Jamais deux sans trois ! C’est ainsi que l’on pourrait décrire les manifestations pour le droit à la ville à Genève. Après deux premiers rassemblements en juin et octobre 2017, un troisième défilé a suivi samedi 17 mars 2018 pour réclamer encore le droit de vivre dans une ville ouverte au plus grand nombre. Les organisateurs dénoncent les propriétaires immobiliers et les spéculateurs qui « s’approprient l’espace » et relèguent les habitant-e-s les plus précaires hors des quartiers populaires. C’est un large collectif qui appelait à manifester en ce samedi pluvieux, collectif dans lequel on retrouve bien entendu l’association Xénope (maison collective de Malagnou dont le combat est aujourd’hui connu(1)), certains partis politiques, et des collectifs d’associations d’habitant-e-s et de défense des migrant-e-s tel le collectif Sans Retour.
Avant le départ, plusieurs de ces organisations expliquent leur engagement sur la zone piétonne devant la poste du Mont-Blanc. Se suivent quelques discours qui reflètent la diversité de ce mouvement. Certains dénoncent la surdensification de plusieurs quartiers et réclament une meilleure équité territoriale(2) entre les différents territoires du canton. D’autres s’insurgent contre l’État qui force les migrant-e-s à dormir sous terre dans les abris de la Protection civile (les fameux « abris PC »). Si le mouvement est effectivement hétéroclite, il se regroupe clairement autour du « sentiment que le développement du territoire genevois ne se fait pas au service du plus grand nombre » (3).
Ainsi, certaines banderoles dénoncent les expulsions ou rappellent qu’« un toit c’est un droit », en référence à l’aspect constitutionnel du droit au logement à Genève (4), tandis que d’autres montrent une certaine défiance à l’encontre des politiques avec des slogans comme « leur campagne commence, nos luttes continuent » en écho à la campagne électorale en cours pour le Grand Conseil et le Conseil d’État (parlement et exécutif cantonaux). D’autres encore mettent en avant une vision plus radicale en réclamant des expropriations et des occupations de lieux laissés vides par leurs propriétaires. L’expropriation de ces locaux est d’ailleurs une possibilité inscrite dans trois lois (5), rappelle dans son discours Pablo Cruchon, une des figures du parti SolidaritéS.
Le cortège s’ébranle pour passer le pont du Mont-Blanc en direction des Rues Basses pendant qu’une sono montée sur un char donne des conseils et une marche à suivre en cas de contrôle ou d’arrestation par la police. Celle-ci s’est déplacée en nombre, mais il n’est (malheureusement) pas possible d’en dire plus sur le dispositif mis en place, le service de presse de la police ayant finalement répondu le 26 mars à nos sollicitations que « la police cantonale genevoise ne communique pas sur le nombre de collaborateurs engagés lors de manifestations ». Si ce n’est quelques tags et affiches sur des bâtiments, ainsi que l’utilisation illicite de fumigènes, la police ne dénote par ailleurs aucune déprédation durant le cortège, malgré un moment de tension sur la Place du Molard, lors du passage devant le stand de campagne du Parti Genève en Marche où le désormais traditionnel slogan « tout le monde déteste la police » cède quelques instants la place à « tout le monde déteste Genève en Marche ».
La manifestation se dirige ensuite vers sa destination finale, la rue de la Coulouvrenière, devant un bâtiment laissé vide depuis sa construction dans les années 1990. Et puisque rien ne vaut un passage de la théorie à la pratique, la doctrine d’occupation est mise en œuvre immédiatement et deux manifestants montent sur le toit pour y accrocher une banderole « Pas de réaction : occupations (sic) ». Symbole de ce que dénoncent les manifestants, cet immeuble restera occupé quelques heures, jusqu’à l’intervention de la police le lendemain matin à 7h (6).
La manifestation se disperse alors, à l’exception d’un certain nombre de participant-e-s qui restent sur place pour faire la fête. La police est encore présente en nombre relativement important même si elle se tient quelque peu à l’écart.
Même s’il est symbolique, l’immeuble du 40 Rue de la Coulouvrenière n’est pas un cas isolé. À Genève, les bâtiments vides sont légions, notamment ceux prévus pour des bureaux dont certains sont impossibles à louer car présents en trop grand nombre et trop chers. Malgré cela, de nombreux propriétaires préfèrent conserver ces biens vides plutôt que d’en baisser les loyers pour pouvoir les louer. En effet, une baisse de loyer signifierait une baisse de standing du bâtiment et donc une perte de plus-value à la revente. La logique spéculative semble ici l’emporter sur la logique tout court. Un changement de politique de la part des propriétaires comme de l’État est peu probable, même après les élections cantonales de ce printemps qui n’infléchiront probablement pas la tendance en matière de logement et plus généralement de la façon de vivre la ville. Le mouvement droit à la ville continuera donc vraisemblablement à faire parler de lui dans les prochains mois.
Florian Schweri est membre du comité de l’association d’habitant-e-s de la Jonction, elle-même membre du collectif d’associations d’habitant-e-s qui appelait à manifester.
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