En écrivant, je n’écoute que d’une oreille la télévision : une femme accessoirisée d’une écharpe rose attire mon attention : « Je suis une fille, je vais jouer avec mon côté fille. » Elle ne fait que démontrer ce que j’allais commencer à décrire.
La société nous fait intégrer des représentations sociales différentes selon notre sexe quant aux rôles et aux identités que nous leur attribuons traditionnellement. Ce fossé entre les identités de genre se creuse depuis notre plus tendre enfance. À cet âge-là, ce sont particulièrement les jouets qui sont témoins de ce microcosme. Ils sont les alliés des bambins pour se construire, apprendre à respecter certaines règles et à partager avec leurs camarades. Ils ont néanmoins le défaut de conserver les représentations sexuées de l’ordre social et de les inculquer de génération en génération dès le plus jeune âge.
Afin de vous présenter certains des aspects les plus flagrants, je base mon développement sur de l’essai de Zegaï Mona, « La mise en scène de la différence des sexes dans les jouets et leurs espaces de commercialisation ».
Tout commence par les attributions simplistes des couleurs associées aux garçons et aux filles. On associe le plus souvent le bleu aux garçons et le rose aux filles, alors que jusqu’au XIXème siècle le rose représentait le sang et les soldats et le bleu la couleur de la Vierge Marie, tout l’inverse de nos attributions actuelles.
Promenez-vous simplement entre les rayons des magasins de jouets. Ceux-ci sont clairement séparés en deux parties : l’un destiné aux garçons et l’autre aux filles. Les étiquetages et indications sont colorés de manière à respecter ce code visuel. Vous pourrez également observer ces mêmes codes de couleur dans les catalogues et les emballages.
Alors que les cartons pour les jouets de garçons ont des silhouettes plutôt anguleuses, ceux des fillettes ont des formes arrondies. Maintenant, feuilletez ce même catalogue de joujoux ou lisez leurs emballages : le vocabulaire utilisé est tout à fait distinct.
La plupart des mots utilisés dans les pages « garçons » se limite souvent à des champs lexicaux concernant les véhicules (voiture, avion, hélicoptère) et leur description technique (turbo, vitesse, infrarouge), tandis que le lexique utilisé dans les pages « filles » se limite généralement au monde des bébés, des mamans, du ménage et de la cuisine, ainsi que l’univers du rêve, de l’apparence physique et de la mode. Certains mots se partagent les deux univers, mais ne revêtent pourtant pas le même sens. L’ « eau » par exemple, n’est pas utilisée de la même manière. Dans le monde des garçons, elle est synonyme d’aventure et de combat, alors qu’elle servira à la gestion du quotidien chez les filles.
Souvent, les publicités mentionnent le côté « vrai » de ces jouets. Ce phénomène est cinq fois plus présent chez les joujoux pour filles ; « La Barbie qui est vraiment enceinte », « la poupée avec de vrais cheveux qui changent de couleur », « cuisiner comme dans une vraie cuisine ». Vous aurez compris le principe, le quotidien stéréotypé des femmes à la maison est reproduit le plus fidèlement possible. Ce cliché est renforcé par les métiers qu’exercent les jouets pour filles, principalement liés aux enfants, au travail domestique et à la beauté. Du côté des garçons, ce sont plutôt les professions très physiques ou dangereuses qui sont mises sur le devant de la scène, telles que pilotes de ligne, soldats ou garagistes, pour n’en citer que trois.
Ceux-ci ne participent quasiment jamais aux tâches de tous les jours, renforçant l’idée de Nicole Maruani (1989)[1] : « Les femmes ont un emploi alors que les hommes ont un métier. » Les petites filles seront contraintes à suivre ce modèle, qu’elles peuvent – de moins en moins de nos jours – observer également dans leurs propres foyers. Même leurs jeux leur indiquent de faire « comme maman ». Cette imitation de maman est un enseignement qui commence très tôt, mais qui sera interprété comme un « miracle biologique que cette fillette ait, si jeune, l’instinct maternel », alors qu’en réalité, elle ne fait que suivre le seul et unique modèle que l’on lui offre, celui de maman.
Les figurines n’illustrent respectivement pour chaque genre que des métiers ultra-féminisés ou ultra-masculinisés, augmentant les inégalités en ne représentant que des professions communément sexuellement différenciées.
Les cadres dans lesquels évoluent la mise en scène des jouets – que ce soit dans les publicités, dans les catalogues ou sur leur emballage – ou leur fonction précisent la définition des activités masculines et féminines. Tandis que les femmes restent au foyer dans leur petit univers et entourées de leur maison parfaitement rangée et de leur bébé – propre et silencieux – les figurines masculines évoluent dans des milieux beaucoup plus ouverts sur le monde et sont souvent de vrais aventuriers. Ces deux environnement renforcent le stéréotype de la « femme à la cuisine » et l’ « homme au travail ».
Tout comme le monde du travail, l’univers des jouets masculins met l’accent sur la compétition, que les personnages soient des guerriers, des aventuriers ou des héros, le but reste le même : gagner et être le meilleur. L’identité du garçonnet repose donc sur ses capacités à « vaincre le gigantesque dragon ». Inversement, les personnages avec lesquels jouent les petites filles ne sont principalement que des femmes, contre une petite minorité d’hommes – et ceux-là ne sont généralement pas très virils (désolée Ken), qui se soutiennent les unes et les autres et s’aiment – entre mère et enfant, femme et mari, deux amies. Elles n’envisagent jamais le danger ou la moindre difficulté, « tout va pour le mieux dans le meilleur du monde » comme disait Pangloss, le personnage dans Candide de Voltaire. On enseignera de ce fait aux fillettes à anticiper et à favoriser le monde du pratique avec « La poussette avec une couverture intégrée pour mieux protéger du froid ton poupon », comme si elles portaient déjà celui-ci et sa responsabilité dans leurs gènes.
Ces relations compétitives et coopératives se font ressentir dans les communications entre les enfants. Les filles et leurs jeux « parlent, disent, appellent, bavardent, demandent et crient plus rarement ». Les personnages garçons qui s’expriment ne font généralement que grogner et hurler, ils sont en effet moins axés sur la communication. C’est aussi dû aux différentes formes que prennent les figurines ; évidemment, une poupée parlera, tandis qu’un dinosaure ne peut faire que grogner.
Le sujet de la représentation du genre à travers les jouets a été traité par de nombreux professionnels avant moi, je n’ai rien pu inventer. Mais désormais, nous pouvons observer ce phénomène d’un œil nouveau.
Une conscience générale s’est créée, aussi concernant le monde des enfants et des traditions sexistes que l’on leur inculque. Les adultes essaient donc de rattraper le tir en changeant ces traditions accumulée au fil du temps. La publicité Always – comme une fille[2] par exemple témoigne de la philosophie des fillettes actuelles, bien différentes de celles des générations précédentes.
De plus en plus de livres ou de films pour enfants sont non genrés, afin de laisser chacun évoluer en mettant entre parenthèse ces stéréotypes. Un mouvement inverse est en train de voir peu à peu le jour : Disney aurait annoncé un nouveau conte de fées avec comme protagoniste principal… Le prince charmant[3] ! Quelle princesse le sauvera donc ?
Les constructeurs de jouets aussi s’y mettent, alors que l’homme endosse généralement la responsabilité du travail et la femme à la maison, Lego propose désormais une figurine « papa hipster au foyer »[4], défiant tous les clichés.
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