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Le mythe suisse selon Chappatte

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Me voilà assise au Festival Histoire et Cité qui s’est déroulé du 30 mars au 1er avril, organisé par la Maison de l’histoire de l’Université de Genève. Le thème de cette édition est « croire et faire croire ».
Les premiers conférenciers du festival, Grégoire Nappey et Patrick Chappatte s’étonnent avec plaisir du monde présent dans l’auditoire alors que le printemps et le soleil pointent leurs nez depuis peu. Plusieurs membres de Topo qui veulent sans doute éviter les coups de soleil, se retrouvent avec surprise : TopoTV vient filmer une petite partie de la conférence, s’affairant ensuite au reste de la réalisation de leur vidéo, la cheffe de dossier s’assure que tout est clair, notre responsable du Collectif des médias étudiants vient satisfaire sa soif de curiosité et je prends des notes tout au long de la conférence. Cet article n’est d’ailleurs que le premier d’une série de plusieurs articles écrits dans le cadre du festival par d’autres rédacteurs sur des sujets divers, tout en gardant toujours en tête ce fil rouge qu’est « croire et faire croire ».

Cette conférence remet en question l’identité de la Suisse, jusqu’à demander si celle-ci ne serait finalement qu’un mythe auquel nous croyons dur comme fer. Peut-on imputer à tous les Suisses, qu’ils soient romands, alémaniques, tessinois ou romanches, une caractéristique commune ? La Confédération Helvétique, ce si petit pays, historiquement bâtit sur un réseau d’alliances, sur de simples traités de paix et de défense mutuelle en somme, et dont l’unité s’est presque vue imposée « par instinct de survie » à la vue des pays limitrophes friands de nos territoires, a-t-elle une identité spécifique ?

Même si depuis cette époque une législation fédérale unitaire a été mise en place, les cantons conservent encore une grande autonomie, garantie par la Constitution fédérale. Remarquons également qu’une certaine rivalité entre cantons existe et que celle-ci est culturelle : les Genevois ont une « grande gueule », les Vaudois sont des campagnards issus de la périphérie genevoise, les Suisses allemands sont rigides… et j’en passe ! Aux votations, les tendances sont bien souvent différentes entre les cantons romands et suisses allemands.

Alors peut-on réellement se sentir « suisse », alors qu’on ne peut pas se trouver de point commun, qu’on ne parle pas les mêmes langues et que l’on ne se met d’accord que rarement ? Est-ce que notre Suisse est une illusion, un mythe ? Chappatte s’est pris au jeu et nous a concocté une compilation en dessins de ce que pourraient être nos valeurs communes.
wr-4Chappatte dans « Le Temps », le 21 mai 2013

Premièrement, il pourrait y avoir l’armée, cette institution qui cimente et unit la Suisse, jusque dans ses recoins les plus lointains, faisant se rencontrer des jeunes de Chancy à Münstair. Elle est toutefois soumise à de nombreuses réformes et coupes de budget.

Ne perdons pas espoir, la Suisse sait encore se défendre et elle nous l’a montré lorsque le cervelas, saucisse nationale, a été menacé par l’Union européenne qui voulait diminuer l’importation de peau de zébu en provenance du Brésil. Le peuple suisse s’est dressé comme un seul homme : Qu’aurait-on mangé ? Nous qui en consommons 160 millions par année ! Aurions-nous dû nous rabattre sur le fromage ? Celui que les étrangers imaginent toujours pleins de trous, alors qu’en réalité il en beaucoup moins que dans le secret bancaire ?

