Le pédagogique : nouvelle stratégie des parcs marins

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Tout d’abord, un petit retour sur certains faits marquants. Le 24 février 2010 à Orlando, D. Brancheau, une dresseuse, est tuée par l’orque star du parc SeaWorld, Tilikum, sous les yeux du public en plein spectacle. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’un tel accident se produit avec cette orque en particulier. Trois ans plus tard, le documentaire Blackfish dévoile au grand public la vérité sur la captivité des orques et sur l’accident. Il déclenche une indignation de masse et SeaWorld voit son chiffre d’affaire chuter de plus de 15 millions de dollars selon les dirigeants[1]. S’en suit alors une bataille judiciaire entre SeaWorld et la commission côtière de Californie qui autorise le parc à agrandir ses bassins d’Orlando à condition que les orques ne se reproduisent plus, alors que le parc pensait profiter de cet agrandissement pour tripler son nombre d’orques[2]. Cependant, en mars 2016, les choses s’accélèrent et SeaWorld prend un tout autre virage en annonçant la cessation totale de son élevage d’orques ainsi que l’arrêt des spectacles pour préférer une sensibilisation sur les conditions de vie des orques, qualifiée de « pédagogique » envers le public[3].

En effet, ils prétendent apprendre au public quels sont les besoins des orques. Parallèlement, le parc Marineland, à Antibes, annonce en mars 2016 sa réouverture après plusieurs mois pendant lesquels les orques sont restées dans la boue et dans les eaux contaminées par du mazout[4]. Cependant, son nouveau directeur veut lui aussi « promouvoir le pédagogique », tout en continuant les grands spectacles. Leur nouveau slogan ? « Découvrir et apprendre»[5].

Toutefois, aucun des besoins vitaux des orques ne sont respectés dans cette vie en captivité, à commencer par celui de nager plusieurs centaines de kilomètres par jour, ou encore de vivre en famille (jeunes avec les mères) et en grand groupe (20 à 50 animaux). Dans les parcs, ces conditions ne sont pas respectées : bien souvent, les jeunes orques sont séparées de leur mère pour être envoyées ailleurs. Entre l’enthousiasme général de l’annonce de l’arrêt de l’élevage d’orques à Sea World et le dégout de la réouverture de Marineland, les esprits s’échauffent.

 

Qui n’a pas rêvé un jour de rencontrer ces animaux mythiques que sont les orques dans ces fameux parcs animaliers tels que Marineland ou SeaWorld où elles endossent le rôle de mascottes ? Devant des yeux émerveillés, là où s’éveille les âmes d’enfant, elles assurent un show magique, bien orchestré, avec des figures impressionnantes. Diantre, que cela semble amusant. Elles semblent épanouies, dans un parc spécialisé, avec des soigneurs et quelques poissons en guise de félicitation. Néanmoins, la réalité de l’autre côté du bassin est bien moins lumineuse. Suite au visionnage du fameux reportage Blackfish, mettant en lumière les dessous de la captivité des orques, je fus prise d’un sentiment d’effarement. La triste réalité éclate au grand jour et parait provoquer chez de nombreux spectateurs une sévère prise de conscience. En effet, dans un sens, le public participe involontairement à cela en achetant les entrées, les peluches des orques aux enfants et en promettant de revenir.

Vignette #1
Keiko, Décembre 1998, orque du film Free Willy.

D’un point de vue purement juridique, les orques aussi possèdent une législation qui leur est propre. D’après le Code rural et de la pêche maritime français, dans la partie concernant les animaux domestiques ainsi que des animaux sauvages apprivoisés ou captifs, il est interdit d’exercer de mauvais traitements et la préservation des espèces animales est une obligation d’intérêt général. C’est l’un des arguments qu’utilise l’association Sea Sheperd France en citant devant le tribunal correctionnel le parc Marineland pour maltraitance[6]. Ajoutons que selon un décret[7] relatif à « l’utilisation des animaux dans les spectacles publics et les jeux » il est interdit : « De faire participer à un spectacle tout animal dont les caractéristiques ont été modifiées par l’emploi de substances médicamenteuses ou qui a subi une intervention chirurgicale telle que la castration, le dégriffage (…). Est également interdite la participation d’animaux à des jeux et attractions pouvant donner lieu à de mauvais traitements dans les foires, fêtes foraines et autres lieux ouverts au public. »[8] Le non-respect de ces règles peut alors mener à des sanctions pénales. Or, les parcs semblent effectivement aller à l’encontre de ses législations puisque, par exemple, ils administrent des antidépresseurs aux orques, entre autres médicaments[9].

