Médias, démocratie et démocratisation quels enjeux ?

Avatar de Tristan Boursier

Savoir et Pouvoir sont toujours intimement liés. De l’invention de l’imprimerie à l’aube de l’ère numérique, le contrôle de l’information devient un enjeu crucial de pouvoir. L’importance des médias dans la sphère politique est telle qu’elle est souvent considérée comme un pouvoir ou un contre-pouvoir face à l’autorité. Dans un cadre démocratique, il faut informer à plus large échelle car le nombre d’acteurs impliqués dans les processus de décisions sont beaucoup plus nombreux. L’utilité des médias devient essentielle car ce sont eux qui agissent comme principaux producteurs et transmetteurs d’informations. Ils apparaissent alors comme garants des libertés d’opinion, d’information, d’expression et en conséquent du maintien d’un équilibre des pouvoirs au sein de la démocratie. En outre, l’aspect structurel du média, autant dans son organisation que dans sa gouvernance, va influencer la production d’informations notamment dans une structure fortement hiérarchisée et verticale.

Pendant longtemps restreinte aux agences de presses et aux journalistes professionnels, la production d’informations était cantonnée à un nombre d’agents réduits. Le bousculement produit par internet, les réseaux sociaux et autres technologies de l’information et de la communication (TIC) a considérablement augmenté le nombre d’acteurs et a conduit à une démocratisation de la production de l’information. Une nouvelle organisation dans la hiérarchie ainsi que dans la chaîne de production de l’information s’est ainsi mise en place basée sur le modèle du « crowdsourcing » soit «  le fait de prendre une tâche et de l’externaliser (…) en faisant appel ouvertement à un large groupe de personnes dont le nombre est indéfini » (Howes, 2008). Cette nouvelle approche a apporté une grande diversité de points de vue mais a dans un même temps produit une masse d’informations inversement proportionnelle à la masse de désinformation. Ce qui complique la vérification de ces données et bouleverse la manière traditionnelle de les produire.

Quelle place pour les médias dans nos démocraties ?

Afin d’être capable de garantir la liberté d’opinion, les démocraties modernes se sont construites sur l’idée de la libre circulation de l’information. L’accès à l’information est primordial pour faire vivre sainement une démocratie. C’est dans ce contexte que de nombreux acteurs de l’information ont vu le jour au fil des développements technologiques liés à la communication.

Médias privés, indépendants, de service public, télévisions, radios, journaux, agences de presse, sites internet et aujourd’hui réseaux sociaux… Les formes et tailles d’organisations et de mediums produisant du contenu multimédia sont multiples. Ils façonnent nos représentations et influencent directement nos pratiques culturelles. Bien qu’il soit possible de tendre à une certaine objectivité, les médias ne sont jamais en tout point neutre. Soumis aux subjectivités et conceptions des personnes qui composent l’entité, Ils pourront faire à dessein ou non, l’apologie d’une idéologie politique, économique ou sociale. En mettant en avant certaines qualités et représentations, ils peuvent faire passer une ou plusieurs idéologies, dans bien des cas favorables à leurs intérêts respectifs, qu’il s’agisse d’une entreprise privée ayant le souci de profit et de rentabilité ou des médias contrôlés par des acteurs politiques. On s’aperçoit par exemple dans des scènes médiatiques dominées par des entreprises privées, comme c’est le cas aux États-Unis, que le divertissement occupe une place plus importante que l’information par devoir de rentabilité envers les membres, contributeurs publicitaires ou actionnaires de ces entités. L’élection américaine de 2016, ses « fake news », et la médiatisation centrée sur deux partis renvoyant une image bipartisane de la politique américaine est symptomatique de ce rapport entre l’information et la communication au détriment du débat démocratique. La course au sensationnalisme dopée par la concurrence à laquelle se livrent les entreprises a poussé à une détérioration de la qualité de l’information.

