chargé de cours à la HEIG du canton de Vaud. En effet, cette ambiguïté permet une souplesse pour le juge lorsqu’il doit rendre ses jugements et lui permet de créer une jurisprudence qui s’appliquera à tous les cas similaires.

Plusieurs fois, le Tribunal fédéral a édicté des arrêts qui ont établi des voies de lecture pour l’application du droit international. C’est le cas, notamment, de la pratique Schubert. Par ce jugement datant de 1973, la plus haute instance judiciaire nationale a indiqué que le droit suisse récent primait le droit international antérieur.

Cependant, en 2012, le Tribunal fédéral a opéré un revirement jurisprudentiel en faisant primer le droit international sur le droit national.

Grâce à l’initiative, il serait explicitement écrit que le droit constitutionnel prime le droit international.

Le professeur à la faculté de droit de l’Université de Genève et docteur en droit international public, Nicolas Levrat, nous explique que l’initiative demande de faire une distinction entre deux catégories de traités. D’une part, les traités qui ont été soumis à référendum et qui doivent continuer à être appliqués car ils représentent la volonté du peuple. D’autre part, les traités qui n’ont pas été soumis à référendum. Ceux-ci, s’ils présentent une contradiction avec le droit constitutionnel, devraient être renégociés, voire dénoncés si les tractations sont impossibles.

En effet, cette deuxième catégorie d’accords ne représente pas la volonté populaire et, selon les initiants, ne devraient pas avoir plus de force juridique que le droit constitutionnel qui, lui, est hautement représentatif de l’intention citoyenne.

L’initiative sur l’autodétermination porte sur un problème juridique complexe et tente de combler une faille du système judiciaire suisse. Faut-il légitimer ou clarifier cette lacune ?

De l’avis des initiants

La motivation de l’UDC de déposer une initiative a été le revirement jurisprudentiel du Tribunal fédéral en 2012. En l’espèce, la dernière instance de recours suisse devait examiner si les conditions de renvoi d’un malfaiteur étranger étaient remplies. La question était complexe ; en 2010, le peuple suisse s’était prononcé en faveur du renvoi des criminels étrangers dans leur pays d’origine en créant l’article 121 de la Constitution fédérale. Mais le Tribunal fédéral a statué contre le renvoi du criminel en faisant primer l’article 8 de la CEDH sur cet article 121. La plus haute autorité juridique du pays a violé la décision citoyenne qui s’était prononcé en faveur du renvoi des criminels.

Pour Roger Köppel, conseiller national UDC et rédacteur en chef de Die Weltwoche, le texte de loi permet de rétablir une confusion provoquée par la jurisprudence fédérale de 2012 et redonne le dernier mot aux citoyens. Selon le parlementaire, un juge suisse sait, aussi bien qu’un juge étranger, sauvegarder ou punir une infraction du droit. Au contraire, laisser le soin à des étrangers de juger à notre place reviendrait à leur sacrifier notre souveraineté.

Kevin Grangier, militant politique et ancien secrétaire général d’UDC Vaud, estime que : « la force de la Suisse réside dans sa différence ! (…). Or, si nous perdons le pouvoir de décider, alors nous perdons le pouvoir d’être différent, innovant, audacieux et meilleur. »[3].

Yves Nidegger, conseiller national et vice-président de l’UDC genevois, évoque la nécessité de préserver la démocratie directe. Par l’intervention populaire, la Constitution est sujette à de fréquentes modifications et elles peuvent porter sur les accords internationaux que la Suisse a ratifiés. Cette situation unique oblige le gouvernement à devoir renégocier les traités passés pour qu’ils soient en accord avec le droit constitutionnel suisse. En posant un jugement sur une question de principe, le Tribunal fédéral a indiqué la prépondérance du droit international sur le droit suisse.

Une forte opposition

Une mesure radicale pour certains, un problème d’effectivité, des conséquences cachées pour d’autres, les critiques face à cette initiative sont nombreuses. En effet, l’UDC est le seul parti parlementaire fédéral à soutenir cette initiative.

