Un petit œuf pour de grandes questions l’homoparentalité expliquée aux enfants

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«Pourquoi deux mères ? »   
C’est à partir de cette question que l’aventure d’une petite maison d’édition italienne sensible aux changements sociaux commence.

        Un œuf qui ne veut pas éclore parce qu’il ne sait pas ce qui l’attend, c’est ainsi que débute l’histoire de ‘Piccolo uovo’ (en français Petit œuf ndr.), livre pour enfants écrit par Francesca Pardi. A travers les pages illustrées par Altan – célèbre vignettiste satirique et illustrateur de Pimpa –, Petit œuf entame un voyage pour découvrir qu’est-ce que la famille, ou mieux encore quelles différentes compositions de famille existent. Un livre et une maison d’édition – Lo Stampatello** –, nous explique Francesca Pardi, nés pour parler aux enfants d’homoparentalité mais pas seulement.

Comment est née l’idée de ‘Piccolo uovo’ ?

       Nous sommes un couple de femmes. Quand il y a eu la naissance de notre première fille, en 2002, cette dernière a commencé à sentir le besoin de répondre à la question qui lui était continuellement posée: « pourquoi deux mères ? ». C’est là que j’ai eu l’idée d’écrire un livre pour l’aider à raconter l’histoire de sa famille. J’ai donc fait illustrer ‘Pourquoi deux mères’, et j’ai essayé d’envoyer le petit livre à plusieurs maisons d’édition. Une grande maison a assuré qu’elle le publierait. Finalement, une fois le contrat signé et les ébauches corrigées, elle a envoyé tout à la poubelle en disant que c’était une thématique sensible et que l’éditeur avait été précipité.

De là vous avez eu l’idée devenir vos propres éditeurs… 

        Je me suis renseignée et j’ai remarqué qu’ouvrir une maison d’édition n’était pas si compliqué. On a ainsi publié un premier petit livre. Puis m’est venu l’idée d’en écrire un plus  inclusif : ‘Piccolo uovo’ montre plusieurs types de famille, pas seulement celle homoparentale. Quand Altan a dit qu’il l’aurait illustré… ça a été un début incroyable, un peu comme découvrir que le Père Noël existe (elle rit). Ensuite ‘Piccolo uovo’ a gagné le prix Andersen en 2012 : un signe de reconnaissance important provenant du milieu de l’édition pour l’enfance en Italie. Le public est prêt. En revanche de fortes résistances existent du point de vue des institutions.

Vos livres abordent différents thèmes, pas uniquement l’homoparentalité…

    On a aussi publié des livres d’autres auteurs. Par exemple ‘Una giornata speciale’ (‘Une journée particulière’ ndr.) – livre de la série ‘Piccola storia di una famiglia’ ( Petite histoire d’une famille’ ndr.) qui parle de l’adoption de trois enfants russes – ; il s’agit d’un conte, écrit par une mère, qui nous a beaucoup plu et nous l’avons fait illustrer. Une série récente, ‘Margherita’, a été écrite par Emanuela Nava et illustrée par Desideria Guicciardini. Nous sommes devenues amies, de là est né ce projet qui nous plaisait, à savoir un regard sur l’éducation. Le personnage est une espèce de Pippi Calzuelunghe (Fifi Brindacier ndr.) plus calée dans la réalité. Il s’agit d’une approche à l’éducation moins normative – par rapport à ce qui se passe encore en Italie – qui attribue beaucoup plus d’importance à la liberté.

La lecture pour enfants est en effet un moment privilégié qui se déroule entre parent(s) et enfant(s). Vos livres sont-ils destinés uniquement aux enfants ou également aux adultes ?

    Le livres sont adressés à un public d’enfants, bien entendu aux enfants grandis aussi: chaque adulte a été un enfant. On espère réussir encore à les atteindre. Les enfants ont toujours quelque chose à nous apprendre.

Est-ce que vous avez un souvenir particulier de quelques inspirations ou réactions de la part des enfants mêmes ?   

        On fait toujours corriger les brouillons à nos enfants : nous lisons les histoires avec eux, nous écoutons ce qu’ils ont à nous dire. Souvent ils nous corrigent, par exemple quand j’ai écrit ‘Il segreto di papà’ (‘Le secret de papa’ ndr.). Le livre parle de deux enfants avec des parents séparés : la mère à un nouveau fiancé et à un certain moment le père a un secret ; les enfants se préoccupent mais à la fin ils découvrent qu’il a un fiancé lui aussi. Dans l’emploi de certains mots ma fille nous donna quelques suggestions, elle dit : mais n’écrit pas ‘il s’en est allé’, met ‘il a changé de maison’. Des petites choses qui expriment ce dont un enfant a le plus peur.

