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Ecopop : écologiste ou xénophobe ? Question de point de vue

Avatar de Ophelia Nicole-Berva

L’initiative Ecopop est pleine de débats et d’influences théoriques et idéologiques ; j’ai aujourd’hui choisi d’apporter quelques précisions quant au dénommé Thomas Malthus qui, dans ce contexte, voit son nom surgir dans une multitude d’articles.

De nombreux mouvements et mesures politiques furent fortement influencés par la pensée de Malthus ; la question démographique est toujours d’actualité et je tenterai alors de partir des fondements pour comprendre Ecopop.

Pour le replacer dans le contexte, ce cher Malthus est né en 1766 en Angleterre, en plein Siècle des Lumières. Cette période, synonyme de progrès technique, d’améliorations dans la production, la communication et les transports, ne l’aura pas empêché d’être pessimiste face au futur.

Ce pasteur anglican rédige en 1798 son Essai sur le principe population corrigé, complété et réédité en 1803. C’est dans cet ouvrage qu’il annonce ce décalage entre la population et les ressources : « Lorsque la population n’est arrêtée par aucun obstacle, elle double tous les vingt-cinq ans et croît ainsi de période en période selon une progression géométrique [1,2,4,8] » alors que « les moyens de subsistances (…) ne peuvent jamais augmenter à un rythme plus rapide que celui qui résulte d’une progression arithmétique [1,2,3,4] » (Malthus 1798 : 10-11).

Pour résoudre ce problème, Malthus parle de « freins préventifs » qui contribueraient à éviter cette augmentation incontrôlée de la population. Parmi ces freins, on peut citer le célibat (hommes d’église) ou le mariage tardif.

Malthus veut trouver un « optimum » de population : un nombre contrôlé qui permet à chacun d’avoir accès aux ressources, car elles-mêmes sont limitées.

C’est là qu’intervient un autre aspect de la théorie de Malthus ; il va différencier deux catégories de population : celle qui a une « parenté responsable » (on imagine ceux qui ont choisi d’avoir des enfants et peuvent les assumer) et celle qui n’est pas en droit d’avoir des enfants car elle n’en n’a pas les moyens. Qui est cette deuxième branche ? Les pauvres, évidemment !

La population est l’affaire de tous, chacun doit prendre ses responsabilités : si celui qui n’est pas en mesure d’entretenir un enfant décide tout de même de se reproduire, il est en tort moral face à la société dans laquelle il vit.

Si l’on rappelle sa profession de pasteur et sa sensibilité face à la misère et aux peuples défavorisés, il pointe tout de même du doigt cette tranche de la population qui a un droit restreint à la reproduction car elle en a, selon lui, moins les capacités financières et matérielles.

La théorie de Malthus est bien moins simpliste et caricaturée qu’exposée ici, elle touche aussi à des aspects économiques que vous aurez tout loisir de lire dans son ouvrage.

Bien que la Révolution industrielle ait, notamment, démontré qu’une amélioration de la productivité était possible, et qu’elle-même permettait à une population bien plus nombreuse de vivre décemment sur terre, la théorie malthusienne a ses adeptes.

Le terme « contrôle de population » est ancré dans des « mouvements néo-malthusiens, lesquels définirent la croissance démographique comme une bombe à retardement justifiant quelques atteintes aux droits de l’homme. Ils avaient pour objectif essentiel, voire obsessionnel, la baisse de la fécondité féminine. » (Gautier 2002) Sans entrer dans le fait que ces mesures concernaient uniquement la population féminine par le biais de la contraception (ibid.), quelques pays ont eu recours à ces politiques antinatalistes. On peut bien sûr citer l’exemple de la Chine avec sa politique de l’enfant unique ; on peut aussi parler des arguments financiers proposés par l’Inde et de ses mesures radicales

qui n’ont fait que décrédibiliser le planning familial [1] par leur violence (Mukhuti 2010).

Aujourd’hui, l’initiative d’Ecopop propose une solution à deux problèmes : réduire la population immigrante (car elle est contrôlable, contrairement à la population vieillissante en Suisse) pour préserver les ressources et aider les pays pauvres « en donnant [aux] femmes accès à la formation, à la planification familiale et à la contraception » (Ecopop : 2014). C’est en ce sens qu’on parle d’un retour de Malthus : on veut limiter la croissance de la population d’un territoire et encourager les autres (ceux qui ne font pas preuve de « parenté responsable ») à suivre notre voie.

On associe la destruction, ou du moins la détérioration, de notre qualité de vie à une surpopulation. Cette surpopulation est elle-même associée à une immigration (massive, qui n’est pas sans nous rappeler un certain 9 février). Et donc, résultat de l’équation : pour préserver notre environnement, nos ressources et notre confort à nous, résidants du pays helvète, il faut limiter l’immigration à 0,2% par an.

Je ne réfute pas le problème écologique lié, par exemple, à la construction de logements en campagne (zones déclassées) ; par contre je refuse que l’on accuse la population comme facteur principal.

Et les industries dans tout ça ? La Suisse est apparemment un pays attrayant et nous sommes victimes de notre succès… victimes d’un afflux d’étrangers qui viennent autant faire le ménage chez les partisans d’Ecopop que donner des cours dans les universités suisses. On dérive vite de la question écologique ! Et suite à cet égarement rapide et sommaire, il est essentiel d’apporter quelques précisions.

En effet, il existe une controverse et cette approche par la population « est jugée peu intéressante aujourd’hui » (Rutherford : 2007). On parle d’un « malthusianisme économique » qui, plutôt que de se baser sur le nombre d’individus de notre planète, s’axe sur son nombre de consommateurs. Entendez ici la consommation comme « toute activité économique », c’est à dire l’usage des ressources, des énergies ou encore les investissements et pas uniquement la demande des consommateurs (Foster & al.: 2011).

Certains discours bien intentionnés veulent faire prendre conscience aux individus qu’ils doivent réduire leur consommation et leurs déchets. Comme l’expliquent Foster & al., la part des déchets des ménages est bien minime : la grande majorité des déchets polluants sont issus des consommateurs bien plus gros – les industries – et ainsi l’individu lambda est plutôt « sujet que souverain ».

source : infrarouge

Nombreux sont les opposants qui dénoncent Ecopop comme une initiative xénophobe ; ce dont il faut être conscient, et c’est essentiel pour en comprendre ses membres (je ne parle pas ici des partisans), c’est qu’Ecopop se trouve dans un paradigme de deep ecology : la protection de la planète passe avant l’individu (voir deuxième article à ce sujet). Sauf que la plupart d’entre nous associe l’écologie à des mesures vertes habituelles : moins de gaspillage, recyclage, énergies renouvelables, et ce décalage entre les deux conceptions donne lieu à une forte incompréhension de l’initiative.

Cela me pousse à me questionner sur les partisans de cette initiative : sont-ils de fervent adeptes de la deep ecology ou profondément anti-immigration (et xénophobes ?). Ainsi, il est difficile de juger l’initiative, tant les valeurs proposées (« d’écologie profonde ») et les valeurs interprétées (de pensée unique) sont diverses.

Pour convaincre un public plus large et ne pas voir ses arguments aller en dérive, Ecopop aurait peut-être dû axer ses arguments contre un système consumériste excessif plutôt que de faire renaître Malthus de ses cendres.

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