Alain Berset, de simple conseiller fédéral à symbole national

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Bilinguisme et fédéralisme

Les Suisses romands se retrouvent généralement hors de leur zone de confort lorsqu’il est question de manier l’allemand, une des raisons à l’origine de cette frontière culturelle et imaginaire helvétique, la fameuse Röstigraben [1], qui sépare les Romands des Alémaniques. Pour Alain Berset, l’actuel ministre de la Santé, c’est tout l’inverse : son allemand est de bonne qualité, une aisance assez rare au point d’être soulignée. Ses origines fribourgeoises (canton bilingue) y sont certainement pour quelque chose. Cela étant, son bilinguisme louable permet, dans une certaine mesure, d’atténuer les tensions existantes d’un côté et de l’autre de la barrière culturelle désormais rebaptisée par certains comme la « Corona-Graben » [2].

Par ailleurs, le système politique suisse s’est avéré un autre élément crucial dans l’élévation d’Alain Berset au rang de « symbole » national. En effet, la démocratie directe helvétique, que beaucoup d’autres nations envient, a su faire preuve d’adaptation en temps de crise. La pandémie du coronavirus a poussé la Confédération à prendre des mesures drastiques vis-à-vis de son fédéralisme en privilégiant, temporairement, la verticalité à la traditionnelle horizontalité du pouvoir [3]. L’union fait la force en cette période singulière, c’est pourquoi les sept membres du Conseil fédéral, se sont positionnés au-devant de la scène afin de rassembler le peuple (de préférence par groupe de moins de cinq personnes) derrière des mesures sanitaires sans précédent. En tête du septuor, Simonetta Sommaruga a laissé l’estrade au ministre de la Santé. Oui, Alain Berset s’est mis en lumière, mais pas aléatoirement. À ce propos, Pascal Sciarini, politologue et professeur à l’Université de Genève, explique : « Alain Berset n’a jamais eu l’idée de se mettre en avant pour briller. Par la force des choses, il est protagoniste de par son rôle de ministre de la Santé, mais ce qu’il a recherché avant tout, c’est le consensus que l’on connaît si bien dans la culture politique suisse. »

Interrogé sur la différence entre l’homme d’État qu’est Alain Berset, qui fait globalement l’unanimité, et d’autres figures politiques éminentes comme Donald Trump ou Emmanuel Macron habituellement plus clivants, le professeur expert en comportement politique répond : « le discours de notre conseiller fédéral est à la fois ferme en clarté tout en restant rassurant. Il a su se mouler dans la politique suisse. » À la même question, Darius Rochebin, journaliste et présentateur emblématique à la Radio Télévision Suisse rajoute : « Il est un ministre particulièrement prudent, peut-être plus encore que la moyenne des conseillers fédéraux. Dans le passé, ça a pu rendre son discours un peu trop « lissé », mais dans cette crise c’est devenu une force incontestable. Il pèse ses mots, il travaille énormément en amont, il n’aime visiblement pas l’improvisation et c’est évidemment un atout sur un sujet de santé publique où le moindre mot de travers a un retentissement immédiat. »

Bern, Switzerland, 16.04.20 17:16:16 © Niels Ackermann / Lundi13

Langage corporel et usage acéré du verbe

En conférence de presse, au moment des annonces, on note des gestes francs, des expressions faciales impassibles et des discours habiles et rassurants, prononcés d’une voix qui ne laisse aucune place à l’hésitation. Le langage corporel d’Alain Berset transpire la sérénité. Présents tout au long de cet article, les clichés capturés par Niels Ackermann, qui a eu le privilège de suivre le conseiller fédéral pendant près de 72 heures, l’attestent. Quant au discours du Fribourgeois, sa précision et sa justesse sont déconcertantes. Sa maxime prononcée le 16 avril dernier et devenue virale depuis en est l’exemple parfait : « Nous souhaitons agir aussi vite que possible, mais aussi lentement que nécessaire. » En amont de cette allocution, tout semble minutieusement pensé avant d’être exécuté. Effectivement, avec ces mots, Alain Berset fait d’une pierre deux coups puisqu’il rassure les citoyens qui deviennent impatients, tout en apaisant les plus inquiets. C’est un exemple parmi tant d’autres qui démontre que la communication est un art, plutôt ingrat puisque le moindre écart laisse des traces, souvent indélébiles. Certains se sont essayés à l’exercice et ont fini par payer le prix fort avec des déclarations jugées trop houleuses ; en témoigne le cas du conseiller fédéral Guy Parmelin au sujet de son « oreiller de paresse [4] » qui a fait couler beaucoup d’encre.

La force de la sobriété

Pour Pascal Sciarini, la grande force de la communication d’Alain Berset est claire : « L’équilibre. La manière de communiquer est presque aussi importante que son contenu. Alain Berset incarne une force tranquille et, dans ces moments de crise, il est primordial de vulgariser les messages et faire passer clairement les intentions du Conseil fédéral tout en ayant vocation à rassurer la population. » Darius Rochebin, lui, souligne une autre qualité : « La sobriété. Il ne donne pas l’impression de rechercher des effets. C’est très précieux en Suisse où les grandes orgues oratoires ne sont jamais appréciées. Il a su trouver l’équilibre, très subtil chez nous, entre la marge personnelle d’un conseiller fédéral et la collégialité. Ce sont les codes de la politique suisse, il en joue parfaitement. »

Bern, Switzerland, 16.04.20 13:54:01 © Niels Ackermann / Lundi13

Un conseiller fédéral 2.0

Omniprésence médiatique, forte disponibilité et, surtout, une accessibilité pour tout le monde : trois qualités parmi d’autres qui font d’Alain Berset un conseiller fédéral à part entière. Il répond évidemment lorsqu’il est question des mesures de déconfinement ou des décisions phares du Conseil fédéral, cependant il répond aussi présent quand un des auditeurs de Tataki lui demande simplement de choisir entre le thé froid pêche ou citron lors d’un interview [5]. Au-delà de ses allocutions officielles en tant que membre du gouvernement, le Fribourgeois a multiplié ses interventions et est notamment parti conquérir les réseaux sociaux. En l’espace d’un mois il est devenu une superstar sur toutes les plateformes numériques, en témoigne la création d’innombrables memes à son effigie. Là encore, le hasard n’a pas eu son mot à dire. Effectivement, c’est bel et bien Alain Berset lui-même qui a provoqué tout cet engouement numérique autour de sa personne en défiant sur Instagram l’idole suisse absolue qui avait pourtant décidé de rester muette jusque-là : Roger Federer. En répondant et en obéissant à la sollicitation du politique, le Bâlois a ainsi donné du crédit à l’homme d’État qu’est Alain Berset.

Le conseiller fédéral a su s’adapter et se muer en commandant, parmi la formation collégiale du gouvernement, afin de piloter le pays en maximisant l’évitement de turbulences. Avec du recul, les Suisses tireront probablement leur chapeau au ministre de la Santé de l’époque pour tout ce qu’il a accompli. Le temps permettra de mieux comprendre les faits et gestes de celui que l’on considère d’ores et déjà comme l’homme fort en Suisse de cette crise sanitaire.

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