Le sport peut-il être raciste ?

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Le sport est souvent pensé ou promu comme une activité où l’espace d’un instant, on oublie l’origine culturelle des personnes en face de soi pour se concentrer sur le jeu et uniquement le jeu. Pendant un match sportif, on met de côté les querelles politiques, religieuses ou sociales qui peuvent exister pour se focaliser sur le sport en question. Néanmoins, les rapports sociaux inégalitaires entre catégories de la population sont perceptibles dans le monde du sport et cela même au niveau professionnel. Le cas de la société américaine illustre bien ce propos. On peut apercevoir au quotidien des rapports inégaux entre catégories sociales et même « raciales » de la population, mais également dans la pratique de l’un des sports phare du pays, à savoir le football américain.

Le 3 février dernier, a eu lieu le 47ème Superbowl dans l’histoire du football américain, événement qui attira 70’000 spectateurs au Superdome de la Nouvelle Orléans et plus de 108 millions de téléspectateurs. Le Superbowl est un énorme événement, bien plus qu’une simple finale sportive opposant deux équipes. C’est une fête nationale américaine, presque au même titre que le 4 juillet ou « Thanksgiving ». On y voit tout le patriotisme américain ; on chante l’hymne national, on voit des milliers de drapeaux amércains qui flottent dans l’air et des images des troupes américaines en Afghanistan sont projetées sur les écrans géants du stade.

Or, la 47ème finale du Superbowl a également renvoyé des images plus négatives de la société américaine, comme le problème persistant de la ségrégation « raciale » dans ce pays. Bien que le président du pays soit d’origine « afro-américaine », la lutte pour plus d’égalité entre catégories « raciales » ne s’est pas effacée avec le Civil Rights Act de 1964. Dans quels domaines de la société américaine, les inégalités entre groupes ethniques sont-elles le plus criantes ? Comment ces inégalités-là sont-elles visibles dans le football américain, sport national du pays ?

Quelques chiffres …

Quelques chiffres illustrent bien les inégalités qui existent entre catégories de la population aux Etats-Unis. En 2010, 27% de la population « afro-américaine » vivait sous le seuil de pauvreté, contre 9,9% pour la population « blanches »[1]. Au niveau de la formation, ces deux catégories de la population n’ont pas le même accès à l’éducation supérieure et par conséquent, n’ont pas la même présence dans les plus hautes sphères de la société américaine. Ainsi, seulement 18% des personnes ayant plus de 25 ans et se considérant comme « afro-américain » possédaient au moins un diplôme universitaire en 2010, contre 30% pour la population « blanche »[2]. Au niveau géographique, on peut également observer des disparités énormes entre catégories « raciales » de la population. Le « Census Bureau », qui s’occupe de faire un recensement de la population américaine de manière périodique, a publié des cartes permettant d’indiquer la distribution des « races » dans les villes et l’ensemble du pays. Le constat est interpellant : Les « afro-américains » sont concentrés dans certains quartiers loin du centre des villes, comme par exemple le quartier de Brooklyn à New-York. Par contre certains quartiers sont majoritairement occupés par la population « blanche »,  comme celui de Manhattan[3]. La conséquence de ce phénomène est celle d’un apartheid, non voulu certes, mais qui résulte en un éloignement des « afro-américains » du centre des villes et des principaux lieux de services et d’activités économiques.

Auteur : Gabriel Arruda
Auteur : Gabriel Arruda

« Les inégalités entre populations […] se reflètent également dans le monde professionnel du football américain. »

Les inégalités entre populations « afro-américaines » et populations « blanches » aux Etats-Unis se reflètent également dans le monde professionnel du football américain. Nicolas Moreau, chercheur à l’Université de Montréal dans le domaine de la sociologie du sport, reprend les théories du « reflet » et de la « reproduction » pour faire un parallèle entre la réalité sociale et le football américain[4]. Les théories qu’il reprend pour appuyer son explication, cherchent à expliquer comment la réalité d’une société peut être reflétée ou reproduite dans le monde du sport. A ce titre, le cas du football américain est très révélateur. Dans la NFL (National Football League), 66% des joueurs sont d’origine « afro-américaine »[5]. Or, ils sont très peu à occuper le poste principal dans l’équipe, à savoir celui de « quarterback ». Le « quarterback », c’est la star de l’équipe, celui qui dicte le jeu, c’est le joueur « intellectuel » de l’équipe, celui qui touche le plus souvent le ballon, et celui qui est le mieux rémunéré dans l’équipe. En 2011, sur les 32 équipes dans le championnat de la NFL, seulement 6 « quaterbacks » titulaires d’origine « afro-américaine » étaient présents. Le 3 février dernier lors de la finale du Superbowl, il ne fallait pas de statistiques pour s’apercevoir de ce phénomène frappant. Presque tous les joueurs des deux équipes étaient « afro-américains » tandis que les deux « quaterbacks » étaient « caucasiens ».

Comme il est possible de voir une claire distinction entre quartiers […], il est également possible d’apercevoir une distribution des postes dans le football américain selon la couleur de peau

Comme il est possible de voir une claire distinction entre quartiers majoritairement « noirs » et d’autres majoritairement « blancs » dans les villes américaines, il est également possible d’apercevoir une distribution des postes dans le football américain selon la couleur de peau. La majorité des entraineurs et des médecins de club, ainsi que la totalité des propriétaires de ces clubs sont d’origine caucasienne[6]. On s’aperçoit que presque tous les postes, à part celui de « quaterback », sont quant à eux occupés majoritairement par des joueurs « afro-américains »[7]. Comment expliquer cette spécificité du poste de « quaterback » ? Comment expliquer que les « afro-américains » sont majoritaires dans le football américain, mais seulement minoritaires dans le poste le plus médiatisé de l’équipe ? Nicolas Moreau explique ce phénomène comme une « intégration discriminatoire » des joueurs « afro-américains » dans le football américain. Ils sont aujourd’hui intégrés dans le sport mais n’ont pas accès aux postes décisionnels et importants du football américain, à l’image de la réalité sociale des Etats-Unis.

Si contrairement au passé, les « afro-américains » peuvent aujourd’hui jouer dans le même championnat que les autres catégories de la population, ce sport n’est pas absent d’une forme de discrimination par origine « raciale ». Le Superbowl est une véritable fête aux Etats-Unis, c’est une tradition américaine, un moment où familles et amis regardent ensemble le match de l’année. Mais l’image que peut renvoyer ce sport renforce la discrimination « raciale » du quotidien. Comme l’écrit Nicolas Moreau dans sa recherche : « Nous avons vu que le sport et la société ne constituaient pas deux entités distinctes, imperméables l’une de l’autre, mais demeuraient, au contraire, en étroite corrélation »[8].

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