Culture « woke » : chimère chronophage ou véritable menace à la cohésion ?

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Le 13 Octobre 2021, Jean Michel Blanquer inaugure le Laboratoire de la République, une initiative visant à lutter contre l’expansion d’idées considérées comme antirépublicaines. Il considère que les idées venues des universités américaines représentent une “profonde vague déstabilisatrice pour la civilisation en remettant en cause l’humanisme, issu de longs siècles de maturation de notre société”. (1)

Il fait ainsi référence à l’ensemble de concepts venant entre autres des études postcoloniales, des études de genre et autres domaines ayant pour sujet central les minorités sociales. La culture dite “woke” ou “wokisme” fait l’objet d’un emballement médiatique considérable depuis la rentrée politique de Septembre 2021.  Elle divise la classe politique : d’un côté ceux qui se revendiquent comme ses partisans à l’image de Sandrine Rousseau, candidate à la primaire écologique ; de l’autre côté se trouvent ceux qui s’y opposent formellement comme Valérie Boyer qui parlera de totalitarisme “woke”. (2) 

À quoi cette culture woke fait-elle référence ? Représente-t-elle une véritable menace pour l’universalisme républicain français ?

La naissance de mot “woke”

Avant même d’être considérée comme une culture, le mot « woke » vient de l’expression de l’anglais vernaculaire afro-américain “stay woke”, “rester éveillé” Elle intégrera le langage commun suite au meurtre de Michael Brown à Ferguson le 9 Août 2014. Son décès s’inscrit dans la longue histoire des violences policières subies par la population afro-américaine aux États-Unis. La phrase “stay woke” encourage l’opinion publique à perpétuellement remettre en cause les inégalités systémiques notamment les inégalités raciales.  

La réception des idées “woke” en France 

Pour Mame Fatou Niang, Professeure associée de littérature française et francophone à l’université Carnegie-Mellon, cette expression a été dépolitisée lors de son arrivée en France. Effectivement, le terme “woke” ne fait plus partie du lexique des militant.e.s pour la justice sociale en 2021. Au contraire, l’expression semble être devenue un mot “écran” pour ses détracteur.rice.s qui assignent une identité “woke” à celles et ceux qui mobilisent des approches critiques intersectionnelles dans des problématiques d’inégalités liées au genre, à la race, au handicap, à la classe sociale et à l’orientation sexuelle. 

Souvent situés à droite sur l’échiquier politique, des personnalités politiques françaises déplorent une importation d’idées américaines qui seraient contraire à l’humanisme et l’universalisme républicain guidant les valeurs françaises. Invitée politique du Grand Matin Sud Radio le 20 Septembre 2021, la Secrétaire d’État chargée de la jeunesse et de l’engagement Sarah el Hairy reproche à Sandrine Rousseau de “s’inscrire dans la culture woke” (3)

Cette inquiétude face à la “racialisation” du débat politique en France arrivera même au sommet de l’Etat, comme en témoigne l’allocution du Président le 14 Juin 2020. En réponse aux manifestations contre les violences policières en France, Emmanuel Macron rappelle que “s’unir autour d’un patriotisme républicain est une nécessité”. (4) Il s’annonce “intransigeant sur les questions de racisme et d’antisémitisme” mais refuse le communautarisme (5). Le communautarisme désigne une tendance à faire prévaloir les spécificités d’une communauté au sein d’un ensemble social plus vaste. 

Pour Mame Fatou Niang, les accusations d’une infection des idéaux français font partie d’une “véritable fronde contre des idéaux vus comme des importations américaines qui seraient inadaptées pour analyser les réalités françaises”. Elle estime que le débat autour du “wokisme” “permet d’éviter d’adresser ces mêmes problématiques dans le contexte français » (6). Effectivement, la France peine encore à parler de son passé colonial et à évoquer les questions raciales sur son territoire. Les critiques de son passé sont perçues comme récentes et malvenues, et pourtant c’est en France que le mouvement littéraire de la Négritude est né (7).  Le sociologue français Roland Pfefferkorn établit que l’absence de statistiques ethniques dans les données françaises a des conséquences importantes sur les dynamiques ethno-raciales actuelles. Il ajoute que la résistance contre la récolte de statistiques ethno-raciales est sûrement liée à un impensé de la race et l’idéologie républicaine invoquée dès que la question raciale se pose en France. 

Le débat sur l’expansion du “wokisme” en France permet de repenser sa place dans le monde. Effectivement, dans une société de plus en plus cosmopolite, l’apparent refus de la France de traiter des questions concernant les identités de sa population lui fait courir le risque de sombrer plus loin dans ce que le politologue Achille Mbembe nomme une “fiction républicaine » (8). Cette expression sous-entend que l’universalisme républicain promettant un traitement égal à tous les français en faisant abstraction de leurs origines ethniques n’existe pas. 

Cette fiction ne permet pas de donner la parole à ceux qui contestent un universalisme républicain dont ils n’ont jamais vu les bénéfices. Elle ne permettra pas à la France de suivre le monde tel qu’il est en train d’évoluer. Dans le domaine de la recherche par exemple, la France perd du prestige car une partie de ces citoyens refuse d’embrasser l’émergence de théories critiques plus inclusives. Toutefois, les jeunes générations issues des minorités en France forcent une conversation nationale sur l’adéquation du discours universaliste et les réalités de la France contemporaine. Elles pourraient révolutionner l’idéal de la nation. 

Malheureusement, ces idées sont fortement découragées comme le montrent les interventions de Frédérique Vidal, la ministre chargée de l’enseignement supérieur qui dit sur le réseau social Twitter que “la France n’est pas l’Amérique et la culture française n’est pas la culture woke” (9) 

L’emballement médiatique sur la question de la culture “woke” a été considérable, mais il semblerait que la réalité du terrain est autre. Effectivement, un sondage de l’IFOP a montré que seulement 14% des Français avaient déjà entendu cette expression et seulement 6% voyaient de quoi il s’agit. Ces chiffres permettent ainsi de questionner l’évaluation de la menace que posent les idées dites « woke » à la cohésion de la société française.

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