Face à Face : l’initiative sur les bourses d’études

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photos FàFTopo a interrogé deux partis sur l’initiative sur les bourses d’études : Jean-Pascal Ammann, président des JDC suisses et opposé à l’initiative face à Guilhem Kokot, membre du comité directeur des jeunes socialistes suisses et partisan de l’initiative. Tous deux ont accepté de répondre à notre interview comparée : 5 questions mais à chaque fois deux points de vue différents.

 

1) L’UNES présente sa réforme comme une amélioration de l’égalité des chances  dans l’accès aux études. Quelle est votre vision de ce terme ?

Jean-Pascal Ammann (JDC) : 

À mon avis, l’intention de l’UNES était louable. Les montants des bourses ont énormément varié entre les cantons. L’égalité des chances a par conséquent été réduite. Le parlement a reconnu ce problème et initié un contre-projet qui vise à une harmonisation des bourses grâce à un concordat. Malheureusement l’UNES s’entête dans ses exigences extrêmes. En votant NON, le contre-projet mène à une amélioration immédiate, dont tous les étudiants vont profiter.

Guilhem Kokot (JSG) :

L’égalité des chances représente, dans le cadre des études, l’assurance que personne n’est avantagé ou désavantagé à cause de sa provenance sociale ou de son contexte de vie. Ce principe, aujourd’hui, n’est clairement pas respecté puisque 64%[1] des étudiant-e-s à l’université ont, au moins, l’un de ses deux parents qui a achevé une formation supérieure. Nous devons assurer une égalité des chances : nous ne souhaitons pas un simple ascenseur social, mais un relèvement conséquent du plancher social !

2) On oppose souvent deux visions de l’éducation en politique. La première, qui est souvent défendue par les partis de gauche, voit l’éducation comme un droit qui doit être accessible pour tous. La seconde, qui est souvent partagée par les partis de droite, voit l’éducation comme un choix personnel comparable à un investissement sur son futur salaire. On pourrait voir cette initiative comme favorisant – a priori – la première vision. Vous inscrivez-vous dans l’une ou l’autre de ces visions ? Pourquoi votre vision de l’éducation est politiquement plus désirable pour la société ?

Jean-Pascal Ammann (JDC) : 

Le problème de l’initiative est qu’elle veut soutenir seulement la voie des études en dévalorisant les autres, la formation professionnelle notamment. L’initiative préconise l’éducation au niveau universitaire comme un droit absolu. Elle exige un revenu de base inconditionnel pour les étudiants, car les critères d’obtention ne prendront pas en compte leurs capacités financières. Cette revendication arrogante vers l’état est un auto-goal par excellence pour tous les étudiants, qui vont perdre beaucoup d’acceptation dans la société.

Déjà aujourd’hui les étudiants profitent d’un excellent niveau de formation en Suisse.  L’initiative coûtera 500 millions par an qui devront être économisé ailleurs dans le Département de l’Education, parce qu’elle demande la somme exorbitante de 2’000 CHF[6] par mois pour chaque étudiant.

Guilhem Kokot (JSG) :

La première vision est celle que je partage. L’éducation est la seule barrière face au barbarisme qui, au travers de Daech par exemple, détruit les trésors de l’humanité et réduit à néant des civilisations ainsi que des cultures et cause des pertes inestimables.

Avec notre démocratie semi-directe, on ne peut pas s’en sortir si la population suisse n’est pas entièrement consciente des enjeux courants. C’est pour cela qu’il faut soutenir la formation, du primaire au tertiaire en passant par le secondaire !

Pour finir, j’aimerais rappeler que la matière grise est la seule richesse de Suisse, il convient donc de démocratiser son accès au maximum.

3) Les deux arguments les plus cités sont l’égalité des chances pour tous les citoyens (initiants) et le pouvoir des cantons selon le modèle fédéraliste (opposants). Peut-on opposer ces arguments ou sont-ils liés ? Une amélioration de l’égalité des chances doit-elle passer uniquement par la confédération/les cantons ?

Jean-Pascal Ammann (JDC) : 

A mon avis, la vérité se trouve entre ces deux messages. Et le contre-projet les lie d’une façon idéale. D’une côté, ce sont les cantons qui financent la majorité du montant. Donc, c’est aussi à eux d’avoir un droit d’intervention. De plus, il n’y a pas dans chaque canton les mêmes besoins, il faut accepter cette diversité et éviter d’inscrire un article rigide dans la constitution.

En ce qui concerne l’égalité des chances : L’initiative va trop loin : Faut-il vraiment écrire explicitement dans la constitution que les bourses doivent aussi financer tous les étudiants en master sans exception ? Ne devrait-on pas plutôt nous attendre qu’au master, une majorité des étudiants puisse subvenir à leurs besoins ?

Guilhem Kokot (JSG) :

Le premier argument est un argument de fond, le deuxième de forme. Ils ne sont évidemment pas liés, mais ils sont les deux importants.

