Premier tour de la présidentielle en France, quel bilan ?

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Presque trois ans de campagne, de bruissement politique et médiatique, puis le silence intersidéral. Vendredi 21 avril à minuit, la campagne présidentielle française du premier tour s’est achevée, et les politiques et médias ont été contraints de ne plus parler de politique pendant près de 48 heures. Véritable éternité pour eux. Moments de répits après une campagne acharnée, gâchée par des affaires judiciaires, mais épique par ses rebondissements. Il était temps que cela se termine. Dimanche, les Français ont donc voté. Ils ont choisi les deux finalistes de cette élection. Gros moment de tension à vingt heures pour les millions d’électeurs devant leur télévision. Et deux visages qui s’affichent : Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Cette élection aura tenu le suspens jusqu’au bout pour que, finalement, les deux élus soient ceux qui depuis deux mois étaient donnés favoris. Mais même si cette élection a pu être annoncée, prévisible, elle n’en est pas moins intéressante politiquement. Un petit bilan avant le second tour s’impose.

 

Une explosion de la vie politique

Ce premier tour représente la fin d’une ère pour la vie politique française. En effet, les deux finalistes de cette présidentielle ne sont pas issus des deux grands partis traditionnels qui ont forgés la vie politique en France. D’un côté Marine Le Pen, du Front national, réussi l’exploit que son père avait avant elle réalisé en 2002. De l’autre, Emmanuel Macron remporte ce premier tour avec un mouvement politique d’un an seulement : En Marche !. Les deux « grands » partis français ; Les Républicains (droite) et le Parti Socialiste (gauche) sont tous deux éjectés du second tour pour la première fois dans l’Histoire de la Vème République. Ces deux mêmes partis qui avaient saturés l’espace médiatique en novembre et en janvier avec leurs primaires respectives ne totalisent qu’un peu plus d’un quart des voix des Français à eux deux, alors qu’ils s’attiraient plus de 55% des voix des Français cinq ans plus tôt1. Nous sommes donc face à une décadence des partis traditionnels qui vont devoir impérativement se remettre en question s’ils veulent survivre à cet échec.

 

La volonté de « dégagisme » a été plus forte que tout

Le « dégagisme » a encore frappé. Le « dégagisme » c’est ce terme que l’on doit à Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France insoumise à cette élection. Il l’a inventé pour qualifier cette volonté des Français de « dégager » les anciens2. Et il est vrai qu’en matière de « dégagisme » cette campagne a été rude. Le premier a en avoir subi les conséquences a été Nicolas Sarkozy, éliminé avant même le second tour de la primaire de droite. Puis, il y a eu Alain Juppé au second tour alors même que tout le monde le voyait déjà président. À gauche, c’est l’ex-Premier Ministre Manuel Valls qui en a fait les frais, « dégagé » par Benoit Hamon lors du second tour de la primaire de gauche. Et enfin, François Fillon, qui avait réussi à passer entre les mailles du filet, s’est fait à son tour éliminer de la course présidentielle. Cette élection présidentielle aura servi de défouloir aux Français ; un défouloir contre ces visages politiques que certains voient sur leurs écrans depuis leur naissance, contre ces personnes qui font de la politique un métier plus qu’un engagement et qui n’ont connu de métier que celui d’élu.

 

Les sondages avaient raison
Autre enseignement de ce premier tour de scrutin : les sondeurs avaient vu juste. Ils ont été critiqués, houspillés, cloués au pilori. On nous disait ; « regardez outre-Manche ils se sont trompés. Regardez outre-Atlantique, ils se sont trompés. » Force est de constater que les sondeurs français ont encore une fois montré leur sérieux cette année. Il n’y avait pas de vote caché pour Fillon comme ses équipes l’annonçaient depuis des semaines. Marine Le Pen n’était pas sous-estimée dans les sondages. Emmanuel Macron n’était pas surestimé non plus. Chacun était à sa juste place. Et tous les pseudo-sondages qui fleurissaient sur Internet, réalisés à partir du Big Data, et relayés par les partisans de candidats en détresse se sont tous révélés cruellement faux. Certains pourraient soulever le débat de savoir si les sondages sont utiles, nécessaires, s’ils n’influencent pas le vote. C’est un débat qui ne sera pas tranché ici, mais sur lequel chacun peut se forger une opinion.

