À la rencontre du spécimen Erasmus

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Eramus ou, European community Action Scheme for the Mobility of University Students, transforme les étudiants qui choisissent de s’investir dans cet engagement. En effet, cet investissement à tous niveaux modifie le regard que l’on porte sur soi-même. À l’image du film L’Auberge espagnole de Cédric Klapisch qui illustre une figure quelque peu stéréotypique de l’étudiant en quête de son identité, certains étudiants idéalisent leur expérience et au contraire, ceux qui sont remplis de préjugés redoutent le fait que celle-ci ne corresponde pas à leurs attentes.

 À quel groupe appartiennent les étudiants Erasmus qui viennent découvrir notre université ? Se sentent-ils bien intégrés dans cette ville à l’apparence internationale ?

L’idée du programme Erasmus naît dans les années 70. Les gouvernements européens souhaitaient permettre aux étudiants d’étudier ailleurs que dans leur pays d’origine. En Suisse, c’est dans les années 80 que la mobilité étudiante commence à se développer en faisant face à certaines difficultés, comme le fédéralisme. En effet, ce système d’organisation n’a pas aidé à faciliter les choses puisque même pour la reconnaissance des diplômes, les cantons avaient leur propre politique. La Convention signée entre les universités suisses sur la mobilité des étudiants va accélérer le processus puisqu’il s’agissait d’uniformiser les droits d’accès aux universités. Grâce à ce programme, les universités suisses ont pu obtenir un partenariat facilité avec les universités étrangères. [i] Malgré ces avancées considérables, un événement est venu obscurcir cet horizon prometteur : la votation du 9 février 2014. Cette votation axée principalement contre l’immigration de masse a impliqué de graves conséquences dans le domaine de la recherche et de l’éducation. Avant cette votation, la Suisse prévoyait d’intégrer le programme « Erasmus + » d’ici à 2020 (avec comme but d’étendre les destinations en dehors de l’Europe). Pour sanctionner la Suisse, l’Union européenne a d’ores et déjà bloqué son entrée dans Erasmus +.[ii] L’application floue de l’initiative UDC a néanmoins été contrebalancée par l’adoption de règles de transition qui faciliteraient la mobilité étudiante encore jusqu’à fin 2017, ce qui aurait pour conséquence, pendant l’année scolaire 2016-2017, d’augmenter les demandes de mobilité que ce soit pour les étudiants qui souhaitent partir à l’étranger ou bien ceux qui veulent étudier à Genève. [iii]

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(Etudiants Erasmus de gauche à droite: Yingxue Zhang, Katy Ponsdomenech Hurley, Victoria Jones, Emanuel Stadler, Cassie Rosideo Rocha)

Les étudiants Erasmus : une communauté à part entière

Les étudiants Erasmus qui tentent l’expérience à Genève viennent de pays différents et chacun a son propre processus d’intégration. Il s’avère que certains étudiants ont tendance à se regrouper par pays ou culture ou entre personnes de même langue. En effet, le fait de partir à l’étranger renforce souvent son patriotisme puisque les étudiants sont amenés à comparer les deux endroits. Ainsi, Yingxue Zhang, étudiante au GSI, reconnaît qu’elle a tendance à se rapprocher d’étudiants chinois « Je retrouve souvent mes amies chinoises en cours et en dehors puisque nous avons en commun la nourriture et la même culture, même si je reste ouverte à d’autres cultures ». Parallèlement, d’autres étudiants s’obligent à tenter un rapprochement avec les étudiants francophones comme Antonia Mc Donnell, britannique en traduction et interprétation, pour qui c’est une question de respect et une envie de découvrir l’autre.

          « It […] encourages mutual respect between French and English speakers and |it| provides you with a first-hand experience of Swiss culture in a broad sense. » [iv]

 Le système universitaire a trouvé un « remède » à ce mal de l’étudiant étranger isolé : les soirées ESN (Erasmus Student Networks). Ces soirées hebdomadaires permettent aux étudiants étrangers de « découvrir Genève » et d’échanger avec d’autres étudiants qui partagent la même expérience et qui ont suivi le même processus (journées d’information, formalités administratives, arrivée dans un nouveau pays…), ce que pense Věra Erbanová, étudiante en Relations internationales.  Que ce soit pour une visite de l’ONU ou une soirée pubnight les étudiants renforcent leurs liens avec la communauté estudiantine étrangère, mais, ce système qui se voulait fédérateur d’étudiants « déboussolés » se retrouve être instigateur d’un fossé entre étrangers et locaux, créant une sorte de groupe social ou de communauté parallèle. L’intégration des étudiants se réaliserait donc sur deux niveaux

D’un côté, l’intégration avec les étudiants Erasmus se ferait « naturellement » : « avec les étudiants qui viennent de l’étranger, c’est facile d’interagir parce qu’on les rencontre pendant les Welcome days et les événements ESN», souligne Cassie Rosideo Rocha, étudiante en traduction et interprétation. En outre, les infrastructures (établissements universitaires, transports publics, …) pour les étudiants, bien que jugées trop chères, permettent une plus forte intégration. De l’autre, ils éprouvent plus de difficultés à se fondre dans la masse des étudiants genevois. Outre l’obstacle de la langue, Katy Ponsdomenech Hurley évoque la complication de trouver des points communs avec les genevois bien que ceux-ci pourraient entre autres lui conseiller sur les must see de Genève. De plus, leur représentation des Suisses – réservés, et quelques fois indifférents, quoique affectueux par la suite – y est pour quelque chose.

