Un an après, la Colombie a-t-elle trouvé la paix ?

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Automne 2016 :

Dimanche 2 octobre 2016, la Colombie retient son souffle. Cette date, déjà historique, devait marquer la fin du conflit interne entre le gouvernement et les autoproclamées Forces Armées Révolutionnaires de Colombie, les Farcs.

Ce qui commença comme une lutte des classes, menée par une cinquantaine de paysans contre un gouvernement oligarchique, prit, en 50 ans de conflit, la dimension de guerre civile étendue, sur fond de lutte contre le trafic de drogue(1). Les acteurs se multiplièrent et créèrent un réseau d’intérêts conflictuels qui enlisa le pays dans la violence. La population civile en devint la première victime, visée directement par une politique de terreur et de kidnappings de masse, provoquant plus de 7 millions de déplacés internes. Même si la situation générale s’est améliorée ces dernières années, notamment du fait de la politique de tolérance zéro de l’ancien président Alvaro Uribe, rien ne semblait pouvoir mettre un terme à ce conflit de façon définitive et durable. Ce, jusqu’à ce que le gouvernement de Juan Manuel Santos annonce que des accords de paix avaient pu être convenus avec la guérilla(2). Mais là encore, la société colombienne se déchira. Des opposants affirmèrent qu’un conflit de cette ampleur ne pouvait pas se résoudre avec un accord qui instaurait, notamment, l’amnistie partielle pour les combattants rebelles. Alors que certains étaient prêts à pardonner pour aller de l’avant, d’autres militaient pour une justice plus stricte. Le président Santos appela à un vote populaire en vue de la ratification de ces accords, à la recherche d’une légitimité supplémentaire.

Malgré les rebondissements durant la campagne, à l’approche de la votation, il n’y avait aucun doute pour la plupart des médias nationaux comme internationaux, ainsi que pour les autorités, que le peuple donnerait son accord par les urnes. Comment tourner le dos à la paix ? Mais à la stupéfaction générale, le peuple rejeta l’initiative.

Dès la sentence tombée, il a fallu se relever. Une chose était sûre pour les quelques 6 millions de Colombiens qui voyaient dans ces accords la lumière au bout du tunnel : après tous ces efforts, il est hors de question de revenir en arrière. Des mobilisations vont s’organiser dans tout le pays. Du côté du gouvernement, Santos se veut le président de la paix, encouragé par l’obtention du prix Nobel de la Paix seulement quelques jours après « son » échec inattendu(3). Il invite l’opposition à venir dialoguer. Les dirigeants des Farcs, eux, maintiennent leur volonté de dépôt des armes et de passage à la vie politique. Rapidement, de nouveaux accords sont négociés et, à peine un mois plus tard, le président annonce que de nouveaux points d’ententes ont été trouvés. Mais cette fois-ci, il n’est pas question de vote populaire. La leçon est retenue : Lorsque le peuple n’est pas d’accord, on évite de lui demander son avis… La nouvelle convention est signée le 24 novembre et entre en vigueur suite à un simple vote du parlement (4).

 

« Pour tout ce qui nous unit et contre tout ce qui nous sépare #EnSilencePourLaPaix »

marcha por la paz

Source : http://www.elpais.com.co/multimedia/fotos/en-imagenes-la-marcha-por-la-paz-que-unio-a-los-colombianos-tras-el-plebiscito.html

Automne 2017 :

Un an après, c’est l’heure du bilan. Ces nouveaux accords ont-ils réellement amené la paix en Colombie ? Comme bien souvent, la réponse n’est pas simple.

D’un point de vue purement officiel, les Farcs ne sont plus un groupe armé mais un parti politique. Après avoir rendu les armes, les combattants rebelles sont retournés à la vie civile et les ex-généraux militaires se sont transformés en hommes politiques(5). Ils se sont vus accorder 10 places sur 268 au parlement pour exprimer pacifiquement leurs opinions politiques(6). Même acronyme, différents moyens d’actions. Cette nouvelle place des Farcs représente pour certains citoyens, une défaite et une honte pour la société colombienne. C’est également l’avis de certains guérilleros qui refusent « d’abandonner la cause ». Alors que les hauts dirigeants signent la paix, des groupes dissidents s’émancipent et forment de nouveaux groupuscules réfractaires à la pacification. Ces rebelles refusent d’arrêter les combats et contrôlent encore certains territoires. Cette opposition ouverte au gouvernement fait encore des victimes dans les deux camps ainsi que, comme toujours, dans la population civile. Rien qu’au début du mois d’octobre dernier, une dizaine de paysans ont été assassiné dans la région de Tumaco, ce qui a provoqué encore une fois un déplacement de citoyens. Certains accusent les dissidences des Farcs, d’autres, le gouvernement colombien(7).

 

simbolo farc

Source : https://brasil.elpais.com/brasil/2017/08/31/internacional/1504216451_908943.html

Résumer le conflit aux Farcs est tentant, la situation est cependant beaucoup plus complexe. Les acteurs sont en effet très nombreux. Les groupes rebelles ne manquent pas dans un Etat où le gouvernement peine à garder le contrôle sur l’ensemble du territoire. Les Farcs restant les plus connus, d’autres groupuscules s’efforcent de rappeler à la société colombienne qu’ils ne comptent pas, eux, arrêter leur combat. Cela mène à des actes de violence tels que l’explosion le 17 juin dernier d’une bombe dans les toilettes d’un centre commercial huppé de Bogota qui fit 3 morts. Cet acte fut attribué au MRP, groupuscule révolutionnaire pratiquement inconnu de la société colombienne, et qui pourtant fit trembler la population de la capitale qui se croyait en sécurité(8).

farcs

Source : http://caracol.com.co/emisora/2016/12/19/pasto/1482170056_792243.html

Sans surprise, il n’est donc pas possible, en conclusion, de dégager une réponse claire à cette question. Sur le papier, les Farcs ne sont plus en conflit avec le gouvernement mais ce n’est pas le cas des autres acteurs qui continuent de plonger certaines régions de la Colombie dans la violence. Même si la paix reste donc seulement très théorique, il est possible de noter une répercussion positive des accords. En effet, en suivant l’exemple des Farcs, l’ELN, deuxième groupe dissident de Colombie, a annoncé vouloir négocier lui aussi avec le gouvernement. Si ces accords sont réellement mis en place dans le long terme, ce premier pas pourrait donc s’avérer réellement décisif pour enclencher le processus vers la paix en servant d’exemple et ouvrant ainsi la voie au démantèlement progressif de tous les groupes. Cette démarche dépendra notamment des élections présidentielles de 2018. Ces futures négociations pourraient être grandement compromises si l’opposition atteint le pouvoir. L’issue de ces prochaines votations est plus qu’incertaine et après la surprise du 2 octobre 2016, peu s’aventurent au jeu des pronostics. Affaire à suivre…

bdBande dessinée : Guillaume Tschuy

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Une réponse à “Un an après, la Colombie a-t-elle trouvé la paix ?”

  1. Avatar de Laura Morales Vega
    Laura Morales Vega

    #update: Rodrigo Londoño, alias Timochenko, leader des Farcs, a annoncé hier sa candidature à la présidentielle de 2018.

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