Le Stampatello    
Une petite maison d’édition et la distribution au Tessin

        Être une petite maison d’édition n’est pas simple. Encore moins si l’on est une petite maison qui propose des livres abordant des thèmes comme l’homoparentalité, thèmes sur lesquels le débat peut être très rude surtout en Italie. Cependant – explique Francesca Pardi – le monde des livres illustrés est très ouvert à n’importe quel discours, même si, « notamment en période de crise », il y a la tendance à se tourner plutôt vers un secteur de marché qui vend. « En revanche – poursuit-elle – nous avons l’avantage d’avoir un public très spécifique, de niche » un public qui reconnait une identité et une grande motivation au Stampatello.

    Un public présent aussi au Tessin? Nous avons interrogé quelques librairies du canton pour découvrir si elles avaient en stock ou avaient déjà vendus des copies de ‘Piccolo uovo’ ou d’autres livres édités par le Stampatello, et plus en général pour comprendre quel est l’intérêt au Tessin pour des livres qui abordent ce genre de thématiques. Le cadre est, comme prévu, très hétérogène. « C’est un thème d’actualité certes, cependant je ne crois pas qu’il soit une priorité pour les enfants, cela n’amène que de la confusion. Il est important pour eux d’avoir un père et une mère ». Il y a des librairies qui n’ont jamais gardé des livres dans le genre et du reste personne n’en a jamais fait la requête : « Les maîtresses ou quelques mères demandent des livres sur différentes problématiques – comme se laver les dents et se lacer les chaussures – jusqu’à des thèmes comme l’intégration, l’accueillance ou encore l’adoption ». Et sur l’homosexualité et l’homoparentalité ? « Ceux-là je ne les garde pas – s’exclame une libraire – j’ai des textes pour adultes dans la section pédagogie ». D’autres librairies ont commandé et vendu quelques exemplaires de ‘Piccolo uovo’ ou d’autres titres publiés par le Stampatello. Dans deux librairies des ‘centres’ comme Locarno et Lugano la disponibilité à garder une partie de livres pour enfants dédiés à ce thème semble plutôt évidente : « ‘Piccolo uovo’ n’est pas le premier livre qui se consacre à ces sujets. En général on tente de garder une offre en ce sens ». La responsable d’une autre librairie nous assure de l’intérêt de leur part, et même de la disponibilité de titres en provenance de la petite maison d’édition de ‘Piccolo uovo’ : « Par exemple maintenant il y en un nouveau intitulé ‘Papà bis’. C’est une réalité à laquelle nous devons faire face. Nous avons des requêtes surtout par les enseignants et les centres de planification. »

Familles ‘arc-en-ciel’    
Une réalité que l’on ne peut ignorer 

Selon quelques estimations en suisse environ six milles enfants grandissent dans des familles ‘arc-en-ciel’, à savoir des familles où l’un ou les deux parents sont homosexuels.

Une réalité très variée: de fils issus d’une relation hétérosexuelle antécédente à enfants adoptés au sein d’un couple homosexuel, nombreuses sont les histoires de ces familles. Dans ‘Buoni genitori. Storie di mamme e di papà gay’ (‘Bon parents. Histoires de mères et pères gays’ ndr.) par Chiara Lalli (Il Saggiatore, 2009) on peut lire un beau portrait de la réalité concernant les familles arc-en-ciel et trouver une analyse en profondeur des principales critiques adressées à l’encontre de l’homoparentalité.

Variées sont aussi les formes de tutelle juridique prévues par les différents Etats pour les familles arc-en-ciel. En se bornant aux pays voisins, l’Allemagne et l’Autriche, suite à un jugement prononcé par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, prévoient l’adoption des enfants du/de la partenaire. En France le ‘mariage pour tous’ – loi récemment adoptée et âprement contestée – prévoit l’adoption sans restrictions particulières aussi pour les couples homosexuels. En Italie il n’existe aucune loi à ce sujet.

Quant à la Suisse, la loi sur le Partenariat enregistré (le mariage homosexuel suisse, ou en tout cas ce qui s’en rapproche le plus ndr.) ne prévoit pas l’adoption ; cependant en mars de cette année le Conseil des Etats a approuvé une motion pour envisager l’adoption des enfants de l’un/e des deux partenaires.

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