Dans de nombreux pays, des médias en lien avec l’Etat ou des acteurs politiques dominent la scène médiatique. En Turquie, suite à la tentative de coup d’Etat de juillet 2016, de nombreux journaux « critiques » du pouvoir ont été fermés, réduisant drastiquement la diversité d’opinion dans le pays. Reporter sans frontière use même du qualificatif de « plus grande prison au monde pour les professionnels des médias ». Ce n’est pas la première fois qu’un leader s’arroge, ou du moins tente de s’arroger, le monopole de l’information. Nous pourrons citer à titre d’exemples, Silvio Berlusconi qui contrôlait la grande majorité des chaines privées italiennes ou le monopole quasi-total de l’information locale détenu par le gouvernement cubain de Fidel Castro depuis 1959 jusqu’à aujourd’hui. Malgré ces efforts de contrôle, il devient de plus en plus difficile à l’heure d’Internet de contrôler les flux d’informations. Notamment grâce à l’utilisation de réseaux privés virtuels (VPN) ou de logiciels comme TOR, qui permettent, entre autres, de contourner les censures liées à Internet et de se renseigner via les réseaux sociaux ou des sites Internet tiers auparavant filtrés. Cela nous amène non seulement à nous demander si les médias privés sont vraiment les mieux placés pour se montrer critique lorsque cela dessert leurs intérêts. Mais aussi si les médias liés à l’Etat ou ses structures peuvent se montrer critique vis-à-vis du pouvoir en place.

Cela nous mène tout droit au thème de la censure. Qu’elle s’opère de manière consciente, par des choix réfléchis, soit façonnée par nos normes éthiques, morales ou culturelles, la censure se complexifie. Au fur et à mesure que les technologies de l’information et nouveaux mediums se développent, le nombre d’acteurs ayant un pouvoir de censure augmente. Entreprises du web, réseaux sociaux à l’image de Google et Facebook, fournisseurs d’accès internet et détenteurs de l’infrastructure physique ont cette capacité de jouer le rôle de censeur, en filtrant des recherches ou en censurant directement des contenus. Mais parallèlement, la multitude d’acteurs liés à internet rend une censure totale quasiment impossible en proposant de nombreux moyens de la contourner comme ceux précités.

Nous avons déjà abordé la censure directe opérée par des acteurs politiques, par exemple l’Etat. Mais sous des régimes politiques plus libéraux, comment s’opère-t-elle ? Une entité de média est sujette aux personnes et aux représentations qui la composent. Cela s’observe à travers le vocabulaire utilisé par les journalistes. C’est alors un filtrage plus insidieux qui s’opère. Il est déterminé par le tri et la hiérarchisation de l’information ainsi que dans la sélection des journalistes et des cadres de ces entreprises conformément aux exigences du média en question. Bourdieu fait le lien entre la sécurité de l’emploi dans les domaines de la radio et télévision et la censure en disant que le manque de sécurité de l’emploi dans ces domaines pousse les acteurs vers une conformité politique de peur de perdre son travail. Ce qui provoque une forme d’autocensure dont une des conséquences est l’effritement, de la confiance dans les médias dit « traditionnels ». Cet effritement est de surcroit exacerbé par le rôle croissant des réseaux sociaux qui transmettent une information souvent brute et pas toujours travaillée. La structure dans l’organisation joue donc un rôle crucial. Dans le cas des médias liés à l’Etat, plus celui-ci est démocratique, plus la gouvernance des services publics sera exigeante. En Suisse, il existe une capacité populaire de contrôle de l’Etat et donc directement ou indirectement du service public qui y est associé. On le voit avec l’initiative populaire « no Billag » qui menace de démanteler le service public. Ce moyen de pression peut influencer grandement la qualité du contenu présenté. En effet, les destinataires du contenu média peuvent exprimer de manière forte leur satisfaction ou leur insatisfaction en agissant sur des aspects vitaux au fonctionnement du média tel le budget ou la suppression pur et simple du service. Ce contrôle ne serait plus possible ou se verrait drastiquement réduit dans une scène médiatique contrôlée par des acteurs privés.

L’exercice d’un pouvoir critique par les médias ainsi que des structures plus horizontales dans l’organisation sont donc une nécessité pour assurer la qualité de l’information et donc se porter garants d’une démocratie saine. Le fait que chacun soit capable de produire et de diffuser de l’information par l’intermédiaire des réseaux sociaux apporte un caractère démocratique et empêche l’établissement d’un monopole imposé par l’état, une organisation ou un individu. La qualité ne réside pas seulement dans le nombre de médias et de mediums mais aussi dans leur diversité structurelle.

Tagged in :

Avatar de Tristan Boursier

Laisser un commentaire