Notre jeunesse a tant à apprendre des « British subcultures »

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La jeunesse britannique actuelle est connue pour ses innombrables débauches dans les stations balnéaires, son comportement indécent et son arrogance. Pourtant, il y a quelques années, cette même jeunesse était à la tête des plus importants mouvements culturels occidentaux, façonnant des identités qui se sont répandues au sein des jeunes du monde entier.

On se souvient des Punks, des Hippies, et peut-être même du style « gothique » ; pourtant, cela semble relever du passé et notre jeunesse a marginalisé ces mouvements qui se sont quasiment éteints aujourd’hui. On en oublierait presque que ce que nous appelons vulgairement des « styles » étaient autrefois des mouvements importants, exprimant l’esprit et le caractère d’une jeunesse souvent rebelle et anticonformiste. En effet, un mouvement représente une période, une mode vestimentaire, un genre musical, le tout influencé par les évènements sociaux et politiques du moment. C’est ainsi que les Hippies se laissaient pousser les cheveux et jouissaient de la révolution sexuelle des années soixante, alors que les Punks se démarquaient par leurs coiffes colorées et rejoignaient la lutte pour les libertés individuelles. Malgré l’impact énorme des subcultures durant les années 1950 – 90, on peine actuellement à distinguer de nouveaux mouvements influençant la jeunesse, si bien que l’on reproche à notre génération de manquer d’identité propre. Mais peut-on vraiment affirmer que les jeunes ont perdu le sens de l’identité, ou plus globalement, de la culture ?

Subcultures : un bréviaire
Pour répondre à cette question, il faut tout d’abord comprendre quel impact ont eu les subcultures (sous-cultures) occidentales sur la jeunesse par le passé, et comment celle-ci s’est créé des identités associées à ces mouvements.
Prenons pour commencer l’exemple des Mods (modernists), qui voient le jour à la fin des années cinquantes à Londres et qui peu à peu essaimeront de l’autre côté de l’Atlantique. Le mouvement est mené par des jeunes emprunts de liberté, d’aventure, qui veulent redorer l’image de la culture dans la période d’après-guerre. Ils sont férus de Modern-Jazz d’où leur nom Modernists et remplissent les dance-clubs de l’époque, avec un peu d’amphétamine dans leurs poches. Au volant de Vespa et habillés de manière élégante, ils s’intéressent à la mode, à la musique moderne, aux collages populaires de Richard Hamilton, et leur impact est tel qu’à la fin des années soixante, Londres deviendra « swinging London », pour qualifier l’intérêt soudain des jeunes pour la pop culture.
Au même moment apparaissent les Rockers qui s’opposent fortement au mouvement Mod. Loin des costumes élégants et d’une musique Jazz, Soul ou Ska(1), les Rockers se distinguent par leur amour des motos, des blousons de cuir et d’une musique plus rude , le Rock’n’roll(2). Ils se détachent de ce qu’ils appellent la société « mainstream » et se considèrent comme rebelles. Les deux subcultures se détestent et aiment régler leurs problèmes comme la plupart des jeunes de l’époque, par la bagarre. Pourtant, les deux ont en commun un désir de se différencier de la société dominante, en se rebellant et en affirmant leur position. Ainsi, les nombreuses altercations entre la police, les Mods et les Rockers, vont jusqu’à faire de ces groupes des « hooligans » aux yeux des politiciens de l’époque.
Un autre point commun est l’impact considérable de ces deux cultures à travers le monde. Un mouvement Mod s’est créé aux Etats-Unis et les Rockers ont semé leur influence jusqu’à devenir l’une des subcultures les plus répandues et les plus influentes à avoir jamais existé. Il est ainsi facile de s’apercevoir que ces mouvements ont tiré leurs spécificités des situations sociales et politiques du moment et que leur influence était telle qu’elle a dépassé les frontières pour s’ouvrir aux jeunes du monde entier. Nous avons pris l’exemple des Mods et des Rockers, mais chaque subculture avait son histoire propre et avait subi l’influence des mouvements précédents. Les Skinheads sont le parfait exemple de jeunes qui s’inspirent d’un mouvement de base (ici le Mod) et d’autres mouvements existants pour créer une nouvelle subculture qui leur est propre. Connus pour leurs crânes rasés en opposition aux Hippies, le mouvement Skinhead prend avant tout racine dans le rejet des Mods par des jeunes de la classe ouvrière, pour qui ils étaient devenus trop hautains. En se détachant des Mods, ces jeunes fondent ainsi leur propre sous-culture dérivée(3).
En lien avec leur époque et les nombreux problèmes auxquels ils se sont confrontés, les identités créées par les jeunes se sont montrées variées à travers le globe, notamment aux Etats-Unis où les subcultures prenaient leur influence de l’Angleterre (Mods, Rocker, Skinheads…) mais aussi au Japon, où le terme Rocker était traduit pas Kaminari-zoku (Tribu du tonnerre). Dans le cas américain, les subcultures se développaient petit-à-petit pour donner vie à d’autres genres qui tout de même, restaient très proche des modèles britanniques (le mouvement antifasciste SHARP Skinhead a été créé à New York, par exemple).  Ainsi, en s’intéressant de plus près aux différents mouvements ayant vu le jour au 20ème siècle, on remarque tout d’abord que l’Angleterre fut le berceau des subcultures, et que celles-ci ont exercé leur influence non pas seulement au Royaume-Uni, mais partout où la jeunesse avait la volonté de se démarquer, de se rebeller et d’affirmer son existence.