img_9490(Etudiants erasmus de gauche à droite: Věra Erbanová, Lewis Atkins Antonia Mc Donnell)

 Genève, une ville internationale, mais pas seulement

Genève est bien connue pour être une ville internationale ; « hôte » des organisations internationales comme l’ONU, l’OMC ou l’OMS et ouverte aux étrangers puisqu’ils représentaient 40 % des Genevois en 2015, selon l’Office cantonal de la Statistique[v] . D’ailleurs, Lewis Atkins, étudiant britannique en traduction et interprétation, avoue qu’il est « très difficile de dire qui est vraiment suisse dans une ville aussi diverse. » L’image du diplomate anglophone se baladant sur les rives du Léman fausse quelque peu la réalité. Les idées reçues sur une Suisse internationale mettent de côté les autres aspects que la plupart des étudiants Erasmus ont plus de mal à appréhender. Derrière l’enveloppe internationale se cache une Genève plus authentique. Emanuel Stadler, autrichien étudiant en BARI est parvenu à voir au-delà du trop évident : « Cette ville a trois facettes : la première, c’est la ville internationale avec l’ONU et autres organisations internationales ainsi que les étudiants internationaux, la deuxième est la « Genève aisée et cossue » et pour, finir, la « Genève authentique », ce qui est probablement plus difficile à trouver, mais cette facette est certainement la plus intéressante. » Il serait nécessaire que ces mondes communiquent plus.

Défi de l’intégration 

Avant de parvenir à déceler la « Genève authentique », il s’agit tout d’abord de tenter de s’assimiler à la population genevoise afin de ne pas se sentir à l’écart. Olga Baranova, conseillère municipale au PS et étudiante en Master de management public à l’Unige, a bien connu cette problématique étant elle-même une fille d’expatriés et pour qui l’intégration a été particulièrement rude. Arrivée à Genève à 15 ans et admise dans une classe pour non francophones au Collège Sismondi, elle témoigne de l’accueil distant qui leur a été réservé : « On était une classe de 12 ou 13 personnes clairement identifiés comme étant LA classe étrangère et non francophone par les autres collégiens, traités avec suffisamment de distance et de désintérêt pour qu’on se sente comme un corps étranger à tout le Collège. »[vi] Alors, comment faire pour faciliter les contacts entre Genevois et étudiants étrangers ?

Revenons à ESN, cette organisation internationale étudiante si utile aux étudiants Erasmus. Après une plongée dans quelques-unes de leurs soirées pubnight, il devient évident que celles-ci n’attirent pas suffisamment d’étudiants genevois locaux. Le reportage mise au point de la RTS, Home Swiss Home, évoquait l’idée proposée par Michaël Møller, directeur de l’ONU (Mix and Match) : retrouver des personnes dans une soirée qui disposent de la même carte de couleur pour que l’entrée en contact soit plus facile[vii]. Voilà une idée qui pourrait être appliquée à notre université. Une autre solution serait de mettre en relation un étudiant local avec un Erasmus, en s’inspirant de l’idée développée et concrétisée par Olga avec le tout nouveau site adoptanexpat.ch, qui n’était à la base qu’un statement politique, et grâce auquel elle espère mettre en relation des expatriés avec des Genevois sous la forme de parrainage. La difficulté d’intégration en Suisse l’a même fait chuter dans le classement mondial des pays favoris.
Selon une enquête effectuée par InterNations, la raison pour laquelle la Suisse a chuté dans le classement des destinations de prédilection n’a rien à voir avec la qualité de vue ou les infrastructures, il s’agit plutôt de la capacité d’intégration des étrangers.[viii]

Est-il vraiment question d’intégration ?

La plupart des étudiants Erasmus, au même titre que les expatriés du reportage Mise au point, ne cherchent en définitive pas à s’intégrer. En fin de compte, pour ces étudiants aventuriers, l’intégration n’est pas fondamentale pour plusieurs raisons. Certains évoquent comme étant une des raisons pour avoir choisi Genève la possibilité de pouvoir exercer le français. Cependant, en tant que ville internationale, Genève abonde de personnes anglophones, ce qui ne contraint pas les étudiants à faire un effort.

De plus, dans le parcours académique du « spécimen » Erasmus, Genève est souvent une des nombreuses villes que les étudiants ont choisi de traverser. L’étudiant mondialisé ne prévoit pas par la suite de rester à Genève et ne voit pas beaucoup d’intérêt à s’investir et créer des liens. C’est pourquoi, très peu d’étudiants choisissent cette université en vue d’en apprendre davantage sur la culture suisse ou genevoise[ix]. Il s’agit également de pouvoir apposer sur son CV sa présence dans cette université, ce qui leur ouvrira probablement des portes pour le futur, comme le pense Victoria Jones : « Je sais que l’Unige est une très bonne université pour faire des études en traduction et donc ça me paraissait être un choix parfait. »

En somme, l’intégration et son processus ne sont pas généralisables puisqu’il s’agit d’une expérience unique. Une chose est sûre : peu importe si les étudiants choisissent de s’intégrer davantage à la vie genevoise ou au contraire de vivre entre étudiants Erasmus, en communauté à l’écart, ils seront de toute façon marqués par leur court séjour genevois.

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