La prostitution : un consensus utopique ?

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En adoptant une ligne de conduite sur le travail du sexe, Amnesty International s’attire autant les foudres que les roses des associations féministes et même des stars hollywoodiennes. L’organisation mondiale pour les droits humains plaide pour la dépénalisation de la prostitution. Elle espère ainsi favoriser une meilleure protection des travailleurs et travailleuses du sexe. Petit éclaircissement sur cette polémique par Stéphanie Carneiro Nunes, qui a participé en tant que déléguée jeune suisse aux discussions et à la prise de décisions à Dublin.

Après deux ans de recherches dans quatre pays et de grandes consultations, notamment auprès de travailleuses et de travailleurs du sexe, Amnesty International a abouti à une ligne de conduite sur la prostitution. Cette dernière a pour but de protéger les droits des personnes vendant leurs services sexuels en dépénalisant tous les aspects et acteurs qui y sont liés. L’organisation rejette clairement toutes formes d’exploitation, de coercition, de traite et toutes activités sexuelles liées aux enfants.

Touchant à l’ordre moral, la question de la prostitution ne cesse de faire couler de l’encre dans les débats entre les féministes que l’on qualifie d’une part d’abolitionnistes et d’autre part de règlementaristes. Alors que les premières considèrent que la prostitution est per se une violation des droits humains et requièrent son abolition totale, les deuxièmes accordent plus volontiers une part active aux personnes vendant leurs services et pensent qu’il est préférable de ne pas interdire ces activités, mais de les règlementer.

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Près de 400 délégué-e-s se sont réunis à Dublin pour le Conseil International, la plus haute instance de décision d’Amnesty International. Crédits : Florian Zeidler

Au sein même du mouvement d’Amnesty International, des désaccords se sont fait entendre durant le processus et la prise de décision. Au point qu’on pouvait se demander si un consensus dans ce mouvement mondial était utopique. Cependant, il n’est pas inutile de savoir que lorsque l’Allemagne a adopté un système dépénalisant la prostitution, et la Suède un système pénalisant les clients, les associations féministes des deux pays respectifs étaient généralement très satisfaites de ces décisions. Cet exemple tend à montrer qu’il y a des valeurs et un but commun : la protection des droits humains, mais que ce sont les méthodes pour y arriver qui varient. Alors pourquoi défendre la dépénalisation de tous les aspects de la prostitution ?

Les travailleur-euse-s du sexe étant des personnes stigmatisées et particulièrement vulnérables quant au respect de leurs droits, il est important de les écouter et de leur garantir la meilleure protection. En interdisant totalement, partiellement ou indirectement la prostitution, on augmente non seulement les risques d’arrestations arbitraires, de clandestinité ou de violences physiques et psychiques, mais aussi le nombre de situations absurdes. En effet, le fait qu’une personne ait des préservatifs sur soi peut ainsi devenir une preuve de la pratique de prostitution, ce qui pousse à ne pas se protéger. De la même façon qu’un enfant majeur d’une travailleuse du sexe peut être considéré comme un proxénète si elle subvient à ses besoins. Ou encore, un travailleur du sexe peut se retrouver dans des lieux problématiques pour sa sécurité lorsque les client-e-s sont pénalisé-e-s, etc.

De nombreuses personnes entrant dans le travail du sexe à cause d’une certaine marginalisation et à des choix limités, Amnesty International exhorte les États d’assurer les droits économiques, sociaux et culturels de chacun-e. Dans ce sens, l’entrée dans la prostitution, ainsi que sa sortie, doit être consentie et être une possibilité parmi d’autres. Dans le cas contraire, les États doivent non seulement supprimer toutes lois discriminantes, mais surtout condamner la traite et offrir des voies de recours et de réparations.

Malgré les pressions externes et morales, Amnesty International a donc décidé d’adopter une réponse pragmatique face aux situations de détresse humaine. On ne peut qu’espérer que cette nouvelle ligne de conduite fasse autant d’effets dans la pratique que dans les débats. Ou encore, que le temps permette aux différents avis de se rendre compte que l’objectif à atteindre est commun et ainsi peut-être même trouver un consensus.

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