Vu de France: le délicat exercice du pouvoir pour les Verts

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Depuis deux ans, Europe Écologie-Les Verts (EELV) a la cote. Aux élections européennes de 2019, les Verts français arrivaient à convaincre 13% de l’électorat, trois millions de votant.e.s en plus par rapport à 2014. Cette véritable surprise, qui n’avait pas été prévue par les sondages, témoignait d’une forte mobilisation des jeunes à la suite des mouvements pour le climat. Surtout, le parti décrochait la troisième place des élections, et, la France Insoumise (6,3%) et le Parti socialiste (6,2%) étant relégués aux seconds rôles, semblait devenir la première force de gauche dans le pays. Un réel succès pour la tête de liste Yannick Jadot, qui avait senti le coup et décidé de faire cavalier seul, en rejetant les propositions d’alliance. Aux Municipales du mois de juin dernier, le parti confirmait l’essai. Outre le maire sortant de Grenoble Eric Piolle (premier maire écologiste d’une grande ville depuis 2014), largement réélu, les écologistes réussissaient à conquérir des nouvelles villes, comme Annecy, Besançon, Poitiers, Tours, mais surtout Bordeaux, Lyon, Strasbourg et Marseille. A Paris, la politique environnementale mise en place avait convaincu les écologistes de se rallier à Anne Hidalgo (Parti socialiste).

Pour les partisan.e.s de l’écologie politique, ce succès dans les urnes démontrerait les aspirations des Français.e.s à une politique climatique réelle, un retour au développement durable, qui serait marqué par de nouvelles actions locales en phase avec notre époque. Pour ses détracteur.rice.s, il serait le résultat d’un effet de mode, et représenterait un vote de « bonne conscience » d’électeur.rice.s bobos urbains [1],  qui ont les moyens de consommer local et d’abandonner la voiture pour le vélo. En bref, une minorité de la population bien éloignée de la réalité du peuple français.

Après le temps des élections vient donc le temps de l’action concrète pour les Verts. Et on ne peut pas dire que cela se fasse de la plus douce des manières. Si l’avènement des pistes cyclables et la végétalisation de la ville, par exemple, sont un dénominateur commun de l’action des maires Verts, certaines de leurs dernières sorties font parler. Ainsi, la tradition du sapin de Noël, « un arbre mort qui ne répond pas à [notre] concept de végétalisation », dixit le nouvel édile Pierre Hurmic, sera abrogée à Bordeaux. A Lyon, Grégory Doucet parle du Tour de France comme d’un « événement machiste et polluant » et lui demande de se réformer [2]. Ces annonces « choc » ont suscité le débat sur les réseaux sociaux et l’indignation de leurs adversaires politiques. Elles ont aussi, dans l’immédiat, fait mauvaise image. En effet, l’élection présidentielle se rapproche. Si la lutte de pouvoir commence chez les Républicains [3], et qu’aussi bien Emmanuel Macron que Marine Le Pen rêvent d’un nouvel affrontement, les Verts sont conscient.e.s que le terrain présidentiel se prépare dès maintenant. Ainsi, Yannick Jadot veut accélérer le mouvement et espère se positionner comme unique et légitime garant de la candidature verte. Il souhaite lancer la campagne présidentielle au plus vite et presse pour une désignation rapide du candidat qui portera la voix écologiste en 2022. Pas si vite, lui répondent ses collègues, qui veulent attendre les élections régionales, et une éventuelle confirmation de la vague verte, prévues en mars 2021.

Si le député européen Yannick Jadot soutient publiquement les propos polémiques de ses camarades élu.e.s, il n’est pas rassuré pour autant. En effet, si les autres forces politiques arrivent à coller une image d’extrémistes rétrogrades à son parti [4], la campagne risque d’être perdue avant même d’avoir commencé. Dans le monde idéal de Yannick Jadot, sa famille politique se rangerait dès maintenant derrière sa candidature, permettant ensuite aux Verts de négocier le soutien des socialistes. Mais ce n’est pas si simple.

En effet, de l’autre côté, une frange d’élu.e.s locaux.les, portée par Eric Piolle, est en train d’acquérir une expérience dans l’exercice du pouvoir et de réclamerune écologie faite d’actions concrètes. Ces nouveaux.lles maires espèrent pouvoir présenter un réel bilan aux Français d’ici 2022, qui leur apporterait une légitimité plus forte. Ils.elles voient en la personnalité du maire de Grenoble une légitime candidature. Ce dernier prend actuellement la lumière dans les médias, en affichant ses contradictions au Ministre de l’Intérieur sur la façon de gérer le trafic de drogue dans sa ville. Il n’a d’ailleurs pas démenti vouloir être candidat.

Cette opposition Jadot/Piolle est également révélatrice de deux visions de l’écologie politique: le premier, convaincu des bienfaits d’une alliance avec le PS (il s’était effacé en 2017 au profit de Benoît Hamon), porte la voix d’une écologie plus modérée, au centre-gauche,  alors que le second est de gauche radicale, plus conquérant, notamment vis-à-vis des socialistes. En choisissant probablement entre l’un de ces deux candidats lors d’une primaire interne, les Verts devront ainsi trancher un certain nombre de questions (rapport au capitalisme/libéralisme, laïcité, politique de sécurité publique, entre autres) et se choisir un programme politique fédérateur.

Les Verts veulent se donner le temps. Mais à se perdre dans les querelles internes, ils courent un risque réel de voir la candidature d’Anne Hidalgo émerger. En effet, la maire de Paris occupe un espace idéologique pas si éloigné des Verts et pourrait très bien les prendre de vitesse, en se positionnant comme la seule alternative de gauche. Venant d’un milieu modeste, femme, enfant d’immigrés, elle coche les cases d’un PS qui cherche une belle histoire à présenter aux électeur.rice.s. A l’heure actuelle, elle est d’ailleurs la seule personnalité du parti à disposer de l’aura nécessaire pour défier Emmanuel Macron.

Si sa candidature est lancée dans un prochain temps, et confirmée par sa famille politique, il ne resterait alors aux Verts que deux possibilités : se ranger derrière elle, en espérant obtenir des ministères dans un hypothétique futur gouvernement ou s’engager dans une lutte des gauches qui condamnerait à coup sûr les espoirs d’une alternative sociale.

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