Le 20 février dernier se sont clôturés à Pékin les Jeux Olympiques d’hiver, organisés par la République Populaire de Chine. Face aux nombreuses polémiques qui ont entouré la tenue de ces Jeux, plusieurs États anglo-saxons et européens se sont mobilisés pour répondre à l’appel des États-Unis, organisant un boycott diplomatique de l’évènement.
Plusieurs éléments d’explication ont été avancés pour justifier cette initiative. En premier lieu, Jen Psaki, la porte-parole de la Maison Blanche, a évoqué la continuation de la politique génocidaire envers la minorité ouïghoure dans la province du Xinjiang, ainsi que les nombreuses violations des droits de l’homme commises à l’intérieur de la RPC [1]. Annalena Baerbock, la ministre des Affaires étrangères allemande a elle soulignée le flou qui a entouré l’affaire Peng Shuai, tenniswoman chinoise disparue après avoir accusé un cadre du Parti communiste chinois de viol [2]. D’autres préoccupations d’ordre sanitaire et climatique sont également venues agrémenter le débat concernant la tenue de ces JO.
Si les partenaires anglo-saxons des États-Unis (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni) ont répondu rapidement et favorablement à la participation au boycott, la réponse des pays européens a été pour le moins tardive et ambivalente. Alors qu’Emmanuel Macron appelait timidement à une « concertation collective » de l’UE afin de formuler une réponse commune [3], seuls 4 des 27 pays européens ont finalement refusé d’envoyer une délégation diplomatique dans la capitale chinoise. Parmi eux, la Lituanie, qui entretient des relations tendues avec la Chine suite à l’installation d’une ambassade Taïwanaise dans sa capitale, mais aussi les Pays-Bas, le Danemark ou encore la Suède, qui a, elle, avancé l’argument sanitaire. [4]
Un boycott relativement peu suivi donc, et qui suscite des interrogations sur le rôle et l’efficacité de la diplomatie par le sport. En effet, on peut légitimement s’interroger sur l’intérêt d’une telle mesure, somme toute symbolique, et sur sa capacité à influer sur la puissance chinoise. Plus largement, on pourrait également remettre en question l’instrumentalisation diplomatique de telles compétitions sportives.
Afin d’apporter une réponse à toutes ces questions, et avant de tirer des conclusions sur les Jeux organisés à Pékin, portons tout d’abord un regard rétrospectif sur la pratique du boycott olympique.
Le boycott olympique : une pratique historique
Si les instances sportives internationales ont toujours tenu à conserver une certaine « neutralité politique », comme l’a récemment rappelé un porte-parole du CIO (Comité International Olympique) [6], il apparaît toutefois naïf de vouloir dissocier ici sport et politique. La création même des Jeux Olympiques, en 1896, par le baron Pierre de Coubertin, reposait sur des considérations diplomatiques. L’objectif premier était alors de favoriser la pacification des relations internationales à travers une ouverture culturelle et sportive entre les États [7]. Depuis lors, les Jeux constituent historiquement une arène d’affrontements géopolitiques majeurs, et plus particulièrement à travers la pratique du boycott. Durant la Guerre froide notamment, le conflit entre les deux blocs a trouvé une expression dans le sport. Chaque évènement olympique donnait lieu à une compétition du nombre de médailles obtenues entre les États-Unis et l’URSS [7], la vitalité politique du régime recherchant ainsi une incarnation dans les performances sportives de ses athlètes. Plus encore, pour répondre à l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1980, le gouvernement américain organisa un boycott à la fois sportif et diplomatique des JO de Moscou se déroulant la même année. Quatre ans plus tard, alors que la compétition se déroule cette fois-ci à Los Angeles, les soviétiques orchestrent une réponse commune des pays socialistes [8]. Seize d’entre eux refusent de se rendre en Californie et organisent une compétition alternative, qui prend alors le nom de « Jeux de l’Amitié » [9].
On peut relever d’autres exemples significatifs à travers l’histoire. En 1956, l’Egypte, l’Irak et le Liban organisent un boycott pour protester contre la participation d’une équipe israélienne aux jeux de Melbourne. En 1976, 29 délégations africaines décident spontanément de quitter Montréal à la veille de la compétition. Elles entendent protester contre le refus du CIO d’exclure l’équipe de la Nouvelle-Zélande, cette dernière entretenant des relations sportives avec l’Afrique du Sud, déjà exclue en raison de sa politique d’Apartheid [8]. Nombreux donc sont les exemples qui manifestent l’entremêlement des dimensions sportives et politiques des Jeux Olympiques. De par sa visibilité mondiale, cette compétition a toujours été l’occasion pour les États de mettre en œuvre des actions diplomatiques.
Le sport, un important vecteur de diplomatie publique
De par son universalité, sa capacité de mobilisation des masses, et sa présence médiatique permanente, le sport représente indéniablement un objet politique et un instrument diplomatique considérable. C’est durant la Guerre froide qu’il a solidement pris place au sein de ce que le gouvernement des États-Unis appelle sa « diplomatie publique ». Pim Verschuuren, chercheur à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), explique que cette dernière « s’adresse à des populations étrangères plutôt qu’aux gouvernements. Elle a été adoptée par les États-Unis au cours de la Guerre froide afin de promouvoir le modèle social, économique et politique américain face à l’idéologie communiste. » [10]. Pour faire simple, c’est la branche de la diplomatie qui se réfère à l’utilisation du « soft power ». Toutefois, cette diplomatie publique par le sport est également un instrument privilégié des puissances montantes, en quête de reconnaissance sur la scène internationale. De ce point de vue, l’organisation des Jeux d’Été à Pékin en 2008 et de ceux d’hiver le mois dernier constitue une grande victoire diplomatique pour un pays qui aspire à devenir prochainement la première puissance mondiale.