Les Français se sont habitués au terrorisme

L’attaque lâche qui a visé des policiers sur les Champs-Elysées à l’arme automatique a lancé un voile de tristesse et de gravité sur la fin de campagne. La mort d’un policier a ravivé les souvenirs des précédents attentats, beaucoup se sont alors interrogés sur l’impact que cette acte terroriste pourrait avoir sur l’élection présidentielle. Beaucoup se sont dit que cela jouerait en la faveur de Marine Le Pen et de François Fillon qui font de la politique sécuritaire leurs fonds de commerce. Mais il n’en a rien été ; aucun bouleversement significatif ne s’est opéré dans l’opinion publique3. Comme si avec le temps les Français s’étaient habitués à vivre avec le terrorisme.

 

Fillon a coulé la droite

ll aura fait croire à ses partisans jusqu’au bout qu’il gagnerait. Pourtant, il faut croire que la marche était trop haute pour François Fillon. Il faut dire que depuis les révélations du Canard enchaîné sur le présumé emploi fictif de Pénélope, la campagne de Fillon avait pris un sacré coup sur la tête. L’image d’homme irréprochable qu’il s’était construite s’est soudainement effondrée. Comme le Canard s’est déchaîné dans les semaines qui ont suivies, que l’ensemble des médias se sont mis à creuser, les Français ont appris que celui qui briguait leur investiture avait des amis qui lui offraient des costumes à 13 000 €4. Conflits d’intérêts, corruption, emplois fictifs ; il n’en fallait pas plus pour que les rêves d’Elysée de Fillon soient définitivement envolés. À mesure que la justice instiguait, les défections dans le camp se multipliaient une à une, mais lui tenait. Ou plutôt il a tenu à tenir. Etait-ce par orgueil, par estime personnelle ? Peut-être. Toujours est-il, Fillon aura fait perdre une élection que l’on annonçait comme imperdable pour la droite. La défaite une fois actée, les tensions au soir du premier tour se faisaient déjà ressentir entre les membres de « Les Républicains ». L’avenir nous dira s’ils arrivent à ressouder leur famille politique pour conserver leur statut de force politique majeure.

 

Mélenchon y a cru jusqu’au bout

Il lui aura suffi d’un débat pour se révéler. Jean-Luc Mélenchon connaît ses atouts, il est un tribun comme la gauche les aime, il a le verbe facile, il est un orateur hors pair. C’est à partir de ce premier débat que Mélenchon commence son ascension dans les sondages. Il « mange » d’abord rapidement son concurrent du parti socialiste, puis, comme l’appétit vient en mangeant, se prend à rêver de dépasser Fillon, puis qui sait, de se hisser au second tour. Il n’en sera rien. Est-ce à dire que rien d’important ne s’est passé ? Non. Jean-Luc Mélenchon peut être satisfait de sa campagne ; il a réussi à réunir autour de lui les communistes, le parti de Gauche, certains mécontents du quinquennat Hollande, et la plupart des manifestants qui avaient battu le pavé au printemps contre la Loi Travail. Il a aussi réussi à se faire passer pour le « vote utile » de la gauche. Benoit Hamon étant au plus bas dans les sondages, il fallait que les électeurs socialistes se tournent vers Mélenchon pour maximiser les chances d’avoir un candidat de gauche au second tour. Quatrième de ce scrutin, Mélenchon augmente considérablement son score de 2012, mais la déception était visible au soir du premier chez ce sexagénaire qui concourrait peut-être pour sa dernière campagne.

 

Macron a réussi son pari fou

C’est le grand vainqueur de ce scrutin. Un an auparavant, peu de personnes y croyaient lorsqu’il lançait son mouvement politique En Marche ! à Amiens. Peu auraient parié sur ce novice en politique : il n’avait jamais été élu, n’était connu des Français que depuis 2014 et prenait le pari de faire sauter les clivages traditionnels avec un mouvement ni de droite, ni de gauche, ou plutôt, et de droite, et de gauche. Car en effet, Emmanuel Macron se dit pragmatique. Il se refuse à l’idée que la gauche doit être en opposition constante à la droite et inversement : il est pour la conciliation. Il se veut pragmatique en prenant les mesures de droite et de gauche qui fonctionnent sans idéologie. Pariant sur le fait qu’Hollande ne se représenterait pas, il a quitté le gouvernement pour se lancer dans la course à l’Elysée. Il a risqué de prendre le contre-pied de l’humeur générale en France, en menant une campagne optimiste, parlant d’ouverture quand la droite et l’extrême droite parlaient de repli, et surtout, en menant une campagne résolument pro-européenne dans un contexte où l’euroscepticisme est plus qu’important en France. Force est de constater que cela a payé car il semble en bonne voie pour marcher sur l’Elysée le 7 Mai prochain.

