Clinton et la légitimité de la femme politique…Et maintenant ?

Avatar de Tristan Boursier

Le sujet de la femme politique attire les recherches et critiques depuis de nombreuses années déjà. Encerclées par des siècles de traditions, mœurs et raisonnements, qui sont aujourd’hui devenus presque inconscients, les femmes sont poursuivies par leur prétendue inhabilité à occuper des postes à responsabilités politiques. Il n’a toutefois jamais été aussi essentiel qu’aujourd’hui, alors qu’une femme a été sur le point de s’imposer en tant que dirigeante d’une des plus grandes puissances mondiales, de discuter de ce sujet.

En effet, ce n’est pas seulement la première fois qu’un homme a été confronté à une femme lors d’élections américaines, mais que la population a elle-même été clairement scindée de manière nouvelle. Les critiques et insultes ont fusé, à travers les débats, dans les médias écrits et réseaux sociaux. En tant que première femme élue représentante du parti démocrate, elle s’assure de laisser une petite trace dans l’histoire. Sa campagne s’est toutefois terminée de manière tout à fait imprévue et décevante, pour elle-même ainsi que pour les individus qui s’attendaient enfin à voir ce plafond de verre se fissurer. À travers l’histoire de la femme politique américaine, ainsi que de l’exemple plus concret de Clinton, nous allons questionner les causes et conséquences réelles de cet échec. À travers le prisme du genre, il paraît essentiel de comprendre le cas de Clinton ainsi que de comprendre pourquoi, malgré cette fin, il reste un exemple extraordinaire.

Si nous traitons de la femme dans la politique étasunienne, il paraît clair que ces élections étaient cruciales dans l’affirmation de la femme politique. Malgré le fait qu’elles représentent la moitié de la population, les femmes occupent moins de 20% des sièges du Congrès, et seulement 24,6% des législatures d’État[1][2]. Au niveau mondial, la situation est encore plus dramatique ; sur un nombre total de 193 pays, les États-Unis n’arrivent que 97ème dans la participation politique des femmes[3], se trouvant donc en-dessous de la plupart des pays européens. La femme politique apparaît donc comme isolée et très peu représentée.  De ce fait, les politiques qui lui seraient bénéfiques ou touchent particulièrement les femmes sont, la plupart du temps, appliquée par une majorité d’homme. Dans l’inconscience collective, la femme n’a donc pas encore réellement fait ses preuves et « effraie ».

Tout au long du 20ème siècle, nous avons observé l’escalade politique des femmes avec la première femme gouverneure d’un État, puis première femme sénatrice des États-Unis, puis encore première femme à faire partie du conseil des ministres. La femme perça le monde politique, mais de manière très lente…

Les récentes avancées aux États-Unis, en parallèle aux élections, ne viennent toutefois que corroborer cette évolution de la femme dans la politique. Neuf femmes noires ont été nommées juges dans l’État majoritairement démocratique de l’Alabama, la première femme noire et indienne a été élue sénatrice de Californie[4] (incarnant donc également la deuxième femme noire sénatrice de l’histoire des USA), la première femme hispano-américaine a été nommée sénatrice du Nevada[5] et enfin la première somali-américaine a été élue à la Chambre des Représentants[6]. La campagne présidentielle a, pendant plus d’un an, fait le bonheur des tabloïds, laissant dans l’ombre l’avancée d’autres femmes de pouvoir. Elles représentent de véritables jalons pour une société basée sur le respect et l’égalité.

Afin d’éviter tout commentaire relevant de l’essentialisme, il est important de noter qu’il ne faudrait en réalité pas considérer le sexe ni le genre d’un-e candidat-e lors d’élections, mais plutôt sa politique ainsi que son statut. Dans le cas des élections présidentielles par exemple, remettre en question la capacité d’Hillary Clinton à occuper le rôle de présidente puisque c’est une femme revient à avouer le caractère foncièrement sexiste de la société américaine. Le fait que le genre soit intervenu comme facteur décisif lors des élections, et même de le concevoir comme un facteur essentiel, est tout à fait superficiel[7].

On devrait considérer son rôle de présidente, non pas son « statut naturel de femme » (sans lui assigner des défauts ou tâches en vertu de son sexe); et comme le déclare le président Obama dans un de ses discours : «Hillary est constamment traitée différemment que n’importe quel autre candidat », en faisant référence au sexisme ayant causé, selon lui, le faible écart dans les sondages entre les deux candidats[8]. D’un autre côté, ce n’est pas parce que c’est une femme que ses politiques seront forcément féministes ou en faveur de l’évolution du statut social de la femme ; il apparaît donc quelque part incohérent de voter en considérant seulement le sexe de la candidate, si nous risquons, par exemple, de nommer des femmes comme Sarah Pallin ou Carly Fiorina à la (vice-) présidence du pays. De ce fait, l’idéologie doit être prise en compte.