Selon le comité romand : non à l’initiative anti-droits humains[4], qui rassemble des associations, des ONGs et des partis opposés au projet de loi, le véritable but de texte législatif est de s’attaquer à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). En effet, l’adhésion de la Suisse n’a pas été sujette à référendum. Même si les droits fondamentaux sont garantis par la Constitution, la CEDH sert de protection car cette dernière est sujette à de fréquentes modifications. En cas de oui, la prochaine modification pourrait affaiblir les droits fondamentaux du peuple helvétique.

Liliane Maury-Pasquier, conseillère aux Etats socialiste et présidente de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, apporte quelques éclairages sur les conséquences d’un oui à l’autodétermination. La CEDH étant une convention multilatérale, ses termes ne sont pas négociables par la Suisse et celle-ci pourrait bien être amenée à dénoncer la convention. Les conséquences seraient lourdes pour les citoyens et citoyennes car le peuple suisse perdrait la seule voie de recours qui permet aux ressortissants d’un pays européen de poursuivre un Etat en justice.

Le professeur Levrat ajoute que, tant que le pays reste membre de cette organisation, le citoyen pourra toujours faire appel auprès de la CEDH. Cependant, les juges suisses ne pourront plus utiliser la jurisprudence internationale anticonstitutionnelle pour fonder leur jugement. Lorsque le ressortissant suisse sollicitera la cour des droits de l’homme, elle donnera un verdict correspondant aux dispositions prévues par la convention et il imposera ce jugement à la Confédération qui ne pourra pas l’appliquer. Loin de rendre la parole au droit suisse, le projet de loi enlève toute souveraineté aux décisions judiciaires fédérales.

À Liliane Maury-Pasquier de renchérir : « C’est un marketing politique ». Tant que la Suisse fera partie de la CEDH, notre pays sera sous tutelle juridique internationale et n’aura d’autres conséquences que de « nourrir la haine anti-juges étrangers ».

Selon Carlo Sommaruga, conseiller national socialiste, les initiants cachent des enjeux politiques derrière une précision juridique. L’art. 190 est délibérément lacunaire car la situation juridique mondiale et, en particulier, celle de la Suisse est mouvante. Cette imprécision permet de garder une application du droit flexible.

L’initiative veut se retirer de la CEDH, des accords de libre circulation et, selon le parlementaire, à terme créer un réduit national institutionnel.

Journaliste au Matin, Eric Felley écrit, dans un éditorial du 31 octobre 2018, des éclairages sur ce qui pourrait motiver l’UDC dans cette campagne : « L’important pour l’UDC est d’avoir en permanence une épée de Damoclès sur la politique suisse. ». [5]

L’initiative sera soumise au vote quelques temps seulement avant les élections fédérales et selon le journaliste : « Avec les étrangers et l’Europe, l’UDC garde ses deux produits d’appel pour appâter le plus grand nombre d’électeurs. ».

Le politologue Georg Lutz, interrogé dans un article de Bernard Wuthrich pour Le Temps, ajoute : « L’UDC a remporté les votes sur les initiatives contre l’immigration de masse et pour l’expulsion des étrangers criminels. Mais elle a perdu la mise en œuvre. La loi d’application de la première ne correspond pas à ce qu’elle réclamait et l’initiative de mise en œuvre effective de la seconde a été rejetée par le peuple et les cantons. Ces deux échecs lui ont fait mal. »[6]

Alors l’initiative Oui à l’autodétermination, une dénonciation de l’usurpation de la volonté populaire ou une manœuvre politique ?

Le 25 novembre prochain sera une date décisive pour la Suisse. Le peuple décidera quelle voie prendre en matière de droit international. A nous de décider si, effectivement, il est nécessaire d’ajuster l’application du droit dans le pays ou si cette question complexe a déjà trouvé une solution adéquate.

Les initiants, à l’instar des opposants s’accordent sur un point. Ce sera au peuple de décider de la hiérarchie des normes en Suisse le 25 novembre prochain. Tous aux urnes !

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