Nope : la mise en abyme de Hollywood

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Sorti le 10 août dans les salles obscures, Nope est le troisième long-métrage du cinéaste américain Jordan Peele après Get Out et Us sortis en 2017 et 2019. OJ et Emerald Haywood (respectivement interprété.e.s par Daniel Kaluuya et Keke Palmer) sont frère et sœur et travaillent dans le ranch familial qui élève des chevaux à destination de productions hollywoodiennes. Après la mort de leur père, iels sont témoins d’événements surnaturels qui mettent en péril leur ranch et les chevaux. Plus coûteux que ses deux précédents films, Jordan Peele dévoile ici sa production la plus ambitieuse et la plus spectaculaire. Là où Get Out (Oscar du meilleur scénario original en 2018) et Us sont considérés plus comme des films indépendants permettant au réalisateur de se forger une identité et un style, Nope est un blockbuster mélangeant plusieurs genres (de la comédie horrifique en passant par le western), filmé en IMAX 3D (l’un des premiers films d’horreur à être réalisé avec cette technologie). Get Out est considéré comme l’un des meilleurs films d’horreur de tous les temps, de par son originalité et son twist, tandis que Us a un peu plus divisé la critique malgré les qualités qu’on peut lui attribuer. Qu’en est-il de Nope ? Film de la confirmation ou flop pour le réalisateur ?

Malgré ses apparences, Nope n’est pas un film d’horreur comme les autres. Il peut être considéré comme un blockbuster d’action aux allures horrifiques. La première chose qui frappe lors du visionnage, c’est sa ressemblance aux films de Steven Spielberg. Le décor en montagne et la présence d’événements surnaturels peut faire penser à Rencontres du Troisième Type. On peut également faire le parallèle avec La Guerre des Mondes, pour ce qui est de la menace tandis que l’on peut observer une référence à E.T., l’Extra-Terrestre et écouter une musique proche des productions Amblin (la boîte de production de Spielberg) des années 80. Ainsi, avec Nope, Jordan Peele dévoile un film d’extraterrestre. On peut également le voir comme une réinterprétation des Dents de la mer, de par la similitude des dangers : requin dans la mer d’un côté, alien caché dans les nuages de l’autre. Comme dans cette œuvre, Nope est tout d’abord un film de survie et de chasse où les protagonistes sont confronté.e.s à ces événements surnaturels et doivent s’en débarrasser. De la même manière que vous aurez un regard différent sur la mer après avoir vu le classique de Spielberg, vous aurez un regard différent sur les nuages après avoir vu ce film.

Daniel Kaluuya est OJ Haywood dans Nope

Mais ce qui fait la grande force du film, c’est que tout le long-métrage est une mise en abyme de l’industrie hollywoodienne.

Les deux frères et sœurs accumulent les difficultés financières après la mort de leur père et doivent vendre certains de leurs chevaux pour éviter la faillite. Avec ce film, Jordan Peele veut rendre hommage aux “invisibles” du cinéma. D’une part, toutes les professions dont personne ne parle comme les dresseur.euse.s de chevaux pour les films, puis d’une autre, la communauté afro-américaine, souvent associée à des seconds rôles mineurs, des antagonistes ou des personnages dans des films de mauvaise qualité. En seulement trois films, Jordan Peele est déjà considéré comme le nouveau Spike Lee ou le “Spike Lee de l’horreur”. Un film “Peelien” c’est d’abord un mélange d’horreur et de comédie (le réalisateur a commencé à faire des sketchs à la télévision). Dans Nope le personnage d’Emerald Haywood, brillamment interprété par Keke Palmer, est l’élément comique du film et, sans aucun doute, le meilleur personnage de l’œuvre, même si on aurait pu plus explorer sa vie privée et sentimentale (le personnage consulte une psychologue et revient d’une rupture avec sa petite-amie, ce qu’on ne voit pas dans le film). Jordan Peele joue également sur les codes traditionnels de l’horreur en les détournant, faisant passer ces scènes pour des blagues renforçant ainsi la comédie horrifique (des enfants qui jouent sur les nerfs d’OJ, un insecte qui se met devant une caméra et qui provoque un jump-scare, etc.).

Keke Palmer est Emerald Haywood dans Nope

A travers son œuvre, Jordan Peele explore également la place du spectaculaire et précisément notre addiction à celle-ci. Que ferait-on pour voir du grand spectacle, quelque chose qui ne relève pas du « naturel », un « miracle » ? Cette addiction s’illustre à travers le personnage de Ricky “Jupe” Park (interprété par Steven Yeun), enfant star de la télévision mais qui a vécu un traumatisme lors d’un tournage, lorsqu’il était enfant. À travers le parc d’attractions dont il est propriétaire, il se sert des aliens pour les fins de son spectacle. Enfermé dans ce besoin de créer un show inoubliable, c’est un personnage complexe qui aurait mérité plus de développement et de scènes, comme le personnage d’Emerald Haywood.

Jordan Peele fait donc le parallèle avec le cinéma grand public et les réseaux sociaux : notre besoin de faire “le buzz” et notre recherche d’expériences visuelles fortes au cinéma (notamment à travers des gros blockbusters comme ceux de Marvel) nous fait oublier le véritable sens de l’image, qui est de raconter de véritables histoires et de transmettre des émotions au travers de celles-ci. Ainsi, la thématique principale du film pourrait être le regard. Regarderions-nous vers le ciel pour voir quelque chose d’incroyable au risque que celle-ci nous tue? Filmerions-nous un spectacle dangereux qui pourrait nous nuire, mais qui pourrait faire des likes sur Twitter ? Avec les influences spielbergiennes, on pourrait alors penser cette œuvre comme un manifeste pour le retour de blockbusters de qualité, comme ceux des années 70 et 80, qui arrivaient à créer des histoires et des personnages intéressants, tout en dévoilant du spectacle et des émotions fortes.

Steven Yeun est Ricky « Jupe » Park dans Nope

En conclusion, il est important de revenir au titre du film, “Nope”, qui pourrait être interprété comme un refus. Refus envers l’envie de faire du buzz ? Refus de regarder des films grand spectacle mais avec peu de qualité ? Refus de minimiser les minorités à Hollywood ? Une seule chose est sûre, Nope est un blockbuster d’été de qualité, extrêmement bien filmé, avec des scènes marquantes et un message fort. C’est un film qui brille par la qualité de ses images avec des scènes filmées en extérieur et des effets spéciaux de qualité et bien dosés. Il lui aurait peut-être valu une dizaine de minutes supplémentaires pour développer certains personnages intéressants. Malgré cela, c’est un film à voir absolument sur grands écrans.

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