La loi sur la procréation médicalement assistée : sur quoi vote-t-on exactement ?

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PMA, FIV, DPI : mise au clair

La procréation médicalement assistée (PMA) désigne tous les moyens « permettant d’induire une grossesse en dehors de l’union naturelle de l’homme et de la femme, en particulier l’insémination, la fécondation in vitro avec transfert d’embryons et le transfert de gamètes »[1].

La fécondation in vitro (FIV) est « la fusion d’un ovule et d’un spermatozoïde en dehors du corps de la femme »[1]

Le diagnostic pré-implantatoire (DPI) est encore interdit en Suisse. Il est défini  comme « l’analyse génétique d’un embryon conçu hors du corps humain, effectuée avant l’implantation dans l’utérus de la mère »[1]. Il faut noter qu’une telle analyse n’est pas possible au stade pré-embryonnaire (ovule imprégné).

Petit rappel des faits

Le 14 juin 2015, le peuple et les cantons acceptaient à une large majorité (plus de 60% de oui) une brève modification de la Constitution. Il s’agissait de l’art. 119, qui fixe les principes généraux en matière de procréation médicalement assistée (PMA), dont les méthodes sont réglementées en détail par la Loi sur la procréation médicalement assistée (LPMA).

En substance, le peuple a voté pour autoriser le développement hors du corps de la femme du nombre d’ovules « nécessaire à la procréation médicalement assistée »[1], et non plus du nombre d’ovules « pouvant être immédiatement implantés »[2]. Cette modification avait pour but de légaliser le diagnostic préimplantatoire (DPI).

Cependant, si le peuple avait accepté il y a un an le principe du DPI, un comité référendaire s’oppose aujourd’hui à la loi d’application proposée par le parlement. C’est sur cette dernière que nous sommes appelés à voter. Si le peuple l’acceptait, elle entrerait en vigueur, alors qu’en cas de refus, les autorités devraient en rédiger une nouvelle, ce qui retarderait l’application de la Constitution.

 

Que dit la LPMA actuellement pour les couples qui ont du mal à procréer ?

Ils peuvent recourir aux techniques suivantes : le don de sperme, l’insémination (ces deux pratiques étant liées), la fécondation in vitro (avec ou sans don de sperme) et enfin la congélation d’ovules imprégnés. Il est par contre interdit de recourir à un don d’ovules ou un don d’embryons (c’est-à-dire d’ovules imprégnés de spermatozoïdes et dont les noyaux ont fusionné), aux « mères porteuses », au DPI, et enfin à la congélation d’embryons. Ce sont ces deux dernières procédures qui seraient autorisées dans certains cas si le peuple accepte la modification de la LPMA ce 5 juin.

 

Le but de la nouvelle loi

Rappelons les deux éléments clés de cette loi: le diagnostic préimplantatoire et la congélation d’embryons.

Premièrement, le DPI est une analyse d’une ou plusieurs cellules d’un embryon lors d’une fécondation in vitro. À quoi cela sert-il ? Cela permettrait de déterminer, d’après le génome de l’embryon, s’il a une forte probabilité de porter une maladie génétique ou si la grossesse risque de ne pas arriver à son terme. Par ailleurs, bien que la loi proposée l’interdise, on pourrait également déterminer via le DPI la couleur des yeux ou le sexe de l’enfant.

Pour ce qui est de la congélation d’embryons, elle permet d’en produire et d’en garder plus que nécessaire pour une implantation immédiate dans le corps de la femme. Conjuguée avec le DPI, cette technique donnerait la possibilité aux médecins d’analyser chaque embryon, de garder tous ceux qui ne portent pas de maladie génétique et/ou qui ont le plus de chance de survivre jusqu’au terme de la grossesse, puis d’en sélectionner un seul pour implantation, en congelant les autres.

Une telle procédure permettrait, en plus d’éviter des maladies génétiques à l’enfant, de limiter le risque de grossesses multiples[3]. Sachant qu’effectuer une telle analyse au stade pré-embryonnaire est impossible, on voit bien le lien entre les deux interdictions.