En dépit de cela et des plaintes déposées par les associations, l’annonce faite par Seaworld dernièrement et la réouverture de Marineland avec pour nouvelle ligne de mire « le pédagogique » provoquent des débats houleux. La bonne nouvelle ? Aucune nouvelle orque ne naîtra dans l’un des parcs de SeaWorld.  Il en reste cependant 29 en captivité, qui ne peuvent pas être remises en liberté, les chances qu’elles survivent étant infimes. Cela semble en même temps nécessaire d’en garder quelques-unes en exposition pour expliquer leur mode de vie aux visiteurs. Et, que serait SeaWorld sans orques ? Cette nouvelle approche est séduisante. L’idée d’aller au parc pour apprendre sur ces animaux, pas seulement pour se faire éclabousser, donnerait même l’envie d’y emmener ses enfants. Mais, réellement, que va-t-on y apprendre ?

L’argument pédagogique semble très en vogue et nécessite une brève analyse. D’après les  lexicographes, le mot « pédagogique » est l’« ensemble des méthodes dont l’objet est d’assurer l’adaptation réciproque d’un contenu de formation et des individus à former»[10]. Le terme « objet » indique la présence d’un enjeu dans cette transmission, tandis que les objets « formation » et « à former », montrent une visée éducative. Ceci est analysé par Marie Luce Honeste dans son ouvrage traitant de l’utilisation du terme pédagogie en politique.

Ainsi, dans une relation de type pédagogique, il y a une asymétrie d’information : le public des parcs ne sait pas, tandis que le parc détient le savoir. Celui qui sait est valorisé et sa parole semble légitimée puisqu’elle prétend être détentrice de vérités. Ceci peut donc aisément mener à une manipulation de la part des parcs et donc, le risque que le parc n’explique pas les réels besoins des orques afin d’éviter que ces problèmes sautent aux yeux des visiteurs est bien présent. Comme cité plus haut, les besoins vitaux des orques ne sont pas respectés. Affirmer que les orques s’amusent et se délectent quand on leur donne un bloc de glace avec quelques poissons alors que cet animal, dans la nature, mange des morses, des phoques ou des lions de mer, ne serait-ce pas de la mauvaise information ? Il est également légitime de s’interroger lorsque nous écoutons le directeur de Marineland affirmer lui-même que les orques sont heureuses dans ces bassins, à enchainer les tours devant un public fasciné ; ce qui semble être le cas grâce à l’utilisation d’antidépresseurs. Et dans l’éventualité où le parc enseignerait sincèrement au public, la question de la cohérence est légitime : ce serait comme expliquer à un enfant qu’il doit faire attention à l’environnement, tout en jetant ouvertement devant lui nos déchets dans la nature.

Alors, le pédagogique, vraiment ? Les orques sont un business pour ces parcs, ne l’oublions pas. Et ce sont, en plus de cela, LES stars. En voyant que la tentative d’agrandir les bassins, pour se donner bonne conscience, n’a manifestement pas eu l’effet escompté auprès des associations et auprès d’une grande partie du public, le pédagogique apparaît plutôt comme une nouvelle stratégie marketing pour redorer l’image jadis tant prestigieuse de SeaWorld ou Marineland. Le pédagogique que je retiens ? Aller voir plus loin que ce qu’une prétendue source d’autorité veut nous faire croire. Car, une chose est sûre : ce n’est pas encore la fin de la captivité pour les orques, ni une amélioration de leurs conditions de vie. Mais, espérons, un premier pas sur le long chemin qu’il reste à faire.

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