Peut-on réellement parler d’indépendance pour la presse étudiante ?

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C’est une question qui revient souvent : a-t-on une presse indépendante ? Je ne me lancerai pas dans une démonstration vague et générale des presses du monde car même une thèse ne suffirait pas. Nous allons aborder la question au niveau universitaire. Après tout, beaucoup de journaux étudiants ou se disant proches des étudiants mettent l’indépendance comme argument de qualité, Topo en fait partie. Mais qu’est-ce que cela signifie vraiment ? Lorsqu’on se déclare indépendant, on est indépendant de qui ou de quoi ? Souvent on entend par là indépendance financière. L’indépendance intellectuelle revient également souvent. Pourtant, peut-on réellement être indépendant sur ces deux aspects ?

 

Indépendance financière et vie associative 

Le nerf de la guerre c’est l’argent ! Un journal étudiant n’y échappe pas. Qu’il soit en format numérique ou papier, il y a toujours des frais : impression, hébergeur, etc. Qui paye ces frais ? La publicité peut aider. Les journaux se disent indépendants parfois en référence à l’absence de pub sur leur support. Cependant, une absence de pub affichée ne veut pas dire que le journal ne va pas être dépendant envers un organisme de financement. On peut même se demander si une publicité clairement affichée n’est pas plus saine pour un journal qu’une subvention pas très claire. Par exemple, les dons privés qui font office de lobbying. Mais restons à notre niveau étudiant.

Dans la plupart des cas, c’est l’établissement universitaire lui-même qui, à défaut de couvrir tous les frais, paye une partie des coûts de publication. Ces fonds sont accordés sous conditions. Le plus souvent elles se résument à la promesse de faire une presse destinée aux étudiants du campus en question, tout en respectant la loi nationale concernant les modes d’expression publique. À Genève ce sont principalement les associations faîtières (de facultés) qui subventionnent les journaux écrits par les étudiants*. Si un journal se crée, il est donc probable qu’il ne soit pas général puisque chaque association faîtière s’occupe d’un nombre réduit de facultés. Ainsi se créent des journaux d’étudiants en Lettres, d’étudiants en Relations internationales et Science politique, etc. Dans les faits il y a déjà eu un journal étudiant général (Le Courant), financé par la CUAE, mais il ne publie plus depuis plusieurs années. Il faut néanmoins nuancer cette parcellisation, car les journaux facultaires actuels restent ouverts : International Ink proposait de publier sur son site les écrits des étudiants quelle que soit leur faculté, R.É.E.L s’ouvre également en accueillant des rédacteurs interfacultaires. Nous-mêmes, à Topo, nous n’exigeons pas d’être en Science politique pour être rédacteur. Malgré ces ouvertures, les journaux étudiants restent dépendants du bon vouloir de leur association faîtière. Libre à elle d’établir des conditions contre lesquelles la revue sera financée car rien dans le règlement universitaire ne précise le cas de subventions accordées à un journal étudiant.

Loin de moi de douter que ces associations laissent actuellement une grande liberté d’expression à leurs journaux. Néanmoins, les associations étudiantes constituent un milieu politique comme un autre et ce n’est pas à vous, lecteurs de Topo, qu’on va apprendre que les rapports de pouvoir existent partout. Ainsi, la presse étudiante n’est pas à l’abri des connivences interassociatives, et si actuellement les associations facultaires sont très permissives quant aux sujets traités, les journaux étudiants sont vulnérables aux changements de représentants associatifs. Il serait intéressant de réfléchir sur la création d’une association qui financerait tous les journaux étudiants de l’Unige, pour éviter tout conflit d’intérêts.

Même si actuellement le climat semble très ouvert, force est de constater qu’il y a des sujets sur lesquels il y a peu de papiers. Un thème se distingue par son absence : la vie étudiante à l’interne, les activités de politique universitaire depuis les arcanes associatifs, en bref les activités associatives. Il n’y a jamais de critique des associations étudiantes. De là, on pourrait se demander s’il n’y a pas une forme de censure ou d’autocensure des journaux dépendants des associations faîtières. Pourquoi n’y a-t-il pas de papier sur le travail des associations ? Bien sûr il ne s’agit pas d’écrire toutes les semaines des éditos au ton hagiographique ni même d’écrire des brûlots contre des associations dont les membres n’hésitent pas à s’engager parfois sans compter pour animer la vie estudiantine. Il s’agit simplement de parler de la vie sur le campus. Pourquoi n’y a-t-il pas de média étudiant qui assume son indépendance ? Qui assume son devoir « d’imprimer l’actualité et de semer la pagaille » (Chicago Times) ? À quand des journaux étudiants qui ne sont plus seulement des « groupes de travail » des associations mais de véritables acteurs de la vie étudiante ?

