Accès au logement : entre expulsion et mobilisation

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1200 francs par mois ; voilà combien l’étudiant-e paie en moyenne son logement aujourd’hui à Genève. Pour les logements locatifs de 4 pièces, c’est 2080 francs qu’il faut débourser mensuellement (1) . Se loger à Genève est une gageure, et cela dure déjà depuis 20 ans. Pourtant, la Cité de Calvin ne compte plus ses bâtiments non-exploités. Manque de logement, certes, mais surtout de logements à loyer abordable pour le commun des mortels. Évidemment, si vous avez 5’000 francs à dépenser chaque mois pour votre appartement, vous n’êtes pas parmi les personnes les plus touchées par la crise du logement. Reste que pour la majorité de la population genevoise, et en particulier pour les jeunes, trouver un toit est un réel parcours du combattant. Ces diverses raisons notamment ont amené près de 3000 personnes à se réunir samedi 7 octobre afin de manifester dans les rues de la ville.

Dans un canton où le mètre carré revient à près de 35 CHF par mois, comment loger les personnes en situation précaire et les jeunes en formation ?

Philippe Thalmann (2) , professeur à L’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), a calculé l’augmentation des loyers suisses au cours de ces quarante dernières années. Le résultat est édifiant : les loyers ont progressé de 235%, alors que le droit du bail stipulait une croissance maximale de 35%. Genève n’est pas épargnée par ce phénomène et se situe même devant Zürich concernant l’augmentation des prix des loyers (3) . En outre, on remarque que lorsqu’un logement a changé de locataire dans l’année, son loyer augmente en moyenne sur la même période de 11,4% (4) . Dans un canton où le mètre carré revient à près de 35 CHF par mois, comment loger les personnes en situation précaire et les jeunes en formation ?

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Face à ce constat immobilier alarmant, un collectif d’étudiant-e-s (Xénope) décide de se réunir en mars 2012, au 154 route de Malagnou. Il s’agit de l’ancienne station de zoologie inexploitée depuis 2010, contenant 35 espaces vides. Les étudiant-e-s occupent les lieux avec des banderoles sur lesquelles on trouve inscrit « scandale », « 10’000 personnes sans logement, 35 chambres, c’est un début » ou bien encore « un logement est un droit ». À cette date, le bâtiment appartient à l’Université de Genève qui, après négociation, le remet à l’association sous contrat de prêt à usage. Quelques mois après la signature, l’État de Genève rachète le bien à l’Université et commence dès lors le litige entre Xénope et l’État cantonal.
Rendez-vous, rencontres, échanges de courriers, visites de l’Office des bâtiments (OBA), négociations, etc. Un rythme effréné qui se poursuit aujourd’hui encore. L’État Genevois planifie de mettre la maison de Malagnou à disposition de requérants d’asile. Le Conseiller d’État Serges Dal Busco (PDC), responsable du dossier, aurait promis aux membres du collectif un renouvellement de bail jusqu’à 2020 à condition de disposer d’un autre bâtiment vide où le projet d’accueil pour les ressortissants étrangers serait envisageable. Si Xénope a bien trouvé une maison disponible, Serges Dal Busco, lui, dément avoir tenu ces propos et maintient son avis d’expulsion ; ce qui motive une première manifestation en juillet, puis une seconde samedi 7 octobre (5) .
Ils étaient près de 3000 manifestants lors de ce deuxième rassemblement, dont nombre de membres de la communauté universitaire qui ont répondu à l’appel de la CUAE et du collectif Xénope. Parmi les partis politiques ; les Verts, le PS et Ensemble à Gauche étaient également présents, aux côtés des syndicats SSP et SIT et des groupes alternatifs comme l’Usine. Le collectif des associations d’habitant-e-s de quartiers appelait également à manifester pour soutenir Xénope et, plus largement, pour dénoncer les conditions sur le marché genevois du logement.

La police a d’ailleurs sorti de gros moyens : plusieurs fourgons et un grand nombre de policiers qui, prudents, demeurent cachés aux coins des rues

La manifestation démarre doucement pour descendre de la place des Vingt-Deux-Cantons en direction du lac en chantant des airs connus parodiés pour l’occasion comme, A la belle occupade. L’arrêt au bas de la rue de Chantepoulet est l’occasion de prononcer les premiers discours et de scander quelques slogans anti-flics qui seront ensuite repris en chœur durant tout le reste du parcours. La police a d’ailleurs sorti de gros moyens : plusieurs fourgons et un grand nombre de policiers – dont une dizaine en tenue anti-émeute – qui, prudents, demeurent cachés aux coins des rues, caméra au poing, pour observer l’attroupement. Ils seront rejoints sur la place de Neuve par un certain nombre de leurs collègues tenant, cette fois, des fusils à balles en caoutchouc, dont ils n’auront heureusement pas besoin de se servir. En effet, le défilé se déroule sans incident, si ce n’est une courte altercation avec le personnel d’un magasin dont la vitrine a été confondue avec un panneau d’affichage.
À l’arrivée sur la Plaine de Plainpalais, les organisateurs déroulent un écran pour présenter les nominés de la première édition de L’autre concours de l’immobilier (6)  récompensant les pires scandales en matière de projets de construction et de logement. Les photos se succèdent ; il faut dire que des Genferei (7)  il y en a ! Et des catégories aussi : le prix de la spéculation la plus lucrative revient à l’immeuble situé 1 rue Gevray, celui des hors la loi au bâtiment du 40 rue de Lausanne. La catégorie pas de quartier pour les alternatives récompense la lutte menée à Malagnou. Le projet sur le site de la caserne des Vernets obtient le prix de la densification la plus étouffante. Quant à la surélévation la plus ébouriffante, elle est accordée au 3 rue Butini. Les organisateurs ont même prévu un hors catégorie sur le logement des requérant-e-s d’asile dans les abris PCi. C’est dire si Genève est exemplaire !
L’expulsion de la maison collective de Malagnou s’inscrit dans la lignée des fermetures de squats à Genève. Rappelons-nous de l’épisode du Rhino, tombé en 2007. Pourtant, la mobilisation démontre que les milieux alternatifs et autogérés font partie de la culture genevoise. En menant une telle politique de démantèlement, qui par ailleurs n’arrange en rien la crise du logement sur le canton, Genève ne serait-elle pas en train de condamner une part de son identité ?

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