Le terrorisme : un ennemi construit #2

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    Becker dans son ouvrage Outsiders, explique que lorsqu’on nous étiquette comme déviant, nous entamons une véritable « carrière » de déviant, chose qui alors renforce et légitime notre statut de déviant devant ceux qui nous ont étiqueté comme tel. C’est un processus et un va-et-vient entre les entrepreneurs de moral et les personnes qui sont étiquetées comme « terroriste ». Les personnes qui ont été étiquetées comme déviantes entreront dans une véritable carrière de déviant et développeront une identité de déviant. Elles acquerront des outils et techniques pour renforcer cette identité. On peut observer la même chose en ce qui concerne les personnes qui ont été étiquetées comme « terroristes ». Les membres d’Al-Qaïda se revendiquent comme « terroristes » et renforcent l’étiquette qu’on leur a donnée. Ils endossent l’identité que les « entrepreneurs de moral » leur ont infligée et la renforce en se comportant comme un « terroriste » au sens que les « entrepreneurs de moral » l’avait définit. Al-Qaïda continue à organiser des attentats et à les perpétrer au nom de l’islam ; description qui reflète parfaitement la définition du terrorisme qu’avait donné George Bush Jr.

« Les « entrepreneurs de moral » ont définit « le terroriste » comme un ennemi de guerre »

    Etiqueter quelqu’un de « terroriste » a une autre conséquence au niveau judiciaire qui peut aussi se vérifier dans les cas d’Al-Qaïda et d’Andres Breivik. L’étiquette de «terroriste» implique une responsabilité criminelle, paradoxalement elle s’accompagne souvent de la suppression du droit à un procès jugé équitable selon les critères occidentaux. Avec l’étiquette de « terroriste », le droit international n’existe plus. Le camp de Guantanamo à Cuba est la preuve de cela. Toutes les personnes soupçonnées de participer ou de contribuer à des activités terroristes, au sens que l’entendent les Etats-Unis, sont enfermés dans ce camps, où torture et d’autres méthodes sont utilisées pour obtenir des informations des détenus. Bien que ce camp soit illégal au vu du droit international, il est néanmoins perçu comme légitime par beaucoup. Les « entrepreneurs de moral » ont définit « le terroriste » comme un ennemi de guerre. La Guerre contre le terrorisme est une guerre contre ces « terroristes » que définissent et construisent les Etats-Unis. Ainsi, en guerre, tous les coups sont permis pour battre son ennemi. De l’autre côté, Andres Breivik, même s’il a commis un attentat à Oslo et a exécuté 69 personnes sur l’île d’Utoya, n’entre pas dans la catégorie de « terroriste ». Les politiques ainsi que l’opinion l’ont pris pour un malade mental qui avait des idées extrémistes de droite. Il a eu droit à une expertise psychiatrique et à une procédure judiciaire comme le veut chaque Etat de droit. Une telle procédure serait inimaginable pour les personnes étiquetées comme « terroriste ». La « Guerre contre le terrorisme » que mènent les Etats-Unis et la Grande-Bretagne n’est pas dirigée vers ce genre là de terrorisme. Ces Etats ont construit le terrorisme comme quelque chose qui provient seulement des pays de l’Orient. Cette construction sociale du terrorisme explique pourquoi des auteurs d’attentants meurtriers n’ont pas toujours le même traitement judiciaire. Les « entrepreneurs de moral » les construisent comme « terroristes » ou comme « malade mentaux » et cela a des conséquences judiciaires différentes comme le démontre la comparaison entre les membres d’Al-Qaïda et Andres Breivik.

    En désignant certains comme « terroristes » à la place d’autres, les Etats-Unis peuvent légitiment poursuivre leurs intérêts dans la région du Moyen-Orient et dans le Caucase où les enjeux énergétiques, politiques et économiques sont énormes. Tout le monde se rappelle de l’intervention  controversée devant le Conseil de Sécurité de l’ONU de Colin Powell, alors Secrétaire d’Etat des Etats-Unis, en 2003. Il avait montré des preuve très douteuses sur l’existence sur le sol irakien d’armes de destruction massive. A ce moment là, une carte montrant les réserves de ressources naturelles de l’Irak aurait été plus pertinente pour justifier une intervention dans ce pays du Moyen-Orient… La région du Moyen-Orient et du Caucase est celle où se joue d’énormes enjeux géo-stratégiques. Il y a l’enjeu du contrôle des infrastructures énergétiques face à la Russie et la Chine pour assurer un accès à l’or noir et au gaz de la région. Dans notre ère post guerre froide, se joue une lutte pour l’influence entre les grandes puissances que sont les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Chacune de ces puissances  cherche à avoir de l’influence dans cette région et les Etats-Unis, eux, cherchent à garder leur statut d’hégémon mondial en essayant d’imposer leur modèle de démocratie capitaliste.

« Le monde n’est pas self-evident, il ne se donne pas à voir immédiatement, tel qu’il est »

    La théorie constructiviste et l’interactionnisme symbolique de Becker permettent de comprendre pourquoi les Etats-Unis ne mettent pas autant de moyens en œuvre pour combattre le terrorisme le plus menaçant pour ses citoyens. Ce terrorisme-là n’a pas été étiqueté comme « terrorisme » par les « entrepreneurs de moral », mais tue davantage que celui qu’ont construit ces derniers. Un chiffre publié récemment montre à quel point le vrai terrorisme, la vraie menace meurtrière se trouve à l’intérieur des Etats-Unis. Depuis la tuerie de 23 jeunes élèves dans une école primaire à Newton, Connecticut, les Etats-Unis comptent jusqu’à ce jour 1500 morts par arme à feu. On estime à 10’000 le nombre de morts par armes chaque année. Ce sont des chiffres qui dépassent largement le nombre de victimes américaines dues au terrorisme de « l’axe du mal ». Pourquoi les autorités américaines s’attardent-elles autant à cet « axe du mal » ? Quels intérêts auraient-elles à définir les meurtres quotidiens aux Etats-Unis comme du « terrorisme » aussi menaçant que celui d’Al-Qaïda ? Aucun. Les autorités et l’industrie américaine auraient plus à perdre. Le pays est le plus grand exportateur d’armes à feu au monde et possède le plus gros budget de défense au monde. Selon le National Shooting Sports Foundation, les ventes d’armes à feu représentaient en 2011 32 milliards de dollars aux Etats-Unis, chiffre équivalent au budget annuel du Nigeria. Surtout, le National Rifle Association, lobby le plus présent et puissant au Congrès à Washington, se tirerait difficilement une balle dans le pied en oeuvrant contre les ventes d’armes à feu.

    Pour conclure de manière peut-être provocatrice, Jean Ziegler écrit la phrase suivante dans son ouvrage Destruction Massive (2011) : « Le monde n’est pas self-evident, il ne se donne pas à voir immédiatement, tel qu’il est, même aux yeux de ceux qui jouissent d’une bonne vue. Les idéologies obscurcissent la réalité. Et le crime, de son côté, avance masqué ». La déviance comme le terrorisme n’est pas une chose donnée mais choisie et définie par un groupe social car ce groupe a des intérêts derrière cette construction sociale.

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