Interview de Marie-Laure, aumônier de rue

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Aux pessimistes et autres déprimés de la société, à ceux qui ne croient plus en une vie plus juste et qui n’osent plus ouvrir le journal par peur de lire une nouvelle atrocité, gardez un peu d’espoir. Tout n’est pas si noir ! Face à l’individualisme grandissant de nos sociétés, il subsiste des personnes qui font de leur envie d’aider leur métier : les aumôniers. Pour beaucoup, l’évocation de ce terme engendre peut-être une réaction négative, particulièrement dans un contexte où la pratique religieuse se fait plus discrète[i]. Disciples de l’impiété, stop aux préjugés. Marie-Laure a beaucoup à vous révéler sur son métier d’aumônier de rue et, notamment, sur son contact hebdomadaire avec les migrants.

Justine Daverio : Pourrais-tu, en quelques phrases, te présenter, expliquer ton parcours de vie et tes motivations à devenir aumônier ?

Marie-Laure : Je m’appelle Marie-Laure et je suis aumônier pour l’Église catholique dans le canton de Vaud dans le département Solidarités. Je suis née en Valais, dans un petit village de montagne. J’avais choisi la voie de l’école de commerce et le hasard de la vie a fait que j’ai pu effectuer mon stage de maturité professionnelle commerciale dans un foyer pour requérants d’asile durant un an lorsque j’avais 19 ans. Après quelques années de travail dans l’hôtellerie et quelques voyages à but humanitaire, j’ai étudié la théologie à l’université de Fribourg où je me suis particulièrement intéressée aux Pères de l’Église, sous l’aspect social. Depuis 2010, je suis aumônier pour le département Solidarités. Depuis très jeune j’ai cette envie d’aller vers l’autre et d’aider. Lorsque je rencontre une personne, quelle qu’elle soit, j’essaie toujours d’avoir de manière consciente à l’esprit que « le premier venu est plus grand que moi » (Christian Bobin).

J.D : Pourrais-tu décrire en quoi consiste le métier d’aumônier de rue et plus précisément ce que tu fais ?

M-L. : Mon travail d’aumônerie sociale sur la Riviera consiste en plusieurs lieux de présence. Il y a la permanence accueil. Dans ce projet, nous sommes en lien avec Caritas : deux fois par semaine, nous offrons un lieu d’accueil, notre amitié, café et chaleur humaine à des personnes de tous milieux. Nous avons une équipe de bénévoles, une assistante sociale de Caritas et j’y suis également présente avec un abbé pour une présence plus basée sur l’écoute, plus spirituelle. Je peux également y distribuer des bons pour dormir au Hublot, le centre d’accueil de nuit pour les personnes sans domicile. Sur toute l’année 2015, nous avons accueilli un total d’environ 1700 personnes et l’assistante sociale de Caritas et moi-même avons eu environ 600 entretiens individuels.

Ensuite, nous avons les dimanches solidaires à Villeneuve. Nous organisons un repas les dimanches à midi, environ toutes les six semaines. Il y a un bon mélange de gens de la région et de migrants.

Nous sommes aussi présents aux distributions alimentaires à Clarens et Vevey où nous proposons soutien et écoute aux personnes qui attendent pour bénéficier d’une aide alimentaire. Nous trouvons important d’organiser également des cours de français (six par semaine) donnés par des bénévoles.

Nous avons un autre projet qui nous tient beaucoup à cœur : Le projet parrainage de migrants. Dans tout le canton, nous avons commencé à lancer un appel aux paroissiens et à la population civile afin d’agrandir le réseau d’aide aux migrants. Ainsi, une personne peut aider, à sa manière, un migrant dans son parcours d’intégration (offrir le temps d’un café, d’un repas, de la conversation en français, conseils ou même une aide administrative).

Je suis également présente au CEP (ndlr : centre d’enregistrement et de procédure, connu sous le nom de centre de requérants d’asile) de Vallorbe un jour par semaine. Nous avons un petit local d’aumônerie au cœur du lieu de vie du CEP. Nous sommes une équipe de quatre aumôniers (deux catholiques, deux protestants). Nos journées sont rythmées par les rencontres avec les requérants, par l’écoute et la présence bienveillante. Nous avons aussi un grand travail d’information et d’orientation à faire, car les personnes qui arrivent en Suisse ont beaucoup de question sur la vie en Suisse, la procédure d’asile etc.

J.D : Sur la migration plus précisément, y es-tu confrontée dans ton travail et si oui, dans quelle mesure ?

M-L : Je suis en contact avec des migrants quotidiennement. Certains sont issus de l’espace Schengen (Espagne, Italie, Portugal, Roumanie etc.) et tentent de trouver du travail en Suisse. Cette population est particulièrement précarisée si elle n’a aucune famille ni soutien en Suisse. Beaucoup de ces personnes se logent dans les structures d’urgence de nuit, dont celle de Vevey, le Hublot. Dans nos structures nous rencontrons aussi beaucoup de requérants d’asile, de déboutés et des sans-papiers. Je ne peux pas dire qu’il y a une nationalité qui prédomine dans les personnes que j’accompagne. Elles viennent d’un peu partout, même s’il y a plus de personnes d’Afghanistan, de Syrie, d’Irak, ou d’Erythrée.

J.D : As-tu ressenti ces derniers mois une différence dans l’exercice de ton métier (notamment dans le centre de requérants d’asile mais également en général) liée à la guerre en Syrie et aux réfugiés ?

M-L : Il est certain que depuis quelques mois, il y a encore plus de demandes qu’avant et les aumôneries et permanences sont très sollicitées. C’est ainsi que l’idée a germé de lancer le projet parrainage, car nous avons besoin d’aide pour accompagner ces personnes et les aider dans leur parcours d’intégration. Nous souhaitons vraiment agrandir toujours plus le réseau. Je ne sens pas seulement le souci de la crise des réfugiés, mais aussi l’augmentation constante des personnes qui vivent dans la précarité en tout genre, et pas seulement chez les migrants.

J.D : Quel regard portes-tu sur cette thématique si polémique et actuelle en Suisse qu’est la migration ?

M-L : La question de la migration est vraiment complexe et extrêmement difficile à gérer. Je pense tout de même que la Suisse fait son possible, même si aucun système n’est parfait. Je peux simplement dire pour conclure, que l’on peut faire toutes les théories possibles sur le système d’asile, être pour ou contre, mais lorsqu’on se trouve en face de ces hommes, femmes et enfants, les théories ne valent plus grand-chose.

J.D : Pourrais-tu me dire en quoi tu estimes que ton métier est important de nos jours en Suisse ?

M-L : J’ai envie de dire que je n’ai aucun talent particulier, à part celui d’essayer d’être la plus « humaine » possible et d’être un frère pour celui que je vais rencontrer. Un ami écoute, est là pour l’autre autant qu’il le peut. Nous offrons aussi nos services concrets et divers pour les personnes marginalisées, les migrants, les sans-papiers ou les sans domicile fixe, mais c’est avant tout simplement accueillir l’autre avec toute la délicatesse et le respect que je peux. Et ça, tout le monde peut le faire !

 

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