Le Brexit, Boris et les Bâtards: tout ce qu’il faut savoir

Avatar de Webmaster de Topolitique

Pourquoi le référendum de 2016 a-t-il eu lieu ? Comment le camp du « leave » a-t-il gagné ?

Le Royaume-Uni est devenu membre des Communautés européennes (CE) en 1973 et en 1975 le maintien de l’adhésion a été approuvé par référendum. Après son soutien initial au projet européen, Margaret Thatcher a condamné une union politique sans cesse plus étroite à la fin des années 1980. Ses propos ont profondément marqué l’esprit de certains de ses députés qui ont passé la décennie suivante à s’opposer à la tendance europhile de l’administration suivante dirigée par John Major. Même s’il a réussi à convaincre la Chambre des communes de ratifier le traité de Maastricht, les eurosceptiques thatchéristes ont par la suite infligé plusieurs défaites à son gouvernement en matière d’Europe. Major a surnommé ce groupe « les bâtards ». Outrés que le traité de Maastricht a été ratifié sans consulter l’électorat, plusieurs dissidents ont fondé un nouveau parti réclamant une sortie de la CE, qu’ils ont nommé UKIP (UK Independence Party) (I).
Ainsi, en 2014, sous la pression des « bâtards » et la possibilité de perdre des votes au profit de l’UKIP, David Cameron promet d’organiser un referendum sur la question de rester membre de l’UE. Malgré sa promesse, Cameron ne s’attend pas à la réalisation du référendum, vu que ses chances de gagner une majorité absolue aux législatives de 2015 étaient infimes. (II) Cependant, après une victoire inattendue, Cameron finit par tenir le référendum en juin 2016. Malgré être restée longtemps en tête des sondages, la position remain a perdu beaucoup de terrain lors de la campagne menée par Cameron, jugée par beaucoup comme étant trop négative et technocrate. (III) A l’inverse, la campagne pour sortir était considérée comme plus dynamique et optimiste même si ses affirmations principales n’étaient pas strictement vraies – surtout la déclaration ridicule qu’arrêter de contribuer au budget européen permettrait au gouvernement de dépenser £350 millions de plus chaque semaine pour le système de santé. Finalement, les slogans percutants de leave ont triomphé et les Brexiteurs se sont crus enfin en situation de reprise du contrôle (IV) . Ironique, n’est-ce pas ?

Qui est Boris Johnson ? Comment est-il arrivé au pouvoir ?

Né de parents aristocrates à New York, il doit sa notoriété aux articles eurosceptiques qu’il écrivait pour le journal The Daily Telegraph (V). Maire de Londres de 2008 à 2016, « Bojo » a développé une réputation controversée à cause de ses nombreuses aventures sexuelles et de son usage du langage coloré – l’année dernière, il a proclamé que les femmes voilées ressemblent à des « boites aux lettres » (VI). Une figure importante dans la campagne pour quitter l’UE, Johnson était le candidat de choix pour succéder à Theresa May, mise à la porte et traînée dans la boue par son parti à la suite de trois défaites écrasantes de sa politique Brexit, dont la plus grande défaite jamais subie par un gouvernement britannique dans l’histoire. (VII)

Quelle est la situation actuelle au sein du Parlement britannique ?

L’exécutif est en bisbille avec le législatif. Le gouvernement, dirigé par Boris Johnson, entend faire sécession avec l’Union Européenne le 31 octobre coûte que coûte. Comme les négociations pour trouver un accord entre Londres et Bruxelles sont, au mieux, tendues et, au pire, inexistantes, cela impliquerait, selon toute vraisemblance, une sortie sans accord. Une telle ligne de conduite requerrait l’assentiment du Parlement. Or, la majorité des députés manifeste une implacable opposition au no deal, et ont même voté une loi pour rendre la sortie de l’UE illégale (VIII). Surnommée la «Benn Act », elle contraint Johnson à demander un délai supplémentaire auprès de l’UE lors du sommet européen ces 17 et 18 octobre prochains ». Pourtant, on ne sait pas encore s’il a vraiment l’intention de le faire.

Si le Parlement se trouve face à une impasse, pourquoi ne pas déclencher des élections ?

Boris Johnson ne veut rien de plus qu’une opportunité de récupérer la majorité qu’ont perdue les conservateurs en 2017. Pourtant, à cause d’une loi adoptée par l’administration Cameron, le Premier ministre n’a plus le droit de convoquer des législatives précoces sans le soutien de l’opposition (XII). Or, les travaillistes ne sont pas prêts à voter en faveur d’une élection avant que l’échéance Brexit ne soit prolongée, pour deux raisons. Premièrement, pendant une telle campagne, le Parlement doit être dissout et l’opposition suspecte que Johnson profiterait de cette occasion pour orchestrer une sortie sans accord. Deuxièmement, l’opposition sait que si elle repousse la date de l’élection jusqu’au 1er novembre elle aura de bien meilleures chances de la gagner. Voici comment : Johnson est déjà piégé – sa base électorale est ardemment en faveur du Brexit, mais la « Benn Act » l’oblige à le retarder. Si elle voit que Johnson prend encore du retard, certains électeurs feront défection au « Brexit Party » (successeur d’UKIP). En raison du fonctionnement du système électoral britannique, une scission du vote pro-Brexit entre ce dernier et les conservateurs entraînerait probablement une perte de sièges pour les deux au Parlement au profit des travaillistes. (XIII)

Les partis d’opposition ne peuvent-ils pas travailler ensemble pour trouver une solution ?

