L’exposition au Musée d’ethnographie de la ville de Genève (MEG) « Jean Dubuffet, un barbare en Europe » réunit le travail de Jean Dubuffet au sein de trois espaces : célébration de l’homme du commun, une ethnographie en actes et critique de la culture. Les trois sections présentent des productions de l’artiste avec des œuvres, des documents ou encore des objets qui ont construit sa réflexion et sa démarche artistique. Au détour de deux œuvres exposées au MEG, nous revenons sur son séjour en Suisse et sa collaboration avec Jean Paulhan et Aloïse Corbaz. Une belle opportunité de saisir l’univers de Jean Dubuffet par les rencontres qui ont animé sa pensée et son langage artistique.
L’histoire d’un titre : un portrait de Jean Dubuffet en barbare
Jean Dubuffet (1901- 1985) se consacre entièrement à l’art à partir de 1942 ; après avoir quitté sa carrière de négociant en vin.[1] Il s’intéresse à la peinture, la sculpture et même à la calligraphie. L’artiste se passionne pour les sciences humaines et sociales et envisage une création libérée d’un conditionnement artistique. Sa démarche est nourrie par ses voyages, mais aussi par les liens qu’il entretenait avec différents artistes. Plusieurs portraits de ses amis et amateurs d’art sont présentés dans la seconde salle de l’exposition : parmi eux, l’écrivain Henri Michaux.[2]
L’auteur rédige en 1933, un barbare en Asie : un carnet de voyage dans lequel il présente ses réflexions autour des populations et des cultures rencontrées lors de son périple en Chine, au Japon ou encore en Inde.[3] Le titre de l’exposition au MEG joue avec le texte d’Henri Michaux et construit métaphoriquement le portrait de Jean Dubuffet en barbare. C’est une manière de souligner l’intérêt que les deux artistes accordaient à un art qui s’éloigne des standards, mais aussi de rappeler leur interrogation constante sur les codes de la culture artistique occidentale.
Un nouveau regard sur l’ordinaire
Au sein de la section, une ethnographie en actes, le regard se pose sur un lieu familier : le métro. Le MEG met à la disposition du visiteur un livre numérique : la Métromanie ou les dessous de la capitale écrit en 1950. Le texte est rédigé par l’écrivain et critique littéraire français, Jean Paulhan.
Lors d’une visite de l’atelier de Jean Dubuffet, l’auteur découvre un cahier de gouache sur le thème du métro. Il se saisit du sujet par écrit et Jean Dubuffet réalise plus tard les calligraphies qui accompagnent le texte.[4] Ce livre est le produit d’une collaboration autour d’une thématique peu approchée dans l’art. Pourtant, le métropolitain appartient au domaine de l’ordinaire : un sujet qui fascine Jean Dubuffet. L’artiste se désignait lui-même comme « l’homme du commun »[5] ; l’expression caractérisait le matériau utilisé, mais aussi le sujet et le destinataire de ses œuvres. Jean Dubuffet adresse sa production aux non-spécialistes, à ceux dont la culture visuelle se forge en dehors des académies.
La première partie de l’exposition s’intéresse précisément à la question du commun et à la définition plastique que propose Jean Dubuffet. Le deuxième espace, dédié à une ethnographie en actes, interroge la notion d’art et l’importance de cette idée sur le regard porté aux objets et à la création. En recentrant le regard sur un sujet du quotidien, la Métromanie ou les dessous de la capitale questionne le devenir de l’acte artistique en dehors d’une observation académique. L’œuvre se place à la lisière des recherches plastiques et théoriques qui constituent les deux premières parties de l’exposition.
Une recherche autour de l’Art Brut
La dernière section de l’exposition, critique de la culture, se charge de montrer le rapport qu’entretient Jean Dubuffet avec les codes artistiques dominants. Les productions exposées se réunissent autour d’une reconsidération du statut de l’artiste, de la matière et du point de vue. Pour Jean Dubuffet, « Le vrai art, il est toujours là où on ne l’attend pas »[6] et bien souvent, il se trouve en dehors des institutions culturelles. À partir de 1945, il s’intéresse au travail d’Aloïse Corbaz, une artiste suisse, née à Lausanne.[7]
Son œuvre Dans le manteau du Matador est réalisée entre 1941 et 1951. La toile est fabriquée à partir de quatre feuilles de papier ; elle se sert d’un crayon et de suc de géranium.[8] Chaque côté du support est utilisé, mais il n’existe pas de lien entre les deux faces du dessin. Elle donne un titre différent aux deux versants : Napoléon à Fontainebleau et Dans le manteau du Matador. Cette seconde représentation illustre l’opéra de Stravinsky : l’Oiseau de feu. Une thématique particulière puisqu’elle n’assiste pas à la pièce, elle découvre le sujet au fil de ses lectures. Aloïse Corbaz est internée à l’hôpital de la Rosière, à Gimel-sur-Morges.[9] Son processus de création allie l’utilisation de matériaux tels que le crayon, le dentifrice ou le suc de pétales ; elle appose ensuite ces différents éléments sur un médium créé avec du carton, des emballages ou encore des enveloppes. Sa production est le support d’une expression personnelle réalisée avec des matières accessibles.
La Métromanie ou les dessous de la capitale et Dans le manteau du Matador partagent un espace, mais aussi une histoire : celle d’un voyage entrepris par Jean Dubuffet entre la France et la Suisse en 1945.[10] L’artiste part avec l’écrivain Jean Paulhan et l’architecte Le Corbusier dans un séjour qui marque le début d’une recherche sur « l’Art Brut » – un art qui ne répond pas, ou peu, aux normes collectives.[11] À cette occasion, Jean Dubuffet rencontre Eugène Pittard, le directeur du Musée d’ethnographie de Genève. L’histoire commence au MEG et se poursuit avec l’exposition « Jean Dubuffet, un barbare en Europe » à découvrir jusqu’au 28 février 2021. L’évènement permet de penser les notions d’art et de culture au sein d’un questionnement sur l’individu et la société.
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