Peut-on espérer une amélioration de la situation des millions de déplacés internes nigérians ?

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La migration internationale est un sujet particulièrement récurrent dans les médias ces dernières années. En effet, l’Europe a vu le nombre de demandeurs d’asile aux frontières de l’espace Schengen augmenter, notamment à cause des guerres civiles et des tensions dans les régions d’Afrique et d’Asie occidentale. Ainsi, les médias et les acteurs politiques européens se sont chargés de diffuser l’information par le biais d’images choc, de chiffres alarmants et de prédictions diverses.
Cependant, si cette mobilisation a parfois eu un impact positif sur la prise en charge des migrants qui ont atteint les territoires européens, on observe que l’attention pour les autres questions migratoires a été complètement occultée par cette situation. En effet, la migration interne ou les déplacements de personnes dans les pays limitrophes à l’Etat en crise ne sont que rarement médiatisés bien que ces flux humains soient souvent numériquement largement supérieurs à la migration internationale. Ainsi, cet article s’intéresse à la migration interne au Nigéria qui a débuté il y a quelques années et qui continue encore aujourd’hui.

La crise migratoire nigériane est survenue presque au même moment que celle en Europe. Effectivement, le Haut-Commissariat des Réfugiés des Nations Unies (UNHCR) a labellisé la situation comme crise des réfugiés en 2014 (1).
La majorité des déplacés nigérians ont dû fuir leur lieu de résidence à cause du mouvement insurrectionnel Boko Haram qui sévit dans le Nord-est du pays. Boko Haram est une secte musulmane, créée en 2002, qui prêche le retour à un islam radical et notamment l’application de la charia, en opposition aux valeurs démocratiques (2). Le groupe sévit dans la région du lac Tchad depuis 2009 et a été reconnu par l’Etat Islamique en 2015 alors qu’il était à l’apogée de sa puissance (3). Si, aujourd’hui, une diminution de l’emprise du groupe rebelle est observée, les combats entre les troupes insurrectionnelles et gouvernementales contraignent toujours de nombreux Nigérians à l’exil.

Le nombre de réfugiés dans les pays limitrophes, à savoir le Niger, le Cameroun et le Tchad, a augmenté drastiquement jusqu’en 2016 avant de se stabiliser. Selon un recensement du UNHCR, plus de 230’000 réfugiés nigérians sont actuellement répartis dans ces trois pays.
Cependant, plus de 80% des personnes forcées à l’exil se déplacent, tout en restant à l’intérieur des frontières du Nigéria. Ce sont les Personnes Déplacées Internes (PDI) qui représentent plus d’1.9 million d’individus nigérians (4). Ces citoyens se retrouvent ensuite dans des camps de réfugiés et souffrent des mêmes manques que les migrants internationaux, tels que la précarité financière, la séparation familiale ou le manque d’accès à des infrastructures sanitaires et scolaires. Leur position peut même s’avérer plus critique que celle des réfugiés internationaux car, comme que le souligne le Haut-Commissariat des réfugiés de l’ONU, ils ne bénéficient pas de la protection liée au statut de réfugié international et requièrent donc la protection de leur propre Etat.
Or, l’Etat nigérian a du mal à assurer la prise en charge de ces citoyens puisqu’il doit parallèlement lutter contre la faction rebelle. C’est pourquoi de nombreuses instances internationales se sont récemment mobilisées pour améliorer le sort de ces personnes. Le Comité International de la Croix Rouge (CICR) cherche, avec l’appui de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), à faire adopter au gouvernement nigérian une protection juridique pour les Personnes Déplacées Internes. Cet instrument contraindrait l’Etat du Nigéria à prendre en charge ces citoyens en exil (5).

Pour compléter cette initiative, dont les effets ne seraient observés que dans le long terme, divers acteurs internationaux agissent directement pour améliorer les infrastructures temporaires des camps de réfugiés afin d’éviter une crise humanitaire majeure. L’Union Européenne et les Nations Unies, notamment, se sont engagées à financer et à aider à la restructuration des camps de réfugiés par le biais d’acteurs locaux comme la Croix Rouge nigériane et certaines agences gouvernementales du Nigéria (6). Malgré le renforcement de la prise en charge assuré par ces interventions, les conditions de vie des réfugiés restent souvent difficiles.

La situation peut cependant évoluer rapidement dans le courant des prochains mois car les Nigérians sont appelés aux urnes en février 2019 pour élire leur président. Les deux candidats pour le poste sont Muhammadu Buhari, président actuel et membre du Congrès progressiste (APC), et Atiku Abubacar, vice-président de 1999 à 2007 et représentant du Parti Démocrate Populaire (PDP) (7). L’enjeu de la sécurité intérieure sera certainement un terrain de confrontation politique. Déjà en 2015, alors que Boko Haram avait atteint l’apogée de sa force de frappe, Muhammadu Buhari avait pu mobiliser une partie de l’électorat parce qu’il semblait, par son passé militaire, l’homme de la situation pour lutter contre la faction. Cependant, 4 ans plus tard, l’ordre n’a toujours pas été rétabli dans une partie du Nord-est du pays, bilan mitigé qui suscite la critique de nombreux milieux. Atiku Abubakar l’a d’ailleurs déploré, lors du lancement de sa campagne : « Aujourd’hui, la précarité du peuple nigérian prend de l’ampleur. Plus de personnes sont mortes du fait de la pauvreté et de l’insécurité sous le mandat de l’APC qu’en Afghanistan ou en Irak. Aujourd’hui, nous sommes plus divisés qu’à aucun autre moment de l’histoire de notre pays. Aujourd’hui, nous avons le taux de chômage le plus élevé de l’histoire de ce pays, plus d’un million de jeunes sont sans emploi » (8). Cependant, les programmes politiques des candidats restent vagues. Ainsi, les priorités du gouvernement pourraient se modifier, peut-être en faveur des Personnes Déplacées Internes. Rappelons toutefois que ce n’est pas le seul défi auquel fera face le gouvernement entrant. En effet, bien que le pays ait bénéficié d’un important développement économique ces dernières années grâce à la diversification de l’exploitation des ressources énergétiques sur son territoire, selon le rapport de l’Union Européenne de 2018 « 60% de la population vit sous le seuil de pauvreté et n’a pas accès aux soins de santé, à l’éducation ou à l’eau potable » (9). Ainsi, malgré la possibilité d’un changement de gouvernement au Nigéria en 2019, il n’est pas sûr que l’amélioration de la situation des Personnes Déplacées Internes devienne une priorité nationale.

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