Au cours du mois d’octobre 2021, les Éditions Robert ont officiellement intégré le pronom « iel » dans le dictionnaire Le Petit Robert. Selon ce dernier, « iel » est un « pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre » [1]. C’est donc l’équivalent d’un pronom neutre en français, puisqu’il ne désigne aucun genre en particulier. Or, peu après la publication de cette définition dans Le Petit Robert, les critiques ont envahi les réseaux sociaux, et les avis ont commencé à diverger. La décision a été vivement contestée par la majorité des Français-es, suscitant ainsi un débat vigoureux sur la toile. Selon un sondage réalisé par Le Figaro sur leur site internet, 93,15% des 169’253 votant-es seraient contre cette décision (données datant du 27 janvier 2022) [2]. Cependant, les statistiques varient fortement selon la population interrogée et le média qui effectue le sondage. En effet, les résultats sont nettement différents selon le journal La Libre : « 70% des jeunes sondés sont favorables ou indifférents à l’entrée du pronom dans le dictionnaire » [3]. Quel que soit le média utilisé, les raisonnements sont sensiblement les mêmes.
D’un côté, les arguments des participant-es ayant voté « non » concernent l’essence même de la langue française. Selon elles et eux, l’introduction du pronom « iel » dans le dictionnaire est une dérive du français, un acte davantage social que linguistique, destiné à favoriser les populations non-binaires au sein de la société francophone [4]. Certain-es considèrent même cette décision comme une atteinte aux racines de la langue de Molière et comme un acte d’abord idéologique et politique, qui n’a pas sa place dans un dictionnaire.
D’un autre côté, les individus encourageant la décision du Petit Robert soutiennent l’argument que l’introduction du pronom « iel » dans le dictionnaire est une avancée de la langue française vers l’ouverture, une représentation de la société moderne [5] et une évolution linguistique. Selon celles et ceux qui défendent cette décision, le français est une langue vivante : n’est-elle donc pas censée évoluer en même temps que ses usagers et usagères ? L’écrivaine Thérèse Moreau l’exprime bien : « La langue comme les mots ont une histoire. Une langue qui n’évolue plus, qui se fige, est une langue morte. » [6] En plus d’être une avancée linguistique, cette définition peut être perçue comme une incarnation de la communauté non-binaire au sein de la langue française et de la société. Comme l’a dit le philosophe suisse Alexandre Vinet : « Veiller à une langue, c’est veiller à la société elle-même » [6].
Les nombreux débats qui ont lieu autour de ce sujet suscitent également des questionnements sur l’enseignement du pronom neutre dans les écoles, ainsi que l’accord de celui-ci au sein d’une phrase grammaticalement correcte. Ainsi, l’introduction du pronom « iel » s’accompagne du développement de l’écriture épicène dans la société. Le langage épicène est un mode d’écriture dans lequel les rédacteurs et rédactrices n’utilisent aucun, ou presque aucun nom genré en privilégiant une écriture neutre (par exemple « le corps estudiantin » ou « le personnel enseignant ») [7]. Ce mode d’écriture est également vivement critiqué pour son manque de fluidité et ses exigences – suscitant une nouvelle vague de questionnements dans les universités [8] – bien que la jeunesse française soit la plus favorable à la décision du Petit Robert [3]. Il semblerait donc que les jeunes acceptent l’écriture épicène au sein de l’enseignement.
Par ailleurs, les partisan-es de la réforme apportent un nouvel argument en sa faveur afin de contrer les doutes concernant le langage épicène. En effet, le débat concernant ce mode d’écriture existait bien avant l’introduction du pronom neutre dans le dictionnaire. Depuis le Moyen-Âge, l’écriture du français n’a fait qu’évoluer, alternant entre réformes et retours en arrière. Par exemple, en 1631 le nom « ambassadeur », auparavant uniquement genré au masculin, est devenu « ambassadrice » au féminin, de même pour le nom « inventeur » qui devient alors « inventrice » au féminin [6]. Malgré diverses réformes prohibant ces appellatifs plus tard, au XXème siècle, le grammairien Joseph Hanse propose de nouveaux féminins tels que « laborantine » et « factrice », ce dernier ayant été accepté par l’Académie Française. La langue française évolue et l’avancée vers une écriture plus neutre résulte d’un contexte de combats vers plus d’égalité.
Certaines personnalités politiques comme François Jolivet ou encore Jean-Michel Blanquer s’immiscent également au sein du débat et partagent leur point de vue, en profitant parfois du sujet pour présenter leur campagne et élargir leur influence. Certain-es s’opposent aux décisions prises par Le Petit Robert, d’autres proposent des réformes, tandis que les derniers tentent de défendre les positions du gouvernement, qui a accepté l’introduction du pronom clivant.
Ainsi, l’introduction du pronom neutre dans le dictionnaire a provoqué une immense polémique au sein de la communauté francophone, et les arguments s’opposent de tous côtés. Toutes les générations se sentent concernées et souhaitent partager leur sentiment. S’il semble que la grande majorité s’oppose à cette décision, la minorité qui la défend est déterminée et appuie ardemment ses positions. Insulte à la langue française ou avancée linguistique, quel parti réussira finalement à faire entendre sa voix ?
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