wrChappatte dans « NZZ am Sonntag » (Zurich), le 15 avril 2013

Chappatte nous parle aussi un peu de lui : « L’identité suisse c’est un truc marrant. Par exemple, moi je suis un vrai Suisse, vivant à Genève, né au Pakistan, j’ai grandi un peu à Singapour, d’une mère libanaise et d’un père jurassien, un genevois typique en somme. » Il travaille pour trois journaux : Le Temps, La Neue Zürcher Zeitung et The New York Times, donc en trois langues. Le multilinguisme est peut-être ce qui définit le mieux la Suisse. Mais quel est le problème des Romands avec la langue allemande ? Même lorsqu’on essaie de bredouiller quelques mots allemands en arrivant à la Hauptbahnhof de Zurich, les gens nous regardent avec pitié et nous répondent… en français. Comment voulez-vous que l’on se sente « un » lorsqu’on n’arrive pas à comprendre où se trouve la Migros ? Ce n’est pas pour rien qu’existe l’expression « barrière de la langue »… Heureusement, de nos jours, beaucoup de gens comprennent l’anglais. Toll, nous pouvons désormais nous comprendre ! Mais à quel prix pour la culture suisse ?

wr-1Chappatte dans « Le Temps » , le 6 septembre 2014

Même si nous n’avons pas encore réussi à définir ce que c’était que d’être suisse, devenir suisse est en revanche très compliqué.

wr-2Chappatte dans « Le Temps », le 16 septembre 2004

Est-ce qu’être Suisse c’est ne pas être un étranger ? Les étrangers, ce n’est pas qu’on ne les aime pas ; c’est plutôt qu’on les aime bien, quand ils travaillent dur et aussi quand ils disparaissent ensuite. Peut-être que ce qui définit la Suisse est notre méfiance envers l’Europe ? Toutefois, l’Europe ne doit pas le prendre personnellement puisque cette réticence s’adresse tout aussi bien au reste du monde. Il faut comprendre qu’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, car comme on dit « la barque est pleine »… ou plutôt « le yacht est plein » dans le cas de la Suisse. Chappatte s’amuse de la manière dont L’UDC, depuis son arrivée il y a 20 ans,  a influencé la politique suisse de manière systématique mais surtout l’image que l’on a de nous-même. C’est comme si l’on se racontait un mythe depuis 20 ans et que notre identité se construisait par opposition aux étrangers ; Remarquez que l’on vote sur les étrangers plus ou moins tous les trois mois. Alors qu’aujourd’hui le nationalisme se répand et que les frontières se ferment, nos discours politiques avaient une longueur d’avance (oui, pour une fois nous ne sommes pas retardataires). Pourtant, la Suisse est véritablement un pays d’immigration, sûrement même plus que les Etats-Unis. Le pourcentage d’étrangers est énorme dans notre pays, mais ce chiffre est dû au rythme de naturalisation très lent, on en viendrait presque à se demander si ce taux d’étranger n’est pas utile à l’UDC.

Finalement, Dame Helvétie est-elle la définition de la Suisse ? Elle est en tout cas notre symbole national : pure, incorruptible… enfin, si elle ne se laisse pas acheter par un milliardaire. Mais peut-être que ce milliardaire est la Suisse ? Christophe Blocher ? Notre Guillaume Tell en limousine qui raconte au peuple suisse la fable alpestre de ce paradis sur terre, exempté de tous les malheurs du monde et construit à la force des coudes (surtout les coudes des étrangers), envers et contre tous (surtout contre les étrangers). D’ailleurs, la Suisse garde toujours une excellente image aux yeux de l’étranger que Chappatte soupçonne de confondre fréquemment « Switzerland » et « Sweden ».

wr-5Chappatte dans « Le Temps », le 27 septembre 2007

La Suisse est peut-être aussi définie par ses institutions complexes et bien particulières. C’est le seul pays au monde où l’on vote pour que rien ne change, mais c’est un pays heureux.

« Si vous expliquez la politique suisse à une personne de l’étranger, et qu’au bout d’une heure elle a compris, c’est que vous avez mal expliqué. »

Pour terminer ce débat, Grégoire Nappey, médiateur de la séance, demande s’il faut conclure que le village gaulois qu’est la Suisse est bel et bien un mythe, ce à quoi Chappatte répond « Quoi on recommence à zéro ? La Suisse est une bonne blague. »

wr-3Chappatte dans « Le Temps », le 25 janvier 2011

Propos librement recueillis de la Conférence de Patrick Chappatte et Grégoire Nappey

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