Diviser pour mieux régner : la Ville de Genève veut démanteler L’Usine

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« Une atteinte à la culture », voilà ce que ressentent les fervents partisans de L’Usine à Genève, lieu multiculturel abritant une variété d’espaces et de domaines artistiques allant d’ateliers de graphisme jusqu’aux salles de concert. En effet, depuis plusieurs mois déjà, L’Usine de Genève mène un combat sans relâche avec la Ville de Genève afin de garder son unité, une des valeurs qu’elle prône. Pour être plus précis sur la genèse de ce conflit entre Monsieur Maudet, membre du Conseil d’Etat s’occupant du Département de la sécurité et de l’économie et les représentants de L’Usine, il faut souligner qu’il dure depuis plusieurs années déjà. Puis, récemment, ce magistrat avait menacé L’Usine de fermeture. Acharnement personnel ou réel problème administratif ? La réponse des partisans de L’Usine pencherait du côté de la vendetta de la part de Pierre Maudet auquel ils reprochent un certain « mépris »[i] à leur égard.

Nul ne sera surpris que lorsqu’une décision administrative du Service du commerce visant à exiger des autorisations administratives distinctes d’exploitation pour les cinq salles de L’Usine, ce centre culturel refusa le démantèlement. Cette exigence se révéla être à l’encontre de leurs idéaux.  En effet, pour ce lieu autogéré, il n’était pas envisageable de devoir se soumettre à séparer ses demandes d’exploitations des cinq buvettes la constituant, d’autant plus que pendant plus de vingt ans, ce fonctionnement ne posait aucun problème.

Cette exigence du Service du commerce a certes un fondement : suite à la réunion d’une loi qui réglementait l’organisation de spectacles et de divertissements ainsi qu’une loi sur le débit de boissons, une nouvelle loi va émerger regroupant les anciennes règles[ii] début 2016.  Cette modification témoigne de la nécessité du Canton de Genève d’acquérir une main mise toujours plus forte sur les lieux revendiquant leur autogérance, comme le fait L’Usine. Cependant, les valeurs de solidarité et de partage qui sont les siennes lui ont permis de s’engager dans une bataille à l’égard des exigences presque dérisoires et peu pertinentes que la Ville de Genève cherche à lui imposer.

Le 17 avril 2015, un accord semblait émerger entre Madame Torracinta, membre au Conseil d’État et responsable entre autres du Département de la culture, Monsieur Maudet et les représentants de L’Usine. Ce centre culturel consentait de déposer cinq demandes d’autorisation lorsque le changement de loi arriverait. Mais, d’ici là, les magistrats devaient également se plier à quelques exigences. Elles étaient entre autres de dégeler les dons de la Loterie romande qu’ils avaient préalablement bloqués et délivrer une autorisation passagère d’exploitation unique à L’Usine[iii]. Début octobre, ne voyant pas le rétablissement des donations de la Loterie romande ainsi que la non-exécution de points issus de l’accord avec les magistrats, L’Usine ne capitula pas et entra en grève. Depuis, ce lieu a repris son activité tout en persistant à se battre afin d’obtenir la reconnaissance étatique de sa structure particulière.

Pierre, un étudiant en sciences politiques à l’université de Lausanne, était présent à cette manifestation et nous confie sa vision de ce centre : « L’Usine est un lieu de partage, un endroit alternatif avec une mentalité propre. Tout le monde y est accepté et a sa place, contrairement à beaucoup de lieux à Genève. Elle est aussi une multitude d’offres culturelles. Elle ne doit pas fermer ! », nous dit-il. Ces propos sont le reflet d’un engagement au nom de la musique, de la culture, « un engagement pour un état d’esprit », ajoute-t-il. Cette différence est probablement ce que la Ville de Genève craint. Pourtant, ce côté alternatif fait de L’Usine un lieu d’une grande richesse culturelle qui ne mérite pas de fermer ses portes à cause de spécificités qui la font sortir des nouvelles cases administratives.

Car oui, L’Usine est avant tout un centre artistique existant depuis plusieurs années qui réunit un grand nombre d’amoureux des arts avec un grand « A » avant d’être un lieu gérant d’une manière « non-conforme » ses buvettes. Clément, un étudiant en sciences politiques à Genève, fait partie de ce public. Il se rend à L’Usine de manière régulière afin de profiter de son offre musicale et soutient donc cette dernière. « La musique est quelque chose d’infini et qui change au fil du temps. Elle se réinvente constamment. Nous vivons tout au long de notre vie avec la musique, qu’on le veuille ou non. L’Usine m’offre la possibilité d’assister à des performances musicales, artistiques et c’est un des seuls lieux qui offrent autant en une entité. J’y tiens énormément », nous dit-il. Il est vrai que L’Usine a acquis au fil des années une importance majeure dans le monde musical. Ce lieu accueille régulièrement des artistes d’une renommée indéniable (comme le Wu-Tang clan ou Gramatik) mais, joue également un rôle de tremplin pour des artistes cherchant à se faire connaître. Elle offre par exemple la possibilité à de jeunes musiciens d’organiser des soirées dans le bar de la Makhno ou de performer sur une de ses scènes. La musique alternative trouve ici une voie d’expression : à l’inverse de beaucoup de lieux genevois promouvant la commercialité, L’Usine permet à une culture décalée de trouver ses marques dans une société qui tend à l’homogénéisation. Il n’est pas si étrange que ce que la Ville de Genève reproche à ce centre artistique est son autogérance et sa non-conformité.

Que cela soit pour le cinéma Spoutnik ou pour la salle de concerts le Zoo, la manifestation du 2 octobre montre l’engagement derrière L’Usine. Tous se sont regroupés pour dire « non » aux abus de pouvoir et aux décisions injustes. Il n’est pas si surprenant qu’un des plus grands centres culturels autogérés d’Europe[iv] peine à se faire accepter dans une ville prétendument si cadrée qu’est celle de Genève. Cependant, pourquoi s’acharner sur un lieu d’une telle richesse pour de si maigres raisons ? C’est, à mon avis, une question que les adeptes de L’Usine ont en tête lorsqu’ils refusent de capituler et qu’ils continuent à s’engager solidairement au nom de la musique, des arts et de la culture.

 

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