Les attentats oubliés : Beyrouth et Paris, même humanité

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L’horreur, ce mot est sur toutes les lèvres depuis ce vendredi noir. Mais il l’était déjà sur beaucoup bien avant.

Ce vendredi était déjà un jour noir au Liban, jour de deuil national à la suite du double attentat ayant frappé Bourj al-Barajneh, dans la banlieue-sud de Beyrouth faisant 43 morts[1] et plus de 200 blessés. Tout ceci en seulement quelques heures après qu’un homme portant une ceinture d’explosifs se fasse arrêter à Tripoli. Bien que ce soit le plus gros attentat qu’ait connu Beyrouth[2] depuis la fin de la guerre civile, celui-ci n’aura pas eu le même impact psychologique que celui survenu le lendemain à peine à Paris, à plus de 3’000 kilomètres de là.

 

Cet attentat au Liban a, à ma grande surprise, seulement secoué légèrement le pays. Le fait que ce ne soit pas à Beyrouth même y est pour quelque chose, le fait que des attentats soient « courants » au Liban, d’autant plus dans les banlieues sud de Beyrouth. Moi-même, apprenant la nouvelle de ces attentats, je me suis senti choqué, mais pas moins en sécurité ou inquiet pour ma vie ; j’étais conscient que ce type d’événement arrivait au Liban avant de m’y rendre.

À travers les médias internationaux, on minimise également le drame mentionnant un fief du Hezbollah. Le Liban a été de nombreuse fois victime d’attentats politiques très ciblés, mais cette fois tout est différent. Cette attaque a eu lieu devant un centre commercial d’une rue très fréquentée de cette banlieue de Beyrouth connue pour ses camps de réfugiés. Ce quartier défavorisé est habité de musulmans chiites, certes, comme durant les derniers attentats. Pourtant, il est aussi peuplé de musulmans sunnites, de chrétiens maronites, de Libanais, de Syriens, de Palestiniens, d’Iraquiens, de Pakistanais, bref, de personnes qui n’ont pas de dénominateur religieux en commun, des êtres humains.
On ne peut pas considérer qu’un tel est événement est moins important en raison des confessions, nationalités ou statuts socio-économiques de ses victimes, ni en raison du pays, du quartier ou encore du nombre de morts. Mais on dirait que c’est ce qui s’est passé, triste sort pour le Liban qui a fait face à une nouvelle sorte d’attentat suicide sur son sol, celle visant le plus grand nombre de victimes possibles. Mais étant donné que c’est le Liban, cela ne vaut peut-être pas notre attention. Du moins c’est l’impression qui en ressort.

 

Le lendemain soir, des voix libanaises s’élèvent face à l’horreur se déroulant à Paris. Le soutien libanais semble fort, les étudiants internationaux de partout dans le monde, comme la veille, se relaient les informations qui passent un peu partout sur Internet ou sur les chaînes d’informations. Les #prayforparis fusent, parfois en même temps que des #prayforlebanon, certains amis parisiens venus étudier au Liban se sentent juste perdus, leurs deux pays viennent d’être le théâtre d’événement atroces en à peine deux jours. Tout le monde se met à contacter ses proches présent à Paris, paniquant jusqu’à recevoir une réponse. Sur un groupe Whatsapp des étudiants internationaux ici l’inquiétude se fait sentir.

« Putain, on va tout le temps au Bataclan. Mes potes y sont deux fois par mois ! »

On se questionne sur le nombre d’otages, sur les lieux des attaques, sur où a eu lieu quoi. Une véritable nuit de chaos. Les décomptes des victimes, morts et blessés, ne cessent de gonfler. Les journalistes interrogent les rares témoins si oui ou non les assaillants auraient hurlé « quelque chose », bien qu’on comprenne tous le sens de la question. Le nom des responsables n’a pas encore été mentionné, pourtant il était déjà présent dans tous les esprits, les mêmes responsables que ceux qui avaient la veille lancé l’assaut au sud de Beyrouth.

 

«Mais c’est un cauchemar quoi, des dizaines de morts, des gens innocents et j’imagine qu’on a tous une petite idée de qui a fait ça », écrit un ami français sur le groupe Whatsapp avant de se faire couper « Stop ! We don’t know who it is. We wait and no panic. It happened yesterday in Beirut, today in Paris, both of them are equally disgusting », répond en anglais un ami assis à mes côtés pour que ce message s’adresse à l’ensemble des 70 membres présents dans cette conversation.

Et dire qu’au début de cette soirée, on discutait avec des Franco-libanais qui venaient de quitter Paris pour faire leurs études au Liban, et on était tous d’accord que malgré les attentats de la veille, on se sentait plus en sécurité à Beyrouth qu’à Paris… La nouvelle du drame a tout de même été un choc inattendu, et de taille. Même certaines personnes n’ayant pas de forts liens avec Paris auront finalement passé une très courte nuit.

Il aura fallu une attaque d’une énorme ampleur dans un autre pays pour que certains libanais se rendent compte de l’horreur de la veille dans leur propre pays. Au Liban, en Syrie, en Iraq et dans d’autres pays, la nouvelle d’un attentat ne fait plus autant de bruit que dans d’autres pays. On considère désormais cela comme un mal du pays, au même titre que les déchets, la guerre ou la corruption. C’est comme ça et puis c’est tout. On en a parlé, mais maintenant on s’y est habitué.

 

On essaie d’identifier les victimes comme les coupables. Des chiites à Bourj al-Barajneh? Des fans de death metal au Bataclan? On essaie de se rassurer en se disant que nos proches ne font pas partie de ces groupes qu’on a déjà étiquetés, généralisés.

De l’autre côté, des messages de haine pullulent sur Internet désignant comme bouc émissaire les arabes, les migrants ou les musulmans, mais tous sous la même casquette. Ces amalgames poussant à la haine ne différencient pas les victimes des coupables, l’amour rend aveugle, la haine aussi, et c’est justement choisi à l’aveugle qu’ont péri près de 170 innocents pendant que plus de 400 autres n’ont été pour le moment que blessés[1].

 « À  vous, rois des amalgames incohérents et faciles, sachez que les huit personnes dont on parle le plus depuis hier soir, comme vous, ne savaient pas différencier le coupable, l’ennemi ou l’innocent. »

À ceux qui peinent à comprendre, fermés sur le monde ou ouverts que sur leurs intérêts et leur nombril, comprenez-vous maintenant pourquoi ces réfugiés, musulmans, chrétiens, ou autres quittent leur pays où la terreur a élu domicile? Comment pouvez-vous mettre dans le même sac ces monstres inhumains qui perpétuent ces actes lâches qui ne représentent aucune religion et les victimes de ces derniers? C’est avec cette fermeture, ce rejet constant, cette ignorance que les différences se creusent et que les extrêmes se développent, vous comme eux. À  vous, rois des amalgames incohérents et faciles, sachez que les huit personnes dont on parle le plus depuis hier soir, comme vous, ne savaient pas différencier le coupable, l’ennemi ou l’innocent.

Vous n’avez peut-être pas de sang sur les mains, mais vous êtes à mes yeux tout autant coupables. Coupables d’intolérance et d’ignorance. Ne comparons pas les nombres, les lieux, les nationalités ou les confessions : la vie d’un innocent a le même prix partout à travers le monde.

 

Mes pensées aux proches des victimes de Bourj al-Barajneh, de Paris, et de partout ailleurs.

[1]Chiffres reposant sur les derniers chiffres au moment de la rédaction de cet article.

[2] Un double attentat à la voiture piégée ayant fait 45 morts à Tripoli, au nord du Liban en août 2013

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