C’est difficile car ils sont fragmentés. Les conservateurs expulsés prônent l’adoption de l’accord de Theresa May, les travaillistes veulent négocier un nouvel accord, les verts sont favorables à un deuxième referendum et les libéraux-démocrates entendent tout simplement annuler le Brexit en révoquant l’article 50, la clause de sorite de l’UE garantie par le Traité de Lisbonne. Chaque parti a une position si bien arrêtée qu’il n’est pas prêt à faire des compromis. Ils ne s’entendent que sur le fait d’empêcher un no deal. (XIV)

Pourquoi un accord n’a-t-il pas encore été accepté ? Qu’est-ce que le « backstop » ?

Au bout de deux ans de négociation, le gouvernement de Theresa May a signé l’accord qu’il a conclu avec Michel Barnier, le porte-parole de l’Union Européenne pour le Brexit. Pourtant il n’a pas été ratifié par le Parlement britannique et ne le sera probablement jamais. L’accord voulait que le Royaume-Uni quitte le marché unique, mais pour éviter des contrôles de douanes à la frontière irlandaise, il proposait une participation continue à l’union douanière jusqu’à la conception d’une autre solution – le fameux filet de sécurité ou backstop. Essentiellement, c’était un compromis qui n’a plu à aucune faction à la Chambre des communes. Pour l’opposition europhile, l’idée de quitter la zone économique commune de l’UE était inimaginable. Pour les ultras-Brexiteurs, le fait de continuer d’observer certaines régulations européennes sur le commerce était inadmissible car cela empêcherait le Royaume-Uni d’établir des accords de libre exchange avec d’autres pays – ils voteraient uniquement pour un accord sans le backstop. Pour le DUP, ce dernier représentait l’antithèse de tout ce qu’il défendait car il impliquerait des contrôles de douanes à la mer d’Irlande, ce qui risquerait de renforcer les arguments pour la réunification de l’Irlande. Soucieuse de l’intégrité du marché unique, l’UE ne considérait pas un accord sans le backstop (XV).

Le « no deal » est-il vraiment si mauvais ?

Les effets du « no-deal » seraient négatifs et chaotiques au moins à court terme, surtout pour la Grande-Bretagne et dans une moindre mesure pour l’UE (XVI). Selon un rapport commandé par le gouvernement, il risque d’y avoir des pénuries de médicaments vitaux, une hausse du prix des aliments, des retards sévères à la traversée de la Manche et des avions cloués au sol (XVII). À moyen terme, les entreprises britanniques pourraient devenir moins compétitives et les PIB de l’UE et de la Grande-Bretagne pourraient croître beaucoup moins vite que prévu (XVIII). Face à ces prédictions, les Brexiteurs soutiennent que tout cela représente le pire des scénarios et que toute perte économique à courte terme représente un prix qu’il faut payer pour récupérer de la souveraineté et mettre fin à l’interventionnisme de Bruxelles. (XIX)

Le Brexit constitue-t-il une menace pour l’intégrité du Royaume-Uni ?

Sans doute, oui. Un Brexit mal géré pourrait non seulement avoir une influence sur le statut de l’Irlande du Nord comme décrit ci-dessus, mais pourrait aussi aboutir à l’indépendance de l’Écosse. Contrairement à l’Angleterre et au Pays de Galles, qui ont majoritairement voté pour leave, la population écossaise s’est déclarée largement en faveur du remain et une majorité est mécontente que les liens avec l’UE soient en train d’être coupés contre leur gré par leurs voisins du Sud. Le SNP, principal parti indépendantiste écossais, réclame un deuxième referendum sur l’indépendance, soutenu par les sondages récents qui montrent que le camp du oui aurait une courte avance. (XX)

Quelles solutions sont envisageables ?

En supposant que l’UE accepte la prolongation, trois solutions semblent possibles mais pas entièrement probables. La première est qu’un accord de retrait révisé soit négocié, mais étant donné la pierre d’achoppement que représente le backstop, cela reste peu vraisemblable. La deuxième serait la convocation d’élections législatives pour renouveler le Parlement. Tandis que cette ligne de conduite paraît pratiquement certaine dans un futur proche (mais non immédiat), elle ne garantit pas la sortie de l’impasse, particulièrement si elle mène à un autre gouvernement minoritaire. La troisième est l’organisation d’un People’s Vote – un deuxième referendum sur le Brexit pour vérifier si les Britanniques veulent toujours sortir et, le cas échéant, s’ils veulent sortir sans accord ou en adoptant le deal de Theresa May. La probabilité que cela se produise est difficile à prédire mais le mais la perspective d’un referendum se rapproche de jour en jour, tant qu’une autre solution n’est pas acceptée. (XXI)

L’échéance Brexit sera-t-elle prolongée ?

Malgré la menace de Jean-Yves Le Drian que la France ne soutiendra pas une prolongation, il serait très étonnant que les chefs d’Etats européens ne valident pas un délai supplémentaire. En réalité, ils ne veulent pas plus que l’opposition britannique une sortie sans accord, étant donné l’impact économique négatif qu’elle pourrait avoir sur l’UE. (XXII) Le plus grand risque est que Johnson choisisse de ne pas respecter la « Benn Act » et refuse de demander que l’échéance soit reportée. (XXIII) Mais, dans ce-cas-là, il est probable que la Cour suprême britannique intervienne pour résoudre la situation avant le 31 octobre. Sinon Halloween sera vraiment un cauchemar.

Avatar de Webmaster de Topolitique

Laisser un commentaire