Les médias, information ou intoxication?

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Nous sommes en permanence bombardés d’information, que ce soit par le biais de la presse écrite, de la télévision, de la radio ou d’Internet. Dans ce monde de la communication, il importe de savoir trier ce flux toujours croissant d’information qui nous parvient continuellement. Car les médias sont loin d’être des modèles d’objectivité, et c’est en connaissance de cause que nous devrions les consulter.

Prenons l’exemple de la grève des fonctionnaires dont les rues de Genève ont été le théâtre du 9 au 12 novembre derniers. « Face à la rue, les députés restent de marbre », clamaient les manchettes de la Tribune de Genève du jeudi 12 novembre. Certes, il est compréhensible que l’attitude du Conseil d’Etat soit celle de ne pas paraître trop affecté par les manifestations, afin d’éviter à tout prix que les grévistes s’en trouvent encouragés. Mais de là à affirmer que la grève ne fait ni chaud ni froid aux politiciens, il y a de la marge. L’information donnée par ce titre de manchette ne pouvant être vérifiée, à quoi sert-elle ? Elle ne se base sur rien de concret, uniquement sur les apparences. D’ailleurs, une déclaration faite par Anja Wyden Guelpa et François Longchamp au nom du Conseil d’Etat le 9 novembre semble aller dans le sens contraire : « Notre Conseil s’est fixé un objectif de réduction des dépenses d’un montant correspondant à 5% de la masse salariale en trois ans. Si l’objectif est défini, le Conseil d’État demeure largement ouvert à l’examen de toutes les pistes envisageables. […] Nous renouvelons notre appel au dialogue et […] sommes sensibles aux inquiétudes suscitées par l’annonce de mesures d’économies, d’autant plus que des efforts ont déjà été accomplis auparavant. Notre Conseil s’engage à créer les conditions pour que le débat puisse avoir lieu dans un climat constructif. Il […] rencontrera ces prochains jours l’ensemble des partis afin de rechercher des convergences. »[1]

Revenons à la manchette en elle-même. En invoquant l’image du marbre, elle imprime l’idée que le Conseil d’Etat est inébranlable, et il est aisé d’en déduire que la grève ne sert à rien, que toute cette agitation est inutile et que les manifestants sont ridicules de s’entêter. Mais ceci représente l’opinion du journaliste, non pas un fait avéré, et il est étonnant que ce genre de titre puisse être affiché à travers toute la ville. On tente de transmettre un état d’esprit, une façon de considérer un événement donné – dans le cas présent, la grève – à un maximum de personnes. D’aucuns pourraient qualifier cette démarche de propagande.

D’une manière plus générale, un lecteur averti devrait avoir à l’esprit la ligne éditoriale de chaque média lorsqu’il les consulte. Dans le cas de la Tribune de Genève, il faudrait par exemple prendre en compte le fait qu’elle « revendique un attachement au parti démocratique (ancêtre du parti libéral), tout en gardant sa liberté politique »[2].

Le manque d’objectivité n’est pas le monopole des journaux : l’émission économique de la RTS Toutes Taxes Comprises (TTC) du 9 novembre dernier, intitulée « Les profs, des enfants gâtés ? », remporterait la palme dans ce domaine[3]. Tout d’abord, elle ne traite que des enseignants du cycle élémentaire (enfants de 4 à 8 ans). Pourquoi laisser les professeurs du cycle d’orientation, du collège ou de l’université de côté ? Eux-aussi font la grève. De plus, l’émission alterne des scènes d’interview de deux professeurs, l’un Genevois et l’autre Neuchâteloise, avec des extraits d’un sketch des humoristes de 120 Secondes, diminuant ainsi grandement la crédibilité des interventions des deux enseignants. La conclusion, quant à elle, est sans équivoque : on concède le fait que les conditions de travail sont, à Neuchâtel comme à Genève, médiocres, bien que le sujet n’ait que très brièvement été abordé lors de l’émission. En ce qui concerne le salaire, on oppose le bas revenu des enseignants neuchâtelois à celui des genevois. Ce qui ressort des interviews est que les enseignants neuchâtelois devraient être augmentés, mais les extraits tirés de 120 Secondes sous-entendent clairement que les Genevois sont beaucoup trop payés pour ce qu’ils font. Enfin, la séquence se termine sur une note de comportement, qualifiant les enseignants genevois de « particulièrement turbulents ».

Il semblerait que l’émission n’ait pas pour but d’informer les gens, mais de les conforter dans ce qu’ils pensent déjà. Pour la grande majorité des Genevois, les enseignants de l’école enfantine sont très bien lotis, voire même trop : ils jouissent par exemple de vacances excessivement longues et de salaires exorbitants. L’émission TTC n’a pas cherché à aller à l’encontre de cette conception superficielle du métier d’enseignant, au contraire, ce qui explique le choix des thèmes abordés au cours de la séquence : les horaires des professeurs, leur salaire et leurs vacances, mais pas vraiment les raisons qui les poussent à faire grève, celles-ci n’étant que très brièvement mentionnées entre deux extraits de 120 Secondes. On peut se questionner sur l’utilité de ce genre d’émission, qui ne donne d’autres informations que celles que les gens veulent entendre.

Quand on se rend compte du but visé par ce programme, on comprend mieux pourquoi il n’est pas mentionné, par exemple, que le métier d’enseignant figure parmi les professions les plus touchées par les dépressions[4], ni « qu’un tiers des enseignants suisses sont proches du burnout »[5] : seules certaines informations sont mises en avant.

Cette émission présente un manque flagrant d’objectivité, tant dans le choix de restreindre le sujet des enseignants à ceux de l’école enfantine que dans le choix des thématiques abordées et dans le montage, un sketch humoriste n’ayant rien à faire dans un programme télévisé censé informer les gens.

Ces deux exemples isolés sont sans aucun doute révélateurs d’une tendance plus généralisée adoptée par les médias. On dit aux gens ce qu’ils veulent entendre ou on leur suggère une façon de penser : en clair, on fournit une information prémâchée et toute prête à être assimilée. Le but de cet article n’est pas de décrier l’ensemble des médias, mais d’inciter à prendre du recul face à l’information qui nous parvient et de garder, dans la mesure du possible, une certaine autonomie de pensée et un minimum d’esprit critique.

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