A l’heure où les équilibres géopolitiques tendent à se restructurer, face à la montée en puissance de pays remettant ouvertement en cause l’ordre mondial, le sport serait donc amené à jouer un rôle bien plus important qu’on ne pourrait le penser. Les récentes crises internationales, notamment en Ukraine ou dans la zone indo-pacifique, donnent à voir une rivalité croissante entre deux modèles politiques opposés. Or, pour Pascal Bonniface, fondateur et directeur de l’IRIS, « le sport est devenu le nouveau terrain d’affrontement pacifique et régulé des États […]. Le sport offre des réponses aux pertes de repères et aux volontés d’exister au sein d’un monde où le concept de puissance régit encore les relations internationales. Le sport est devenu un élément essentiel du rayonnement d’un État. » [7]
L’échec manifeste du boycott américain
Le boycott diplomatique entrepris sur l’initiative américaine peut donc être considéré à l’opposé, comme une contestation vis-à-vis de la politique de la République Populaire de Chine et de sa volonté de puissance. L’absence de délégations diplomatiques de certains États a pour objectif de délégitimer Pékin sur la scène internationale et d’afficher publiquement la condamnation du génocide ouïghour et des pratiques dictatoriales du régime communiste en place. Cependant pour Carole Gomez, spécialiste de la géopolitique du sport, l’objectif de ce boycott n’est pas simplement d’alerter l’opinion publique internationale. Si les États-Unis ont appelé leurs alliés à joindre le mouvement, c’était également dans le souci d’afficher une coalition solide contre le pouvoir politique chinois, perçu comme une menace grandissante par les pays occidentaux [11]. De plus, selon cette experte le succès d’un boycott « se mesure au nombre d’États qui y ont pris part et, in fine, au changement d’attitude de l’entité ciblée ». [12] Si le boycott a tout de même eu le mérite d’alerter l’opinion publique sur la situation en Chine, le nombre total d’États ayant joint le mouvement reste marginal (moins d’une dizaine) et l’attitude du régime communiste reste inchangée. Face à ce qu’on peut donc considérer comme un échec, c’est finalement Xi Jinping qui a pu tirer à son avantage la situation. Aux côtés de Vladimir Poutine, invité d’honneur, le leader du PCC a montré aux yeux du monde un front anti-occidental uni. Malgré l’exclusion de la compétition de la Fédération de Russie, accusée d’avoir instauré un système de dopage institutionnalisé chez ses athlètes [13], les deux dirigeants ont organisé une rencontre officielle avant la cérémonie d’ouverture. Dans un échange qui a rapidement pris la tournure d’un sommet diplomatique, ils n’ont pas manqué de souligner leur convergence sur les questions de sécurité internationale et ont conjointement condamné l’élargissement de l’OTAN vers l’Est. [14]
Par ailleurs, on a pu relever à Pékin la présence d’autres dirigeants controversés, tels que le Président de la Serbie, Aleksandar Vucic, ainsi que son homologue égyptien, Abdel Fattah al-Sissi. Des dirigeants biens connus pour leurs pratiques autoritaires, dont la présence aux côtés de Xi Jinping semble témoigner de l’affirmation d’un front commun opposé à la domination du modèle libéral porté par les Occidentaux.
Une bascule géostratégique inquiétante de la diplomatie par le sport
Finalement, face à l’impuissance d’un Occident désuni et hésitant, le grand gagnant de ces Jeux aura sans aucun doute été la Chine. Celle-ci aura su utiliser l’évènement à son profit pour promouvoir à l’échelle mondiale son modèle sociétal, tant sur les plans politique et économique que sanitaire. Elle a ainsi pu tirer profit d’une « bascule géostratégique [de l’organisation] des grandes manifestations sportives » qui s’opère depuis plusieurs années en faveur des États du Golfe et de l’Asie [15]. En effet, ces derniers utilisent aujourd’hui autant qu’ils le peuvent ces leviers de diplomatie « douce » que sont les grandes compétitions sportives. L’organisation de ces évènements leur permettant de promouvoir leur pays à l’international et d’engranger des bénéfices économiques, bien souvent au détriment de la liberté et des droits humains.
Au mois de novembre, c’est le Qatar qui accueillera lui la prestigieuse Coupe du Monde de Football. En 2021, une enquête publiée par The Guardian [16] dénonçait les conditions de travail inhumaines sur les chantiers des stades construits pour l’occasion, ayant entraîné la mort de plusieurs milliers d’ouvriers. Pour l’heure, malgré les appels de nombreuses ONG, aucun mouvement de boycott n’a été sérieusement envisagé. Une nouvelle fois, la communauté internationale s’apprête à s’incliner silencieusement face aux intérêts économiques et géopolitiques d’un régime autoritaire et coercitif.
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