Seul Regard Critique, se distingue par sa ligne éditoriale centrée sur le campus. Mais encore une fois il est dépendant d’une association : la CUAÉ dont les membres y écrivent directement.

Une autre question peut être posée : s’il n’y a pas d’article (ou très peu) sur la vie étudiante, ce n’est peut-être pas à cause d’une forme d’autocensure mais cela pourrait aussi être dû à un manque de transparence. Pourtant, les associations étudiantes semblent faire des efforts. L’AESPRI – notre association  des étudiantes en science politique et relations internationales – a depuis plusieurs années ouvert ses réunions de comité aux étudiants. Du coup, n’est-ce pas plutôt un manque de bonne volonté des étudiants ? Est-ce que les étudiants ne sont tout simplement pas intéressés par la politique universitaire ? Veulent-ils seulement avoir de la bière pas chère et des t-shirts gratuits ? Ou alors est-ce nous, étudiants-rédacteurs, qui sommes trop fainéants ou inintéressés pour écrire sur le sujet ?

 

Indépendance intellectuelle : les limites de la réflexivité

Un autre aspect est souvent invoqué pour parler d’indépendance de la presse : la diversité intellectuelle, l’ouverture dans les horizons d’opinions publiées. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Peut-on avoir des quotas imposant un pourcentage représentatif de chaque bord politique ? De chaque obédience intellectuelle ? Cela semble difficile. Le plus souvent cela se concrétise par une simple ouverture de la rédaction : n’importe qui peut écrire sans que son obédience intellectuelle n’entre dans les critères de publication. Est-ce suffisant pour se dire pluriel ? Dans les faits, on remarque – pour ne parler que de Topo – qu’il y aurait une sorte d’autosélection des étudiants. Par exemple, à Topo, beaucoup d’articles au lancement du site étaient plutôt progressistes (pour utiliser un terme large). Depuis, aucun article conservateur n’a été publié car personne n’en a proposé, et ce malgré notre volonté d’ouverture. Topo est parfois vu comme un journal étudiant aux tendances gauchistes (pour reprendre un terme déjà entendu) alors que nous nous efforçons d’être pluriel. Concrètement lorsque nous écrivons sur une votation nous interrogeons les deux partis : opposants et partisans. De plus, il y a encore peu, nous nous efforcions d’être transparents quant à l’orientation des articles en mettant apparent au début des articles « nos lunettes » (à comprendre notre obédience soit académique, soit politique avec laquelle nous avions écrit ou nous pensions avoir écrit).

Malgré cela, dans l’esprit de certains étudiants, nous sommes teintés à gauche et les étudiants plutôt de droite ne se sentent apparemment pas concernés ou pense être en milieu hostile à TOPO. Il parait donc difficile de se prétendre indépendant intellectuellement même lorsqu’on se dit ouvert à toutes les obédiences intellectuelles. Un journal est donc toujours dépendant intellectuellement de l’orientation de son comité de rédaction et cela se ressent d’autant plus lorsque le comité est petit, car sans forcément le vouloir, les rédacteurs s’influencent plus ou moins mutuellement, ne serait-ce que dans la structure des articles.

Globalement, prétendre être indépendant ne semble pas avoir de sens dans le domaine de la presse étudiante. Ne serait-ce que sur l’aspect du financement ou de la diversité intellectuelle il y a toujours des liens de dépendances plus ou moins forts et plus ou moins influents sur les publications. Il semble donc plus intéressant d’assumer cette dépendance et de la laisser apparaître publiquement pour que le lecteur, qui n’est pas stupide, puisse avoir son propre recul critique sur l’article qu’il lit. Il ne faut pas prendre le lecteur pour plus oisif que nous le sommes nous-mêmes, étudiant-rédacteurs.

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