Millenials : une génération sans subcultures ?
Après s’être penché sur les subcultures des années précédentes, on peut maintenant se poser la question de l’existence de mouvements importants récents : notre génération est-elle la première à renier le besoin d’appartenance à une mouvance culturelle définie ? En suivant l’évolution des mouvements au fil du temps, on remarque une rupture durant les années 90. Selon les points de vue, c’est à ce moment que les subcultures se multiplient ou alors disparaissent. Un simple coup d’œil sur la page Wikipedia(4) dédiée permet de distinguer un nombre impressionnant des nouveaux genres associés à des subcultures, dont on n’a peu voire jamais entendu le nom. Pourtant, cette expansion n’est pas considérée comme telle par beaucoup, qui affirment que les mouvements de jeunes sont sur le déclin, pour ne pas dire inexistants. Shane Meadows, le créateur du film This is England (adapté ensuite en série) a remarqué au sein de la jeunesse actuelle une distanciation des subcultures inverse à l’engouement qu’elles exerçaient quelques années auparavant. Traitant souvent de la jeunesse et de ses mouvements dans ses réalisations cinématographiques, le Britannique s’est vite penché sur le sujet des adolescents d’aujourd’hui. Dans une interview avec VICE(5), il explique que, selon lui, les dernières subcultures ont existé dans les années 90, le Hip Hop(6) étant peut-être le dernier mouvement de grande ampleur. D’autres considèreront le Grunge(7) comme le dernier exemple d’une subculture moderne, tandis que le journaliste britannique du Guardian Alexis Petridis(8) estime que les Emos(9) et les Metalheads(10) sont les seuls mouvements récents pouvant être associés à des subcultures(11). Il est vrai qu’une observation rapide suffit pour comprendre que les subcultures ne sont plus aussi importantes qu’auparavant. En effet, les rues de nos villes sont remplies de genres différents et il est difficile de remarquer un ou des styles prédominants. Contrairement à une époque où les jeunes s’identifiaient ouvertement à une subculture définie, il est plus subtil aujourd’hui de déceler un mouvement rassembleur, si bien qu’être jeune est devenu une banalité. Peut-être que Shane Meadows avait raison, la jeunesse n’a plus besoin de subcultures, et c’est pour cela que celles-ci disparaissent.

Comment expliquer cela ? Pourquoi se fait-il qu’après des décennies de rébellion et de conflits identitaires, les jeunes ne sentent plus le besoin de se rattacher aux subcultures ? C’est une question intéressante car la globalisation et le marché du travail se développent si rapidement que l’on considère la jeunesse comme étant perdue et livrée à elle-même, ce qui favoriserait l’assimilation à différents mouvements ou groupes. Pourtant la réalité nous prouve le contraire, et peu d’auteurs se sont penchés sur le sujet pour tenter de l’expliquer. Alexis Petridis avance différents arguments dans son article du Guardian(12), notamment celui d’Internet. Selon le journaliste, Internet aurait permis aux adolescents de se créer de nouvelles identités en ligne et de transposer la lutte anticonformiste d’antan vers des plateformes qui offrent une plus grande ouverture et un nouvel espace de jeu. De plus, Internet permet l’échange entre différentes cultures et donc aussi entre subcultures, ce qui a ouvert la porte à de nombreux genres qui trouvent leur public en ligne, un publique plus restreint mais aussi plus spécifique. Cela ne coûte rien de se créer un masque virtuel, alors que le porter dans la rue est une autre affaire. Le Dr. Ruth Adams de King’s College London avance une autre théorie, basée sur le cycle de consommation, qui serait devenu beaucoup plus rapide qu’auparavant(13). À l’époque des subcultures, acheter une paire de chaussure était un investissement de longue durée, alors qu’aujourd’hui c’est devenu un geste régulier. Les jeunes faisaient ainsi plus d’effort pour composer leur style et cela permettait aux mouvements de maintenir leur identité. Il fallait se rattacher à un genre précis, parce que la mode demandait de l’investissement et qu’on ne pouvait pas changer d’apparence du jour au lendemain. Aujourd’hui la consommation est devenue constante et les modes ne cessent de varier, ce qui ne permet plus l’élaboration de subcultures durables. Le même phénomène peut être transposé à l’ère d’Internet : l’échange est aussi rapide que l’apparition de nouveaux genres, qui ne durent qu’un certain temps avant d’être remplacés par de nouvelles modes.

Notre jeunesse : sans culture ni identité ?
Ces différents arguments permettent de mieux comprendre pourquoi la jeunesse actuelle a délaissé les subcultures, néanmoins il n’existe pas d’explication précise et c’est peut-être cela qui marginalise notre jeunesse au point de la nommer la subculture-less generation(14). Il est vrai que beaucoup de genres musicaux et vestimentaires ont vu le jour au 21ème siècle, prouvant que les jeunes sont capables de créer et d’innover. Mais il est aussi vrai que nul style de notre génération n’a réussi à combiner musique, mode et manière de penser de manière à rassembler et créer une identité propre. Si l’on devait qualifier notre jeunesse, il y aurait trop de possibilités ou alors pas assez pour clairement définir ce que nous sommes. Les uns ont grandi avec The Who & les Sex Pistols, été Skinhead et revendiqué certaines libertés, tandis que les autres ont grandi avec MSN, écouté leur musique sur Spotify et débattu de l’actualité politique dans des commentaires Facebook. Peut-être que jeter un regard en arrière nous permettrait de mieux cerner ce que la jeunesse d’aujourd’hui est devenue, tout comme nous imprégner des British subcultures pourrait résoudre certaines crises d’adolescence inexpliquées. Car au final, on ne pourra pas dire que notre génération manque de culture, mais il est vrai que nous avons perdu le sens de l’identitaire.

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