Vers la guerre perpétuelle

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Il est bien vu ces jours d’appeler à l’apaisement. De croire et prétendre que les menaces qui nous oppressent seront éradiquées par l’intégration, la tolérance et la coexistence pacifique des peuples. De penser et d’imaginer que ce monde qui est le nôtre, globalisé, mondialisé, connecté, sera demain le théâtre de la paix, du partage et de la compréhension mutuelle des cultures.

Je ne dénigre pas cette utopie, je la constate, je l’envie, mais je la nuance. Car si « l’histoire ne se répète pas, elle bégaie » pour reprendre l’expression attribuée à Marx. Les guerres frontales, clausewitziennes, les « guerres d’honneur » chevaleresque, ne sont plus de ce monde et il semble peu probable de les voir un jour revenir. Pour autant, le fort continue d’exploiter le faible, et le puissant d’accroître son emprise militaire sur ses semblables, par une technologie toujours plus « performante ». L’asymétrie des moyens rend inégalitaire l’affrontement, si bien que le visage même de la guerre s’en trouve durablement modifié. Le combat « honorable » n’a plus de sens aujourd’hui, car nul honneur sans reconnaissance et nulle reconnaissance sans égalité entre les moyens des adversaires se faisant face.

« Il n’y a plus ni guerre, ni paix : il n’y a qu’une guerre latente, indicible et perpétuelle »

Alors pourquoi le terrorisme ? Peut-être parce que les écarts de puissance sont devenus des abîmes. Peut-être parce que les moyens de communication modernes le permettent. Peut- être parce que l’Occident a oublié ce qu’est la guerre. Pour qu’un adversaire puisse prétendre nous affronter, encore faut-il qu’il ait le moyen de respecter les règles que nous avons nous- mêmes dictées. Dans le cas contraire, il cesse d’être l’adversaire pour devenir l’ennemi. Pour devenir celui qui enfreint les règles et ne mérite alors nul respect quant à la manière par laquelle nous lui donnons la mort. Un adversaire est un rival, un ennemi est un monstre. Et en ce sens, le terrorisme est le monstre que nous avons involontairement engendré.

Mais mon ambition n’est pas d’accuser ou de condamner. Je ne fais que constater un fait qui, à mes yeux, était inéluctable. Longtemps, la guerre fut circonscrite à un champ de bataille défini, donnant ainsi lieu à de mémorables affrontements de fer et de poudre. La technologie a rendu caduc cette représentation : monde mondialisé, guerre globalisée. La guerre est devenue diffuse, permanente, englobante. On ne se bat plus contre des armées, mais on continue de se battre contre des idées, des discours, des pratiques dont les revendications bien concrètes demeurent profondément humaines : pouvoir, gloire, territoire, sécurité. Le fond ne change pas, c’est la forme qui importe. La supériorité opérationnelle des grandes puissances militaires modernes a poussé à son paroxysme le déséquilibre dissymétrique.

Ce faisant, l’ennemi s’est adapté : si les règles du jeu sont défavorables, alors il les brise. Ainsi est né le terrorisme moderne qui n’est finalement qu’une réactualisation de pratiques anciennes. Au XIème siècle, les ismaéliens nizarites d’Alamût utilisaient déjà un mode opératoire que nous pourrions qualifier de terrorisme. Ces assassins étaient notamment craints pour leur totale dévotion à leur maître et leur ordre, allant jusqu’à exécuter leur cible sans aucune considération pour leur propre vie. Parallèlement, des stratèges, comme Sun Tzu, invitaient déjà leurs lecteurs à recourir à des tactiques d’affrontement indirect au VIème siècle. Des stratégies dénigrées par l’Occident, au sein duquel l’idéal chevaleresque semble demeurer, même si cela n’a nullement empêché de passer sous silence quelques actions jugées indignes et frôlant parfois avec le terrorisme et la guérilla. Dès lors, on comprend aisément pourquoi certains penseurs occidentaux contemporains peinent à appréhender le terrorisme. L’asymétrie des moyens militaires n’est cependant pas la seule composante explicative d’une généralisation du terrorisme. Le développement de technologies et de moyens de communication en réseaux permettant la diffusion instantanée d’informations sur le globe sont autant d’éléments à prendre en considération. L’image l’emporte sur les mots, l’émotionnel déborde sur le raisonnable. Là où la presse papier impliquait un temps d’écriture et d’impression, les images diffusées massivement sur Internet ne nécessitent que quelques minutes pour être téléchargées et visionnées. Cela implique deux choses : un manque de distance de la part de celui qui les regarde et un manque de contrôle de la part des autorités.

« L’image l’emporte sur les mots, l’émotionnel déborde sur le raisonnable. »

Celles-ci n’étant dès lors plus dans l’action, mais la réaction. Tandis que, plongé devant le fait accompli, le spectateur ne peut que constater le carnage, tout en se laissant remplir par l’effroi et par les fascinations morbides qui nous habitent tous. Alors, le terroriste aura fait son œuvre. La cible réelle n’a jamais été les victimes, mais bien ceux qui, témoins de l’évènement, sombrent dans la peur et la paranoïa. De ce point de vue, la meilleure arme contre le terrorisme est, et restera, le silence et la réflexion. Il n’y a plus ni guerre, ni paix : il n’y a qu’une guerre latente, indicible et perpétuelle.

Les cibles sont innombrables : civiles comme militaires, coupables comme innocentes. La frontière s’affaiblit entre les valeurs et les principes à l’heure où l’on comprend que nos idéaux n’ont rien d’universel et où la seule chose qui prévaut est l’intérêt. Froid, rationnel, raisonnable, il est la langue de tous et parlée par tous. Comprendre avec raison pour ensuite s’exprimer avec émotion, voilà peut-être une chose qui nous fait défaut à l’heure de la surmédiatisation de toute chose. L’empathie n’implique pas simplement de se mettre à la place de l’Autre lorsqu’il souffre, elle suppose de nous que nous soyons capables de comprendre l’Autre à n’importe quel instant. La haine de mon ennemi doit être comprise et admise avec raison pour être éradiquée. Cela ne veut dire justifier, excuser ou tolérer, cela veut dire saisir les prémisses de sa haine pour mieux s’assurer, non seulement de le vaincre, mais aussi que ses motivations à me haïr disparaissent à jamais… jusqu’à l’ennemi suivant.

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