Netflix, le futur Google de la TV?

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Netflix est une compagnie américaine, fondée en 1997, par Reed Hastings et Marc Randolph. Leur concept initial : proposer des services de location et de vente de films en ligne. En 2007, la possibilité de visionner les films en streaming est introduite, permettant un accès instantané à des séries TV et à des films via des ordinateurs, puis des consoles de jeux comme Xbox et PlayStation, des TV connectées, et enfin des tablettes et smartphones en 2011. Netflix est maintenant disponible presque mondialement (plus de 190 pays), et a atteint en 2016 le nombre record de 93,8 millions d’abonnés, notamment grâce à une lente progression des abonnements en dehors des Etats-Unis depuis 20141.

Netflix investit beaucoup de son capital dans la programmation et l’élaboration d’algorithmes compliqués lui permettant d’exploiter les données de ses utilisateurs. Netflix souhaite ainsi prendre les décisions les plus appropriées pour l’audience, allant de l’apparence du service aux scénarios dans lesquels la compagnie investit. Ainsi, par exemple, pour chaque nouvelle série lancée par la société, Netflix attache au départ huit images différentes comme illustration. Le nombre de clics générés par chaque image est analysé, et après 35 jours, les deux images les plus performantes sont sélectionnées pour devenir les images par défaut, tandis que les images les moins populaires disparaissent. Les algorithmes de Netflix ont donc un premier but : plaire au plus grand nombre, en somme ; à tous(2).

A cette stratégie qui vise à  « plaire à tous », s’allie celle de satisfaire chaque abonné en personnalisant son expérience. Le succès du distributeur repose en fait en grande partie sur cette seconde méthode fondamentale : la segmentation.  Selon ce principe, les contenus sont taillés et adaptés pour répondre aux besoins et aux goûts de chacun.  Netflix aborde le processus de segmentation de manière innovante en utilisant des critères reposants non sur les traits identitaires de ses abonnés tel que l’âge, le genre, ou l’origine mais uniquement sur leurs actions sur le site, qui sont minutieusement enregistrées. Les utilisateurs sont alors rassemblés en différents groupes ou segments – donc, selon leurs comportements – créant ainsi des profils qui correspondent à leurs préférences. Les différents films ou séries sont quant à eux catégorisés de manière très spécifique et groupés selon les caractéristiques de leur contenu (par genre spécifique, type, période, origine du contenu, langue, et par une multitude d’autres critères très précis, les « tags »(3). La plupart de ces tags sont gardés secrets par la compagnie, car ils constituent un élément fondamental du système de recommandation de Netflix. Puis, Netflix associe trois à cinq groupes à chacun de ses abonnés, pour pouvoir leurs proposer des titres de films ou de séries qui seraient susceptibles de leur plaire.
En moyenne, sur les milliers de titres dans le catalogue de la compagnie, un utilisateur n’en voit que 40 à 50 lorsqu’il visite le site. Ces 40 à 50 titres sont attribués selon les groupes qui ont été assignés à l’utilisateur en question, et celui-ci peut alors trouver rapidement un produit qui lui plait, et surtout, sans trop d’effort. De temps en temps, l’algorithme offre aussi quelques titres qui ne correspondent pas aux goûts usuels de l’utilisateur, afin d’éviter que celui-ci ne soit prisonnier de son profil utilisateur.
Un autre élément de réussite pour Netflix, est le contenu que la compagnie produit ; le «Netflix Original». Netflix doit lutter contre la concurrence de compagnies issues du monde entier pour obtenir les droits de diffuser le contenu qu’elle souhaite. Ces licences peuvent concerner des pays individuels, des régions, ou bien la totalité du globe et peuvent varier en durée. Puis, ces licences peuvent coûter extrêmement cher et sont difficiles à gérer.
Cette situation explique pourquoi Netflix cherche à échapper au système des licences coûteuses et temporaires pour investir dans la production de ses propres créations, dont elle contrôle totalement la distribution et qui peuvent être diffusées de façon prévisible dans le monde entier, en même temps. La création de contenus originaux demande cependant des niveaux d’investissement énormes, représentant une réelle prise de risque en cas d’échec auprès de l’audience.
Les données que Netflix récupère sur ce que ses utilisateurs apprécient ou non peuvent être d’une aide considérable. Cependant, comme le précise Todd Yellin dans un interview de l’Opinion,  « Il ne faut pas exagérer, House of Cards n’a pas été créé par un algorithme. La technologie nous permet de choisir parmi plusieurs bonnes histoires, pour déterminer laquelle a le plus de potentiel. Après, il y a toujours de la créativité humaine. »(4) Netflix parvient à produire du contenu de qualité et souvent innovant, en recrutant et retenant dans la compagnie des scénaristes et producteurs créatifs et qualifiés, notamment grâce à un niveau de salaire très élevé5.
Le succès de la compagnie reposerait donc sur ses algorithmes ainsi que sur les contenus qu’elle crée. Tous deux représentent des investissements considérables. Néanmoins, des algorithmes très performants et du contenu de qualité ont peu d’impact si personne n’en entend parler. Face à ses dépenses importantes dans le domaine de la programmation de ses algorithmes, des contenus «Netflix Original», et des licences de diffusion, la compagnie a pris le parti de mettre en place une stratégie marketing à moindre coût6.
Netflix vend ainsi ses séries en s’appuyant sur ses succès précédents et sa réputation comme chaîne de télévision de qualité, mais également sur le bouche-à-oreille et en choisissant avec soin ses acteurs ou associés. On peut citer, par exemple, le partenariat avec Marvel, Selena Gomez ou Brad Pitt (co-producteurs de 13 Reasons Why et The OA), Winona Ryder ou Kevin Spacey (acteurs dans Stranger Things et House of Cards respectivement), etc. Ces grands noms du show business permettent à Netflix de profiter de la notoriété de ses partenaires, de lancer un nouveau produit sur le marché et de faire parler d’une production sans faire de publicité. En parallèle, Netflix peut lancer toute une série d’acteurs peu connus, ce qui permet de contenir ses coûts de production, et d’apporter de la nouveauté dans le domaine, en gardant une familiarité attractive.

