Après un succès affiché lors du Festival du film et forum international sur les Droits Humains (FIFDH) de Genève, Laura Cazador est revenue dans la cité de Calvin pour présenter son film Insumisas au festival Filmar en América Latina. Ecrit et réalisé en collaboration avec Fernando Pérez, il compte dans le rôle principal d’Enriqueta Faber l’actrice française Sylvie Testud. Le film, tiré d’une histoire vraie, retrace le parcours d’une femme médecin suisse au début du 19ème siècle qui se travestit en homme et part exercer la médecine à Cuba.
Suissesse d’origine, Laura Cazador étudie le cinéma à la Havane et travaille ensuite de nombreuses années pour le festival Filmar en América Latina. Aujourd’hui de retour en Suisse, elle nous livre quelques éléments sur les coulisses de ce projet de longue haleine.
Ce film que représentait-il pour vous, sachant que c’était votre premier long métrage ?
« Pour moi, ce projet représente évidemment beaucoup car c’est le premier long-métrage que je co-signe. C’est également un projet qui est dans ma vie depuis considérablement de temps : j’ai commencé à travailler dessus en 2010, il a été filmé en 2017 et on le présente maintenant en 2019 en Suisse. Il y a donc presque dix ans de ma vie qui ont été consacrés en grande partie à ce film. Mes enfants, qui étaient tout petits quand j’ai commencé à écrire, sont grands aujourd’hui : ma fille de dix ans a l’âge du film. Donc évidemment que ce projet a une certaine émotion, une certaine charge.
Ce projet est d’autant plus important car il est lié à Cuba, qui est un endroit important pour moi depuis que je suis partie y étudier le cinéma. Ce film était LE gros projet que je pouvais développer sur place. C’est également la première coréalisation suisse-cubaine institutionnelle : c’était la première que les deux pays faisaient des accords de production, et ça, c’est aussi une grande satisfaction pour moi. J’espère que cela pourra ouvrir la porte à d’autres production entre la Suisse et Cuba.
L’histoire d’Enriqueta me touche particulièrement car elle était aussi une suissesse partie à Cuba. Il y eut pas mal de moments, lorsque je faisais des recherches sur le personnage, où je me suis dit qu’on avait dû avoir quelques sentiments, visions ou odeurs en commun. C’est vrai qu’à ce niveau-là aussi le film permettait de relier ces deux îles que sont la Suisse et Cuba. »
Quelles étaient vos inspirations artistiques pour ce film ?
« On n’a pas cherché à révolutionner ni une narrative ni une mise en image : on a un film somme toute assez classique dans sa forme. C’était un choix car on avait l’impression que notre histoire était tellement forte qu’il n’était pas nécessaire de créer d’artifice et que si l’émotion devait survenir chez le spectateur, elle devait survenir du conflit des personnages. S’il fallait donner une référence ce serait peut-être Brecht, avec une narration assez distante où on cherche à manipuler le moins possible le spectateur, notamment en choisissant de ne pas inclure de la musique extradiégétique (1) Ainsi, on laisse l’émotion venir si elle doit venir.
Au niveau de l’image et des couleurs, on s’est beaucoup inspiré des images d’une série anglaise qui s’appelle « Taboo » car on aimait beaucoup la photo grise, sale qui nous semblait convenir à la Havane du 19ème. Souvent, Cuba est représentée très colorée avec des couleurs très chaudes, nous, nous avions plutôt envie de représenter par la photo la dureté de ces temps-là. C’est pourquoi on a choisi une photo pas brillante du tout, avec des couleurs mattes et sombres, plutôt autour du bleu et gris. »
Qu’est-ce que cela implique de réaliser un projet comme celui-ci sur une île comme Cuba, qui a tant de particularités ?
« La première chose à rappeler est que l’institut du cinéma cubain à Cuba (n.d.l.r. : institut cubain des arts et de l’industrie cinématographiques) est très expérimenté. Il a été créé en 1959 et était un des premiers projets du gouvernement révolutionnaire cubain. Ils ont donc soixante ans d’expérience dans la réalisation de films et les équipes sont extrêmement professionnelles. Elles ont appris, par la force, à faire du cinéma en temps de guerre, car même si la guerre n’est pas directe à Cuba, elle est présente : il y a 60 ans que les Etats-Unis imposent un embargo qui affecte l’île économiquement et politiquement.
Ces équipes ont développé un savoir-faire impressionnant au vu de toutes ces difficultés techniques et logistiques et on sent qu’il y a une compensation de toutes ces difficultés avec l’envie et la créativité. A Cuba, on a l’impression que l’adversité stimule la créativité chez les êtres humains et cela, dans le cadre d’un film, c’est extrêmement important : le temps est court et la réalisation dépend de beaucoup de monde, d’argent, de moyens. S’il n’était pas possible de compter sur les équipes d’un point de vue technique et éthique, on n’aurait jamais pu terminer notre film. On a vraiment pu compter sur ce professionnalisme et sur cette entrega (dévotion) du personnel technique cubain. Par exemple, à un moment donné, il n’y avait plus de paraffine sur l’île, dont on avait besoin pour faire des bougies. Certains ont dû partir au Mexique en acheter pour qu’on puisse les fabriquer. Il est vrai que tout est plus compliqué du fait de l’embargo, mais c’est compensé par une entrega incroyable des équipes. »
Qu’avez-vous pensé de l’accueil suisse du film ?
« J’ai été assez surprise du bon accueil qu’il a reçu en Suisse. Je n’étais pas sûre que le public suisse réussirait à entreprendre une communication avec le film. Il est clair que normalement les personnes n’ayant pas apprécié ne viennent pas à la fin du film en disant « je n’ai pas aimé », elles passent leur chemin, en Suisse comme à la Havane. Cependant, toutes les personnes qui se sont approchées de moi après les projections ou qui m’ont écrit me donnent une impression d’un public qui a aimé, qui a compris le film, qui l’a vécu et qui l’a senti. Pour moi, c’est une énorme satisfaction évidemment, car on cherche forcément à communiquer en faisant un film, mais ce n’est pas gagné d’avance.
Un élément à noter est que la prestation de Sylvie Testud a beaucoup plu aux Suisses d’une manière générale, j’ai reçu beaucoup de retours de personnes enchantées par sa performance. C’est aussi en Suisse que l’on m’a dit pour la première fois que mon film traitait de la convergence des luttes. Je ne l’avais jamais formulé comme ça auparavant mais ces propos m’ont vraiment fait sentir une réception positive. »
Quelque chose d’important à transmettre à des étudiants universitaires ?
« C’est bien la convergence des luttes. »
Pour les curieux, il faudra rester attentif aux opportunités d’aller voir l’œuvre au cinéma. Une sortie est prévue prochainement en Suisse allemande, mais dans la cité de Calvin, Insumisas ne se verra projeté que de manière ponctuelle.
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