Ancien captif d’Al-Qaïda, Theo Padnos raconte son histoire

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Après s’être rendu comme reporter free-lance en Syrie, Theo Padnos a été kidnappé en octobre 2012 par le Jabhat al-Nosra, une branche armée d’Al-Qaïda. Il est resté captif jusqu’en août 2014. En mars dernier, il a été l’un des nombreux intervenants qui ont afflué du monde entier pour prendre part au Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH).

« Je ne vais pas pouvoir aller faire un tour avec le vélo que j’ai loué cet après-midi, je suis trop occupé », rit Theo Padnos. Difficile d’imaginer, lorsqu’on rencontre cet Américain de 46 ans à l’allure insouciante, les épreuves qu’il a pu endurer au cours des dernières années. Son visage encadré de boucles grisonnantes, détendu et souriant, s’assombrit parfois à l’évocation de souvenirs pénibles. Raconter son histoire n’est pas affaire aisée, mais c’est avec une sincérité et une intensité troublantes qu’il nous fait part de ses expériences.

Sa maîtrise de l’arabe et sa connaissance de la culture locale lui ont permis de s’introduire en Syrie au début de la révolution, en 2011. Il a passé la frontière avec un visa de touriste et s’est rendu à Damas dans le but de rédiger des articles sur les événements en cours. « Autour de la ville, il régnait un chaos total, c’était la guerre, explique Theo. Dans les quartiers au centre, on sentait la peur dans le silence. La tension était palpable. »

En octobre 2012, il est pris en otage par le Jabhat al-Nosra. « Au début je ne me rendais pas compte de ce qui était en train de m’arriver, témoigne-t-il. Je n’arrivais pas à croire que j’étais chez Al-Qaïda. » Chaque jour, il pensait sa dernière heure venue, davantage encore pendant des séances de torture visant à lui faire avouer son appartenance à la CIA. « On était fouetté si on parlait avec d’autres prisonniers, se remémore le journaliste. Parfois, quand ils me tabassaient, j’avais l’impression qu’ils me matraquaient avec des couteaux. » A deux reprises Theo est parvenu à s’échapper, sans qu’aucune de ses tentatives n’aboutisse. La première fois, le journaliste a réussi à se défaire de la menotte qui le liait à son gardien endormi, puis à se faire prendre en stop par un camion qui l’a emmené jusqu’à l’Armée libre syrienne. Celle-ci l’a conduit au tribunal, mais le juge qui s’est occupé de son cas l’a livré à al-Nosra. Passé à tabac, cela ne l’a pas empêché de récidiver. La seconde évasion s’est achevée dans un hôpital dont le gérant était sympathisant de la cause des terroristes. Désespoir et colère, deux sentiments qui atteignent leur paroxysme après l’exécution de James Foley, mise à mort que ses ravisseurs lui font visionner avec une jubilation malsaine. Ce n’est que deux jours après cet événement tragique que Theo Padnos est remis à une délégation américaine à la frontière israélienne et conduit à Tel-Aviv pour quelques temps. Les raisons de cette remise en liberté restent floues : il est probable qu’un gouvernement ait payé la rançon. Theo pense avoir une idée sur la question mais ne souhaite pas s’étendre à ce sujet. « Après ma libération, je n’ai pas dormi pendant trois jours, raconte-t-il, le sourire aux lèvres. Je suis allé me promener sur la plage, dans les rues, c’était incroyable. »

Il ressort de cette expérience extrême plus reconnaissant des privilèges qu’il possède : « Je peux voyager, travailler, j’ai des amis, j’ai ma santé. Je n’ai jamais été aussi heureux dans ma vie. » Cette séquestration laisse des traces – comment pourrait-il en être autrement ? Theo répond pourtant : « J’aime bien être marqué, c’est mon but. Je suis à la recherche de ce qui me marque pour pouvoir exprimer mes expériences sur le papier. »

Intervenant au FIFDH lors du débat sur la propagande djihadiste du 4 mars dernier, il est à même de commenter le sujet. « Dans le désert il y a le danger, la prière, tes amis autour de toi, explique Theo Padnos. Tu es bercé dans les bras de ta communauté. Et puis ceux qui s’occupent de la propagande djihadiste savent parler aux âmes des jeunes, répondre aux désirs d’un jeune musulman. » Ses ravisseurs ont à de multiples reprises tenté de le convertir à l’islam. Theo s’y est toujours refusé, par peur qu’ils saisissent l’occasion de le torturer ou de le condamner à mort s’il ne suivait pas à la lettre la conduite d’un bon musulman. Mais cela ne l’empêche pas de rester très respectueux de l’islam et il ne fait pas d’amalgames : « L’islam, c’est comme un océan, commence-t-il. Tu trouves un tas de poissons là-dedans : il y en a qui fument, il y en a qui boivent, il y en a qui sont stricts : au sein même d’Al-Qaïda il y a différentes conceptions de la religion. »

Le journaliste est resté en contact avec des gens en Syrie afin de pouvoir continuer à se tenir au courant et comprendre ce qui se passe sur le terrain. Il envisage de publier un récit qui expliquerait les événements en cours en Syrie et en Irak. « Qu’est-ce que ça veut dire quand toute une société est emportée par la violence ? » interroge Theo. Son but : mettre ce processus sur la page.

Après un silence pensif, c’est avec une spontanéité toute naturelle que Theo change de sujet : « Est-ce que tu fais du jogging ? Le Yémen est mon terrain d’entraînement préféré parce qu’il y a du dénivelé. Le mieux c’est d’aller un peu en dehors des villes. Mais tu peux te faire kidnapper après », rit-il.

Des plans pour le futur ? « Je vais rester à Paris pour l’instant, déclare Theo. Mais j’aimerais apprendre l’italien, alors il se pourrait bien que j’aille à Rome. » Un sourire aux lèvres, il ajoute : « Inch Allah. »

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