La compagnie organise aussi de petites actions marketing qui cible des groupes spécifiques d’individus (comme les «fandoms», des groupes fans qui partagent la même passion), qui vont ensuite relayer l’information d’eux-mêmes via les réseaux sociaux. La reprise d’émissions à succès est aussi un moyen pour Netflix de s’assurer de la visibilité de ses productions, car celle-ci dispose déjà d’un certain nombre d’individu intéressés, qui vont ensuite propager l’information autour d’eux. C’est ce que Netflix a fait pour la saison 3 de Black Mirror, ou le revival de Gilmore Girls, par exemple.
Un autre élément particulier à la compagnie est son refus de partager les métriques de ses séries (comme le nombre de spectateur, mais aussi d’autres informations généralement utilisées pour juger du succès d’une production). Cela signifie que l’on ne sait jamais vraiment à quel point une série a marché ou non et que la parole de la compagnie sur le sujet fait foi. Ce phénomène s’inscrit dans la tendance qu’a Netflix de rester très secret. L’ancien joueur NFL Trevor Pryce, qui a vendu la série animée Kulipari : Une Armée de Grenouilles à la compagnie, confirme que de travailler pour Netflix signifie être sujet à de nombreuses restrictions sur ce qu’il est permis de dire à propos de la compagnie, et référence le film Fight Club : « La première règle de Netflix est : il est interdit de parler de Netflix. »(7)
La compagnie accorde donc beaucoup d’importance à son image et à sa réputation, qu’elle contrôle étroitement. L’attention particulière que la chaîne accorde à son identité est en partie ce qui lui a  permis de créer le succès dont elle profite aujourd’hui. Actuellement, la viabilité d’un tel succès est remise en question.
John Landgraf, chef du serveur FX, prédit que Netflix pourrait finir par avoir un « quasi-monopole à la Californienne » sur le secteur du divertissement, similaire à celui de Google pour la recherche et Amazon pour le commerce en ligne. Son propos est appuyé par les recettes de la compagnie, qui sont passés de $1.2 billion en 2007 à $6.8 billion en 2015. La compagnie, quant à elle, est optimiste pour le futur, et souhaite sortir plus de 30 nouvelles séries Netflix Original – soit 600 heures de programmation scripté – cette année.(8)
Pourtant, un tel succès pour la compagnie n’est pas une évidence. Netflix avait prévu une augmentation de 500,000 abonnés aux USA et 2 millions à l’étranger il y a deux ans, mais n’a pas réussi à atteindre ses objectifs, puisque la compagnie a révélé n’avoir augmenté son nombre d’abonnés que de 160,000 aux USA et 1.5 millions ailleurs(9).
Netflix commence-elle alors à s’essouffler ? C’est ce que pense Guillaume de Chandelar, à la tête du département de divertissement et média de Bank Leumi. Selon lui, Netflix ne pourra pas continuer longtemps seule, et devra considérer une alliance ou un partenariat dans les prochaines années. Michael Pachter, analyste à Wedbush Securities, ne croit pas non plus à un monopole de Hollywood par Netflix. Il est d’avis que les dépenses de la compagnie l’obligeront à augmenter ses prix de manière drastique, ce qui ralentirait une croissance déjà moins vigoureuse. Beaucoup, comme Rich Greenfield de la BTIG, restent prudents. N’ayant pas atteint ses objectifs de croissance, et avec des compétiteurs de plus en plus agressifs, l’avenir de Netflix dépend d’une chose selon lui : « Peut-[elle] avoir autant de succès en Europe et en Asie, qu’en Amérique [du Nord] ? Cela reste à être déterminé. »10  Tout dépendrait alors des prochaines années à venir, qui constituent un véritable tournant pour la compagnie américaine, aux ambitions mondiales.

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