 

Marine le Pen face au « plafond de verre » du FN

Elle croyait se hisser en tête du scrutin, elle est finalement seconde. C’est donc un résultat en demi-teinte pour la candidate du Front national. C’est avant tout une grande victoire, car elle réussit à se hisser au second tour d’une élection présidentielle comme son père l’avait fait avant elle en 2002. Elle réalise le meilleur score jamais réalisé par le Front national en France en obtenant plus de 7 millions de voix, cela démontre que les Français de plus en plus se reconnaissent dans les discours du Front national5. Mais à la fois, cette victoire est aussi teintée d’une pointe de déception pour la leader frontiste. En effet, son score est bien inférieur à celui qu’elle aurait pu espérer, ou du moins, de ce que les sondages lui annonçaient quelques semaines auparavant. Elle paie aussi certainement ces dernières semaines de campagnes avec, en particulier, cette interview où elle niait la responsabilité de l’Etat français dans la Rafle du Vel d’Hiv ; une rafle de juif durant la Seconde Guerre mondiale menée par des policiers français. Elle paie aussi sa volonté de sortir de l’Euro car les personnes âgées, les petits épargnants, s’inquiètent des conséquences que pourrait avoir une sortie de la monnaie unique. Mais rien n’est joué pour Marine Le Pen, une nouvelle campagne s’ouvre et son rôle de challenger pourrait bien jouer en sa faveur. Arrivera-t-elle à briser le « plafond de verre » du Front national qui a empêché jusqu’à maintenant l’arrivée d’un Le Pen à l’Elysée et l’obtention d’un nombre conséquent de députés à l’Assemblée nationale ? Nous le saurons dans quelques jours.

 

Le second tour à venir

Après un premier tour, la campagne du second tour débute immédiatement ; pas de répit pour les candidats, ni pour les électeurs. La coutume est de dire que l’on choisit lors du premier tour et que l’on élimine lors du second. C’est ce qui semble se dessiner. Dès le soir du premier tour, Benoit Hamon et les socialistes, François Fillon et la plupart des membres de Les Républicains, ont tous appelé à faire barrage au Front national et à Marine Le Pen. Ainsi, ils reconstituaient ce qui est appelé le « Front républicain », c’est-à-dire soutenir le candidat qui est en adéquation avec les valeurs de la République face au candidat d’extrême droite. Quasiment toute la classe politique a donc apporté son soutien à Emmanuel Macron, appelant au barrage face à la vague bleue marine qui se lève. Mais, déjà des tensions se sont fait sentir au sein de Les Républicains  où certains appellent clairement à voter pour Emmanuel Macron comme François Fillon. Et d’autres appellent à NE PAS voter Marine Le Pen laissant une place à l’abstention ou au vote blanc. Mais ce qui semble important à souligner ici, c’est le refus de Jean-Luc Mélenchon de se prononcer pour ou contre l’un des deux candidats sélectionnés. Son non-choix pourrait bien lui coûter cher tant il sera qualifié d’irresponsable par ses opposants.

Les deux semaines de campagne qu’il reste seront difficiles. Bien malin est celui qui pourrait préjuger du résultat du 7 mai prochain, même si les premiers sondages donnent Emmanuel Macron largement vainqueur. La campagne que veut imposer Marine Le Pen en opposant « perdants » et « vainqueurs de la mondialisation pourrait s’avérer terriblement efficace. Le débat d’entre deux tours pourrait aussi être à hauts risques pour Emmanuel Macron qui n’a pas beaucoup d’expérience dans ce genre de débat où la présidente du Front national excelle. Autre difficulté pour le candidat En Marche !, comment gérer l’afflux de soutiens de droite et de gauche ? Ces soutiens ne sont pas des ralliements à sa ligne politique mais, ne pas en tenir compte (comme l’avait fait Jacques Chirac en 2002) pourrait apparaitre comme une erreur. Affaire à suivre.

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