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Conditions de vie des étudiants : à notes égales !

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Philosophes et économistes désignent l’éducation comme vecteur central de justice sociale. Paul Bairoch, Christian Morrisson ou encore Thomas Piketty considèrent que les inégalités au sein d’une société s’atténuent à mesure que se diffusent éducation et savoir technologique. Cette diffusion dépend de « la capacité des pays à mobiliser les financements et les institutions permettant d’investir massivement dans la formation de leur population »[1].

Pourtant, depuis 1994, le montant versé par la Confédération helvétique en bourses d’études a diminué constamment alors que l’effectif total des étudiants et le PIB relatif par habitant n’ont cessé de croître (Figure 1).

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A la lumière du rapport principal de l’Office fédéral de la statistique (OFS) relatif à l’enquête 2013 sur les conditions de vie des étudiants, le présent article tente d’appréhender certaines inégalités entre les étudiants de Suisse dans leur accès et leur rapport aux études. Son but est d’attirer l’attention sur l’importance politique et sociale des bourses étudiantes dans le contexte de « l’initiative sur les bourses d’étude » déposée par l’Union des Étudiants de Suisse (UNES).

Il paraît tout d’abord essentiel de souligner que l’accès aux études universitaires est encore largement défini par l’origine sociale. Dans les hautes études universitaires, 64% des étudiants ont au moins un parent titulaire d’un diplôme d’une haute école ou d’une formation professionnelle supérieure[2]. Dans les domaines de la santé, des sciences et techniques qui sont les plus chrono- phages, environ 75% des étudiants ont au moins un parent titulaire d’un diplôme d’une haute école ou d’une formation professionnelle supérieure[3]. Pouvoir faire des études signifie avant tout disposer de temps et donc de ressources financières. Le rapport décrit une « tendance statistique suivant laquelle plus le niveau de formation des parents est élevé, plus le taux d’occupation des étudiants exerçant une activité lucrative est faible »[4].

Les trois principales possibilités d’obtenir un financement sont le soutien parental, l’activité rémunérée et l’obtention d’une bourse. L’OFS indique que 75 % des étudiants exercent une activité rémunérée et que leurs ressources s’élèvent en moyenne à 2000 CHF/mois, avec un quartile inférieur qui touche au maximum 1485 CHF/mois et un quartile supérieur qui touche au minimum 2850 CHF/mois[5]. Il est aussi précisé que les étudiants ne disposant pas de ressources parentales obtiennent 80% de leur financement grâce à une activité rémunérée[6] et que seulement 11% des étudiants se financent exclusivement grâce à leur activité rémunérée[7].

Ces chiffres permettent un premier constat sur l’inégalité d’accès aux études: celle ou celui qui n’a ni soutien familial ni étatique (bourse) n’a qu’une chance sur dix de faire des études supérieures. Celle ou celui qui ne jouit pas de soutien familial est condamné-e à gagner 1600 CHF / mois (80% de 2000 CHF) ce qui représente 16h de travail hebdomadaire à 25 CHF/h parallèlement aux études (1600/25/4=16). Un tel taux d’activité réduit en moyenne de dix le nombre d’heures consacrées hebdomadairement aux études[8] (Figure 2). Il est à noter que 22 % des étudiants universitaires ont un taux d’occupation professionnel de 41 à plus de 80 %[9], on imagine facilement les dégâts de ce genre de taux sur les résultats aux examens. Celui qui a bénéficié de plus de temps à consacrer à ses études aura, toutes choses égales par ailleurs, de meilleurs résultats. Ces chiffres poussent à s’interroger sur la légitimité de l’ensemble du système actuel de notation qui ne tient pas le moindre compte de cette inégalité.

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Pour appréhender les inégalités dans le rapport aux études, l’OFS utilise comme indicateurs de privations matérielles : « l’impossibilité de payer une facture imprévue de 2000 CHF » et «l’impossibilité de prendre une semaine de vacances hors de chez soi»[10]. On constate que 40% des étudiants sont incapables de faire face à une facture imprévue de 2000 CHF et que 18 % d’entre eux sont dans l’impossibilité de prendre une semaine de vacances. D’après le site primeinfo.ch, la franchise LAmal est environ de 2000 – 3000 CHF pour les contrats d’assurance les moins onéreux. Un étudiant lié par un tel contrat et faisant partie des 40 % mentionnés ci-dessus n’a simplement pas le droit d’être malade. Une facture impayées de 2000 CHF se transforme rapidement en un boulet très dur à tirer connaissant la rapidité avec laquelle le corps médical transfère les impayés aux sociétés de recouvrement et le zèle déployé par celles-ci pour saler la facture.

La précarité liée à l’origine sociale se fait particulièrement sentir pour les étudiants issus de la première génération de migration. Parmi eux, plus d’un étudiant sur deux est incapable de faire face à une facture imprévue de 2000 CHF et plus d’un quart d’entre eux sont dans l’impossibilité de prendre une semaine de vacances. Ces chiffres ne varient que de 1 à 2% pour les étudiants issus de la deuxième génération de migration[11]. Pour les étudiants au bénéfice d’une bourse, ces chiffres sont de 54% (impossibilité de faire face à une facture) et 26% (impossibilité de prendre des vacances). Ces pourcentages, paradoxalement élevés, s’expliquent par le fait que les étudiants qui jouissent d’une bourse ne peuvent l’obtenir que si leur condition financière est déjà rudimentaire et se la voient retirée si cette condition s’améliore trop[12].

Les bourses d’études représentent malgré tout un moyen de combattre ces inégalités. Elles constituent 40% des ressources des étudiants qui en reçoivent[13]. La note négative résonne au niveau des taux d’acceptation des demandes de bourses qui est à peu près de 50%[14]. En moyenne, les bourses représentent 40 % du financement des étudiants qui en obtiennent. Refuser une demande de bourse consiste à condamner le demandeur à obtenir 800 CHF par mois. Cette charge se répartit à moitié sur les parents et à moitié sur l’étudiant. Celui qui n’a pas de soutien parental devra donc travailler 8h supplémentaires par semaine s’il n’obtient pas de bourse (800 /25/4=8). Une telle augmentation du taux d’activité réduit en moyenne de cinq le nombre d’heures consacrées hebdomadairement aux études.

Ces statistiques questionnent le réel fonctionnement de «l’ascenseur social» universitaire. En effet, les plus démunis paraissent devoir mettre de côté leur santé, leur temps libre et leurs loisirs pour accéder aux études universitaires. Même s’ils y parviennent, ils seront dès lors soumis à un système de notation qui n’a pas la moindre considération pour ces sacrifices.

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Cette analyse mène inévitablement à soutenir toute politique favorable à l’augmentation des bourses estudiantines. « L’initiative sur les bourses d’étude » propose principalement une harmonisation des politiques cantonales de bourses d’études, ainsi que l’instauration d’un « minimum vital » pour ceux qui obtiennent l’aide à la formation. Ce minimum est chiffré par le comité d’initiative qui précise que la moitié des frais d’études annuels (10000 – 12000 CHF) devraient être couverts par la bourse[15]. Par rapport aux prestations actuelles, les coûts supplémentaires engendrés par cette réforme sont estimés à 500 millions de francs ce qui pousse naturellement le Conseil fédéral à rejeter l’initiative. Cette exigence de « garantir un niveau de vie minimum au moyen des aides à la formation » n’est évidemment pas retenue dans le contre-projet indirect à l’initiative[16] alors qu’il s’agit précisément du seul apport substantiel, initiative et contre-projet confondus, permettant de lutter concrètement contre les inégalités qui caractérisent hautes études les universitaires.

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