L’égalité des chances doit être assurée par l’acteur public puisque c’est à ce dernier d’assurer une stabilité sociétale et une justice sociale. Il me semble donc juste que les impôts prélevés de façon progressive – bien que l’on pourrait faire beaucoup mieux – permettent aux étudiants à la vie précaire de réussir leurs études dans des conditions correctes.

Concernant l’argument de forme, les acteurs responsables des bourses d’études restent cantonaux ! La seule différence est que les critères d’admission et les sommes prévues sont déterminés par l’État fédéral. Aujourd’hui les disparités sont énormes et profondément injustifiées… Ainsi le canton du Jura aide environ 20%„[2] de ses étudiant-e-s en formation supérieure alors que Genève n’en aide que 8%[2]. Le canton de Neuchâtel lui verse une bourse de 6000.- Frs[3] en moyenne alors que le canton de Vaud en verse plus du double[3]. Force est de constater que ces différences ne peuvent plus durer quand on sait que ces étudiant-e-s se forment souvent aux mêmes endroits.

4) Les opposants à l’initiatives renvoient souvent au risque d’abstraction de l’initiative sur les disparités entre les cantons (coûts de la vie, logement, transports). Ainsi l’initiative permettrait de donner les mêmes sommes à des étudiants qui ont un pouvoir d’achat plus élevé qu’aux autres étudiants. Partagez-vous cette vision ?  Peut-on parler d’un traitement inégalitaire des étudiants ? 

Jean-Pascal Ammann (JDC) : 

Oui, prenons un exemple : un grison qui fait ses études à Zurich a besoin de plus de moyens qu’un zurichois, du quel on peut attendre qu’il habite chez ses parents et qui n’a donc pas besoin d’une colocation. L’initiative ne fait pas cette différence. Au contraire, je trouve présomptueux et injuste comment elle veut même instaurer un certain standard de vie avec 2’000 CHF par mois pour chacun.

Guilhem Kokot (JSG) :

Certes la vie est plus chère à Zürich qu’à Lausanne, mais ces écarts sont minimes si on les compare aux différences actuelles. Comme je l’expliquais plus haut, très souvent les étudiant-e-s étudient au même endroit. Il paraît évident de traiter de façon égale deux étudiant-e-s à l’Université de Zürich, qu’ils ou elles soient argovien-ne-s ou uranais-e-s.

14%[1] des élèves arrêtent définitivement pour causes financières, 4%[1] à cause du non-octroi d’une bourse et 24%[1] par obligation d’exercer une activité lucrative. Au total, c’est 42% d’étudiants qui abandonnent pour causes pécuniaires ! Un constat affligeant que l’on ne peut plus tolérer.

Le traitement inégalitaire, c’est le régime d’aujourd’hui, car les différences laissent les étudiant-e-s sur le carreau ; alors que les différences de demain sont de légères fluctuations du pouvoir d’achat. J’ai vite fait mon choix.

5) Dans ses arguments, le PDC explique que « cette initiative encourage la mentalité d’assisté en créant de fausses incitations : elle n’est aucunement basée sur des critères de performance et agit à l’encontre d’une fin d’études efficace et rapide » . Pourtant, la plupart des étudiants travaillent à côté de leurs études et cela peut justement nuire à cette « performance ». Comment réagissez-vous à cela ?

Jean-Pascal Ammann (JDC) : 

Oui, cette remarque est très pertinente. D’abord, il faut comprendre que l’initiative change complètement la définition d’une bourse. Jusqu’à présent une bourse est définie comme une contribution aux coûts de vie. L’initiative exige qu’une bourse doit financer la totalité des coûts de vie. Les initiants parlent d’une somme de 2’000 CHF par mois. Il y a des jeunes qui ont réellement besoin d’un soutien complet pour gérer leur vie, mais on ne peut pas généraliser ce montant. Comme ça, on n’a pas d’attrait de tout de financier une partie de la vie soi-même. Les bourses sont une aide et ne doivent pas devenir un salaire.

Guilhem Kokot (JSG) :

L’initiative ne demande pas un salaire étudiant ! Elle prend en compte le fait que les étudiant-e-s reçoivent des sous de leurs parents et ont un petit job à côté de leurs études et demande que la bourse « garantisse un niveau de vie minimal »[4].

Ce genre de formule, utilisé ici par le PDC, montre bien le mépris que certain-e-s ont pour les étudiant-e-s. Comme le démontre François Garçon dans Le Temps [5], les études suisses sont parmi les meilleures au monde, mais les études demandent de vrais efforts et malheureusement de lourds sacrifices pour les élèves. La droite devrait faire attention à mieux respecter les jeunes en général, car ils sont le futur de la Suisse.

Aujourd’hui, les étudiant-e-s se sentent écrasé-e-s financièrement et il faut que la Suisse cesse d’être le cancre européen des aides à la formation.

Investissons ! L’éducation de nos jeunes le vaut bien !

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