Est-ce que le combat que mène Clinton depuis plus de quarante ans se termine réellement, aujourd’hui, sur une défaite ? Peut-être pas ; en effet, nous pouvons bien la considérer perdante, mais il est alors essentiel de rajouter battante, survivante et sacrifiée.

« Battante » car alors fraîchement arrivée à l’Université de Wellesley en 1965, elle commence sa bataille pour l’égalité et le droit des femmes, en pensant qu’il « était du devoir des femmes d’être plus engagées dans la définition de leur propre existence ainsi que d’influencer le monde autour d’elles. »[9] De son célèbre « Human rights are women’s rights, and women’s rights are human rights »[10] à ses politiques en faveur du droit à l’avortement, le « planned parenthood » ou encore l’égalité des sexes au travail, elle n’a jamais cessé de mettre en avant les droits de la femme et leurs chances de saisir les mêmes opportunités que les hommes.

« Survivante » car durant une campagne plus que violente, elle passa outre les remarques obscènes, misogynes et odieuses des supporters de Trump, oublia les critiques qui disait qu’elle n’avait pas la carrure d’une présidente, que l’on devrait la tuer ou l’emprisonner, ou que c’était une « nasty woman ». Lorsqu’on lui rappelait les infidélités de son mari, ou qu’on élaborait des théories improbables sur le fait qu’elle était malade, elle ne bronchait pas.[11] Pensant qu’elle remporterait cette victoire, et même après tant de critiques, elle clôt sa campagne avec la tête haute. Dans son discours de concession, elle envoie un message d’espoir et de force, en disant : « [Même si] cette défaite fait mal, n’arrêtez s’il vous plaît jamais de penser que se battre pour ce en quoi l’on croit en vaut toujours la peine » ; malgré son échec, « it was all worth it », finit-elle par énoncer.

Enfin, une « sacrifiée » car il aurait été beaucoup trop facile que la première femme qui s’élance dans l’arène présidentielle réussisse. L’Amérique ne semblait pas être prête pour une femme présidente. En effet, malgré les reproches que la population lui faisait, le choix paraissait facile à faire ; tous les éléments semblaient réunis pour une victoire féminine. Il y avait d’un côté un homme aux propos déplacés envers la population LGBTQ, les handicapés et les minorités, misogyne et sans aucune expérience politique; de l’autre côté, une femme considérée par beaucoup comme la personne la plus qualifiée de l’histoire des USA, aux politiques démocratiques et tolérantes. Si Clinton avait été un homme, le choix aurait réellement été facile ; on ne lui aurait pas reproché ses erreurs passées mais plutôt mis en avant les réussites de sa carrière.[12] De plus, nous pourrions penser qu’en votant en majorité pour Trump et en passant outre ses remarques d’une violence remarquable, les femmes américaines ont montré que leurs propres droits n’étaient pas leur priorité.[13]

En définitive, les effets de ces élections sur la population féminine restent mitigés. D’un côté, la place de président étant un modèle pour les futures générations, c’est un mauvais message que l’on donne en élisant une personne telle que Trump. Les jeunes filles pourraient se sentir dénigrées et comprendre que les propos énoncés par Trump restent impunis ou quelque part ignorés. De plus, elles pourraient se sentir, pour la plupart, effrayées et incapables de pouvoir se battre, s’exprimer ou même entrer en politique, avant d’avoir pu faire leur preuve.  D’un autre côté, en plus d’avoir vu le nombre de femmes en politique augmenter, le discours de concession d’Hillary Clinton délivre un réel message d’espoir : « […] I know we have still not shattered that highest and hardest glass ceiling but someday someone will. And hopefully sooner than we might think right now. […] And to all the girls who are watching this. Never doubt that you are valuable and powerful. And deserving of every chance and opportunity in the world to pursue and achieve your own dreams »[14]. Que ces rêves soient politiques ou non, cette année a été marquée par d’énormes changements pour l’égalité des sexes aux USA. Et que cela ne soit que dans quatre ans ou plus, il est essentiel pour les femmes de continuer à se battre. Ainsi, elles persisteront à briser cet illégitime plafond de verre en politique.

Avatar de Tristan Boursier

Laisser un commentaire