En effet, la nouvelle loi permettrait de congeler les embryons les moins à risque de maladie génétique et/ou de fausse couche, alors qu’il fallait auparavant tous les implanter.

Pour résumer, il résulte de la loi actuelle que, pour une FIV, les médecins fécondent en laboratoire plusieurs ovules ponctionnés chez la femme, peuvent en congeler certains, attendent le stade d’embryon pour les autres, puis en implantent deux à trois chez la femme sans analyse.

 

Les éléments de la nouvelle loi

Les changements les plus essentiels sont au nombre de trois : légalisation du DPI, augmentation du nombre d’ovules que l’on peut développer jusqu’au stade d’embryons et congélation d’embryons.

1) Légalisation du DPI : analyser les embryons avant implantation permet de détecter la prédisposition à une maladie génétique et/ou choisir ceux ayant le moins de risques de résulter en une fausse couche. Il faut noter que la loi permettrait non seulement une analyse du patrimoine génétique mais aussi une analyse chromosomique.[4] Ce second type d’analyse vise principalement à accroître le taux de réussite des FIV, alors que le premier a pour but de préserver la santé du futur enfant.

2) Permission d’amener au stade d’embryons douze ovules imprégnés : et non plus trois (qui étaient directement implantés chez la femme, sans analyse).

3) Permission de congeler des embryons : cette technique permettrait d’implanter un seul embryon à la fois (au lieu de deux ou trois), en gardant les autres congelés.

En bref, il serait désormais possible d’amener à maturation douze embryons, de les analyser par DPI, puis de les congeler afin d’en implanter un à la fois, ce qui évite les grossesses multiples (un risque découlant de l’implantation de deux ou trois embryons, qui ne survivent normalement pas tous).

Quelques autres changements sont à noter. Premièrement, la nouvelle loi approfondirait l’obligation pour le médecin de bien informer le couple, en introduisant un nouvel article à cet effet (art. 6a). Ensuite, elle permettrait de conserver des gamètes et des embryons dix ans, au lieu de cinq ans seulement. Enfin, elle légaliserait l’utilisation de sperme d’un donneur décédé (mais pas du père légal), ce qui permettrait à un couple de refaire un enfant avec le même père biologique, malgré le décès de ce dernier.

 

Les éléments qui ne changent pas

La loi proposée ne touche pas aux conditions générales de la PMA : celle-ci doit toujours satisfaire soit à une exigence de « remédier à la stérilité d’un couple et les autres traitements ont échoué ou sont vains; »[5] ou être incontournable car « le risque de transmission d’une maladie grave aux descendants ne peut être écarté d’une autre manière »[6].

Elle conserve l’interdiction du don d’ovules, celle du don d’embryons, et enfin celle de la maternité de substitution (« mères porteuses »).

Les règles qui régissent la conservation des ovules imprégnés et gamètes (spermatozoïdes ou ovules), sauf en ce qui concerne la durée ainsi que les dispositions pénales en cas de violation de certaines obligations, ne changent pas non plus.

 

Au-delà du débat politique : la question éthique

Nous pouvons distinguer deux types d’arguments. Il y a d’un côté les arguments qui portent sur le projet, c’est-à-dire en faveur ou en défaveur de la modification de la LPMA proposée, et d’un autre les arguments pour ou contre le principe, c’est-à-dire en faveur ou en défaveur des pratiques autorisées par la LPMA (DPI, tests chromosomiques, congélation d’embryons). Intéressons-nous aux aspects plus abstraits et éthiques de la procréation médicalement assistée ; voici quelques-uns des arguments les plus cités.

 

Arguments sur le principe:

Pour:

  • Pour le bien de l’enfant : le DPI permettrait à des couples porteurs de maladie génétique diminuer fortement le risque de transmettre cette maladie à leurs enfants.
  • Éviter l’avortement : le DPI permettrait d’éviter de nombreux avortements. En ce sens, il éviterait de nombreuses souffrances physiques et émotionnelles au couple. Toutefois, notons que cet argument ne convaincra pas les opposants de principe à l’avortement, qui sont le plus souvent aussi opposés au DPI, considéré comme un « meurtre » d’embryon.
  • Combler le retard de la Suisse et réglementer le fait accompli : alors que le diagnostic préimplantatoire est une pratique déjà bien enracinée dans la majorité des pays européens (et ce depuis une vingtaine d’années), la Suisse continue de l’interdire. Cela la conduit à stagner au second plan. Par ailleurs, l’autorisation de cette pratique ne serait qu’une réglementation du fait accompli, vu le nombre de couples suisses qui se rendent déjà à l’étranger pour y avoir recours. De plus, une procédure suivie en Suisse pourrait être une sécurité supplémentaire pour la famille, en cas de problème de santé futur de la mère ou de l’enfant lié à la pratique du DPI.
  • Réduire l’inégalité entre couples : cet argument est lié à celui sur la réglementation du fait accompli. Le DPI est, à l’heure actuelle, uniquement accessible pour les couples ayant les moyens de se rendre à l’étranger : une légalisation constituerait un moyen de rétablir une plus grande égalité quant à l’accès de ces pratiques.

 

Contre:

  • Les risques de dérives eugénistes : c’est l’argument le plus souvent cité. Tout d’abord, selon les opposants au DPI, sélectionner des embryons reviendrait à détruire des vies humaines (ou des vies humains « en devenir ») pour sélectionner les « meilleurs ». Le DPI reviendrait donc à de l’eugénisme[1]. Ensuite, les opposants mettent en avant la définition trop vague de « maladie grave » dans la loi, qui pourrait conduire à des surinterprétations pour éliminer des enfants « indésirables ». Par ailleurs, l’analyse des chromosomes, qui vise à diminuer les risques de fausse couche, pourrait elle aussi être instrumentalisée pour obtenir certaines caractéristiques chez l’enfant. La légalisation du DPI pourrait mener petit à petit vers des dérives sociétales graves, en encourageant la recherche de l’enfant « parfait ».
  • Argument de l’adoption : les couples inféconds ou porteurs de maladies génétiques peuvent avoir des enfants en adoptant ; ils ne sont pas donc obligés d’avoir recours à la FIV pour être parents.
  • Menace pour la santé des enfants : le DPI « génétique » et les tests chromosomiques donneraient vie à des enfants plus fragiles et en moins bonne santé, selon certaines études. La congélation d’embryons, elle, a des effets néfastes connus (taux de grossesse réduit) et pourrait avoir des effets encore inconnus sur la santé des enfants. Il vaudrait peut-être mieux de ne pas prendre de risques pour la santé des enfants et renoncer à ces techniques.
  • Le risque de déséquilibre du patrimoine génétique humain : en éliminant systématiquement certains caractéristiques génétiques, le DPI pourrait faire disparaître certaines variations génétiques nécessaires à l’espèce humaine, ou du moins déséquilibrer le patrimoine génétique de l’humanité.

 

Arguments sur le projet:

Pour:

  • Respecter la volonté du peuple : on ne se prononce pas sur le DPI, mais sur son application ; le principe a été accepté par le peuple en votation l’année passée.

 

Contre:

  • Le nombre d’embryons trop élevés : au lieu de huit embryons comme les autorités proposaient dans le projet initial[8], il sera finalement possible d’en développer douze. Avoir moins d’embryons signifie laisser encore une place au hasard ; les multiplier signifie augmenter les possibilités de sélection au-delà du raisonnable. La loi risque d’être encore assouplie avec le temps, ce qui amènerait à traiter les embryons plus comme des objets jetables que comme des êtres humains en devenir.
  • La sélection chromosomique : le projet initial du Conseil fédéral (2013) permettait uniquement le DPI pour éviter des maladies génétiques à l’enfant, et interdisait la sélection chromosomique d’embryons, qui vise à éviter les fausses couches. Cette sélection serait aujourd’hui autorisée, ce qui étendrait de manière trop vaste le champ du DPI, rendu disponible aussi pour les couples non porteurs de maladie génétique.
  • Le problème du sperme d’un donneur décédé : la modification de la loi permettrait d’utiliser du sperme d’un donneur décédé; cela transcende une des lois actuelles de l’espèce humaine, d’après laquelle il faut être vivant pour enfanter.

 

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